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Islam et Occident, une opposition séculaire
Le salut de l'Islam viendra-t-il de l'Occident ? 2ème partie
Publié dans El Watan le 21 - 01 - 2007

Les intellectuels musulmans conscients de la situation ont le devoir de réveiller les consciences, de leur montrer le mur vers lequel la société musulmane est en train de se diriger toutes voiles dehors, et de leur indiquer le chemin à suivre pour rejoindre le train de la modernité et de l'universalité.
L'Occident étant ici un référent pour les objectifs de connaissances et de développement qu'il a atteints et de voies intellectuelles qu'il a choisies pour les atteindre, et non pas un modèle à imiter ou à mimer au risque d'y perdre son âme. Les musulmans devront tout d'abord changer en eux la représentation totalement négative qu'ils ont de l'Occident. Il n'y a pas que du mal dans cette partie géographique de l'humanité. Il y a aussi tout ce qui a permis à des centaines de millions de personnes de sortir de la misère et de la pauvreté, de permettre aux sciences d'expliquer et de domestiquer les lois de la nature, d'inventer des systèmes politiques mettant le pouvoir entre les mains des peuples, en un mot, de mettre la raison au pouvoir. L'Occident n'est pas uniquement cette société matérialiste et immorale dénoncée dans toutes les mosquées du monde islamique. Beaucoup de choses fondamentales peuvent lui être empruntées pour faire évoluer les sociétés musulmanes vers un avenir meilleur. Et avant toute chose, son esprit rationnel. N'oublions pas que dans l'histoire, les musulmans avaient (déjà) puisé de l'Occident (Grèce antique surtout) une grande partie de la science qu'ils ont développée et transmise à l'humanité. Dans le monde musulman, les élites religieuses ont dans leur grande majorité adopté les idées prônées par les islamistes, qu'ils soient d'obédience frères musulmans comme en Egypte et dans certains pays du Proche-Orient, soit d'obédience salafiste ou wahabiste comme dans les pays du Golfe, en Asie centrale, en Asie du Sud-Est et au Caucase. Le cas des élites religieuses chiites est identique ; la majorité des imams et ayatollahs les plus prestigieux se complaît dans des références passéistes liées aux conditions dramatiques de la naissance et du développement du mouvement chiite. Les élites intellectuelles musulmanes sont, dans leur grande majorité, restées totalement silencieuses ; ou quand elles s'expriment, c'est le plus souvent, pour soutenir le pouvoir en place, qu'il soit d'essence religieuse, comme cela se passe en Iran ou en Arabie Saoudite, ou profane (mais avec une très forte tendance à instrumentaliser la religion au seul profit des castes dirigeantes) comme c'est le cas partout ailleurs, comme en Algérie, en Tunisie, au Yémen ou même en Turquie où pourtant le système politique est laïc. Les intellectuels courageux (ou téméraires, car beaucoup ont payé de leur vie ou de leur liberté leurs prises de position non conformistes), qui s'attaquent aux dogmes établis et aux positions officielles, sont très minoritaires ; et quand ils se manifestent par des prises de position modernes et d'avant-garde, ils sont donnés en pâture à la rue par des islamistes en mal de popularité qui vont jeter l'anathème sur eux et leurs familles et les pourchasser jusqu'à ce qu'ils jettent l'éponge ou quittent leurs pays pour rejoindre l'Occident. Ces intellectuels courageux ont pourtant le mérite d'exister, de lutter et paradoxalement, de faire la preuve de leur impuissance à faire évoluer les choses. Ceux qui ont une quelconque chance d'être écoutés (généralement parce qu'ils ont acquis une reconnaissance internationale dans d'autres domaines) sont immédiatement et violemment combattus, y compris par des manifestations de rue pour les intimider. Le dernier avatar connu de cette politique d'intimidation concerne l'actuel ministre égyptien de la Culture, Farouk Hosni, qui avait critiqué le port du hidjab et les « cheikhs à trois millimes » (allusion faite à la gouvernance religieuse par le biais des fatwas) et qui a été obligé de présenter ses excuses, face au boycott organisé par les frères musulmans.
