1.2- De la tradition universitaire : l'épopée de l'esprit à travers les siècles de fer et de feu 1.2.1. La basse et la haute antiquité : le rayonnement du génie Il est coutume de faire remonter les premières institutions d'enseignement universel à l'âge d'or de la Grèce antique, avec Platon et son académie, Aristote et son lycée, Epicure et son jardin, les stoïciens et leur portique. Académie vient du grec akademia, en hommage à Akademos, cet Athénien propriétaire du domaine comprenant un jardin avec galerie couverte attenant à un gymnase, dans lequel Platon avait coutume de dispenser son enseignement. Depuis, on a pris l'habitude de désigner l'école de Platon par ce thème et ultérieurement, à la renaissance, les sociétés savantes qui tenaient leurs assises régulièrement pour confronter et échanger leurs connaissances, à l'instar de l'académie de Florence, d'obédience néo-platonicienne. Ainsi, l'académie de Platon, fondée à Athènes vers 390 av. J.-C., connaîtra une longévité remarquable puisqu'elle ne fermera ses portes qu'en 529 ap. J.-C., sur ordre de l'empereur Justinien. Quant au lycée du grec «lukeion», il désigne le gymnase situé hors d'Athènes, dont le nom signifiait, «endroit des loups» et dans lequel Aristote, le fondateur de la logique et de la systématique, enseignait généralement en marchant. De là, dérive l'autre désignation de cette institution, le péripatos, du grec «péripatein» qui veut dire se promener, tout comme la désignation d'école «peripateticienne». De la même façon, la «stoa» fait référence à cette grande galerie couverte qui servait de promenoir public dans une grande place d'Athènes, la «stoa poikilé» ou galerie colorée, car ornée d'œuvres de peinture. Zénon de Kition, le fondateur de l'école, ne disposant pas de ressources suffisantes, prit l'habitude d'utiliser ce bâtiment public pour y assurer son enseignement. Cette école, en opposition radicale avec l'académie et le peripatos, ayant de fortes affinités avec l'école des Cyniques et un peu moins avec l'épicurisme, va durer jusqu'au IIIe siècle ap. J.-