Réforme de l'islam
Les intellectuels musulmans réformateurs vivant en pays d'islam, qui ne disposent pas d'une aura intellectuelle qui a dépassé le cadre de leur pays d'origine, sont soit pourchassés, soit, pour les plus chanceux, tenus dans un isolement total et souvent dans un état de grave suspicion relatif à leur mode de vie ou à leurs idées (communiste, athée, consommateur d'alcool, impie, vie dissolue, francophone, anglophone, pro-occidental, etc.). Des penseurs musulmans continuant, malgré le danger, d'appeler à la réforme de l'islam, il en existe pourtant dans tous les pays islamiques. On peut en citer ici quelques-uns dont on ne peut qu'admirer le courage et la ténacité, compte tenu de la suspicion politico-religieuse qui pèse sur eux :
Hamadi Reddissi, tunisien, professeur à la faculté de droit et des sciences politiques de Tunis, qui milite pour une coexistence entre l'islam et la modernité, et demande aux musulmans d'avoir la lucidité d'ouvrir le procès de la culture islamique dans son historicité.
Raja Benslama, intellectuelle tunisienne qui se bat pour la libération de la femme musulmane, l'ouverture des portes de l'ijtihad, la renonciation à la condamnation de l'apostasie et la reconnaissance de la citoyenneté des minorités religieuses.
Abd El Mounim Saïd, intellectuel égyptien, directeur du Centre Al Ahram pour les études politiques et stratégiques, qui affirme que le hidjab (objet d'une vive polémique, tant en Egypte que dans l'ensemble du monde islamique), est pour les fondamentalistes « la première étape d'un long chemin jalonné de devoirs religieux culminant dans le djihad, lequel peut impliquer l'élimination de tous ceux qui s'opposent aux idées d'un groupe donné. »
Djamal El Bana, egyptien, frère cadet de Hassan El Bana, le fondateur du mouvement des frères musulmans, qui est entré dans la controverse sur le port du hidjab en affirmant que celui-ci n'est pas une prescription religieuse, mais une simple affaire de tradition et de coutumes. « Si le voile était un devoir religieux, affirme-t-il, il y aurait dans le Coran un verset clair à ce sujet qui ne pourrait pas faire l'objet d'interprétations variées. Ce qui est écrit dans le Coran est très général et peut être interprété de diverses façons ; certains des versets en question se référant spécifiquement aux épouses du Prophète. »
Mouna Al Tahawi, journaliste égyptienne qui condamne le silence des intellectuels arabes concernant les actes terroristes islamistes dans le monde, et la justification de ces actes par des raisonnements pernicieux (c'est la faute aux américains si des musulmans procèdent à des attentats suicide). « On a beaucoup parlé des groupes et des individus extrémistes ayant trouvé refuge à Londres, mais on n'a pas assez parlé de ces prétendus intellectuels qui passent leur temps à justifier le terrorisme… », écrit-elle.
Dr Mamoun Fandy, savant égyptien, qui s'est aussi intéressé à « l'approche hypocrite » du terrorisme caractéristique d'un grand nombre d'intellectuels arabes qui ne font que le justifier. « Ils prennent du Viagra politique, entrent en état d'ivresse et d'excitation quand ils maudissent les Etats-Unis et applaudissent les terroristes », affirme-t-il, ajoutant qu'« ils ne comprennent pas qu'ils attisent des flammes qui consumeront tout le monde, qu'agir ainsi revient à se suicider, à l'instar des conducteurs de voitures piégées (…) ».
Adonis (Ali Ahmed Saïd), grand écrivain et poète syrien, s'est, lui aussi, invité dans la controverse devenue permanente sur le port du hidjab et critique durement le symbole de séparatisme social qu'est le voile. Il affirme que toutes les opinions qui considèrent le port du voile comme un devoir religieux ne sont que des interprétations, et n'engagent que ceux qui y adhèrent.
Amir Taheri, journaliste et écrivain iranien (aujourd'hui exilé à Paris), considère que le voile ne constitue pas un devoir religieux pour la femme musulmane car n'étant sanctionnée ni dans le Coran ni dans les hadiths ; par contre, il constitue un instrument politique qui n'a rien à voir avec l'islam en tant que religion.
Shirine Ebadi, intellectuelle iranienne, prix Nobel de la paix, qui se bat très durement en Iran même pour les droits de la femme et de l'enfant, et également pour faire comprendre aux musulmans, eux-mêmes, que leur religion n'est pas ennemie de la démocratie.
Le combat des penseurs algériens
Bien d'autres noms pourront être ajoutés à cette liste, sans que le total ne soit exhaustif, tant les sujets abordés par les uns et les autres sont nombreux et différents. En Algérie, certains noms sont à la pointe du combat pour rapprocher l'islam de la modernité et de la rationalité : celui qui est le plus en vue ces dernières années est le docteur Mustapha Cherif, philosophe, islamologue, ancien ministre et ancien ambassadeur qui milite pour un véritable dialogue entre les religions et dont la position peut se résumer dans cette phrase mise en exergue sur son site web : « Pour un islam d'ouverture, des lumières et du dialogue interreligieux. » Il y a aussi Redha Malek, homme politique historique et immense homme de culture. Sa préface à une réédition par l'Enag du livre phare du réformiste égyptien Mohamed Abdou, un des pères de la Nahda islamique de la deuxième moitié du XIXe siècle (Rissalat el Tawhid) est un véritable chef-d'œuvre de démonstration de la capacité de l'Islam à intégrer la modernité. Mais le cas le plus emblématique de ces intellectuels à la pointe du combat contre l'obscurantisme islamiste (en Algérie et ailleurs) est Ahmed Halli, le journaliste chroniqueur du Soir d'Algérie qui, à longueur de colonnes, croque des situations ubuesques consécutives aux actes ou idées des islamistes les plus en vue. Il a aussi comme avantage de mettre en avant de ses chroniques tous ceux et celles qui mènent le même combat que lui pour réformer le monde islamique. Tous les intellectuels « modernistes », cités ou non dans la liste ci-dessus, ne se battent pas pour le même objectif stratégique. Pour certains, il s'agit juste de mettre un terme à certaines pratiques islamiques les plus criantes et les plus condamnables (et condamnées par l'opinion publique internationale) : c'est le cas de ceux qui, en Arabie Saoudite, condamnent les coups de fouets administrés en public, et qui, dans ce pays, passent pour de grands réformistes. C'est aussi le cas de certains intellectuels qui militent pour la limitation à un maximum de quatre, le nombre d'épouses légitimes. C'est encore le cas de ceux qui veulent ajouter un peu de droit positif à la charia dans certains domaines de la vie sociale : héritage, adoption, abandon de la lapidation et de la loi du talion. C'est enfin le cas de ceux qui se battent pour l'abandon des signes extérieurs d'appartenance à l'islam : barbe et tenues islamiques. Les vrais réformistes, ceux qui veulent mettre le monde musulman dans le train de la modernité et de l'universalité, s'attaquent à des problèmes globaux plus profonds : égalité en droits et en devoirs entre les hommes et les femmes, abolition de la charia comme unique source du droit, séparation des sphères politiques et religieuses, retour à la science et au rationalisme dans l'enseignement, retour à une éducation religieuse moins manichéenne et plus ouverte sur le reste du monde et des civilisations, etc. Chacun des thèmes ci-dessus peut être décliné en une série de sous thèmes qui peuvent constituer autant d'objectifs à atteindre :
Désacralisation du port du hidjab, abrogation ou réforme du code de la famille (dans beaucoup de pays musulmans), égalité des droits entre hommes et femmes dans tous les domaines de la vie sociale, interdiction des pratiques dégradantes contre les femmes et les enfants (en particulier l'excision qui se pratique dans beaucoup de pays islamiques).
Retour au droit positif et abandon du droit coutumier et des aspects obsolètes, et, parfois, gratuitement cruels, de la charia.
Débat sur la laïcité et sur les autres formes d'organisation du pouvoir ; recherche de la forme d'organisation la mieux appropriée. Eloignement du domaine religieux de la sphère politique. Réinterprétation sous l'angle du rationnel du concept de djihad. Retour à un idjtihad « scientifique » pour l'interprétation des versets coraniques non évidents.
Séparation totale entre l'enseignement religieux et l'école : réintroduction de la raison et de la logique dans les systèmes scolaires et universitaires. Enseignement rationnel des sciences. Option pour des systèmes d'enseignement qui privilégient les méthodes qui développent l'esprit critique. Ouverture sur les autres cultures, y compris la culture occidentale, dans tout ce qu'elles ont de positif.
Dialogue apaisé avec les autres civilisations et cultures. Ces thèmes sont défendus, malheureusement sans résultats probants, par une minorité d'intellectuels baignant dans des sociétés musulmanes totalement aux antipodes de la modernité. Leurs idées sont, d'une part, combattues violemment par les tenants de l'idéologie islamiste (toutes tendances confondues) et, d'autre part, rejetées par la masse trompée par les « semi-lettrés » qui leur servent de guides (dixit A. Meddib) et par les pseudo-imams vociférant du haut des minbars des mosquées, à la télévision, ou sur les places publiques. Quand le danger de « contamination » est trop fort, c'est la grosse artillerie des institutions et des plus hauts dignitaires de l'islam (sunnite ou chiite) qui se met en branle : les grands cheikhs d'El Azhar, de la Mecque ou de Jérusalem, les imams et autres hodjatoleslams d'Iran ou d'Irak entrent en jeu pour la défense des « vraies valeurs » de l'islam qui sont mises en danger par des intellectuels laïcs et mécréants, au service du grand Satan occidental (américain de préférence). Le discours réformateur, lui, n'atteint qu'une partie infime de la population à laquelle il s'adresse (le plus souvent la partie déjà convaincue de la justesse du message). Il est donc sans impact réel. C'est souvent, la raison pour laquelle, dans certains pays musulmans, dont l'Algérie, ces intellectuels et leur message sont tolérés : ils ne disposent pas d'une capacité de nuisance suffisante pour devoir être combattus par les armes de la terreur (d'Etat pour certains, de groupes extrémistes pour d'autres). Par contre, tous ceux qui constituent une véritable menace sont victimes de cette terreur. On a tous à l'esprit la tentative d'assassinat de feu Naguib Mahfouz, le monumental écrivain et chroniqueur égyptien, prix Nobel de littérature. De même, toujours en Egypte, cette pratique généralisée des avocats membres de la confrérie des Frères musulmans, poursuivant systématiquement en justice (une justice qui a toutes ses racines dans la charia) les intellectuels réformateurs pour apostasie et exigeant la séparation d'avec leurs épouses. Ne parlons pas de cette écrivaine du Bengladesh menacée de mort par une fatwa d'islamistes à cause de sa condamnation des traditions de violence contre les femmes ; de ce professeur soudanais pendu pour avoir enseigné que le Coran devait être lu avec un esprit critique. De tous ces intellectuels menacés dans pratiquement tous les pays d'islam pour la seule raison qu'ils n'adhèrent pas ou qu'ils combattent les idées rétrogrades des groupes islamistes, combien compte-t-on d'intellectuels assassinés dans les pays d'islam pour les idées progressistes qu'ils défendaient ?
(A suivre)


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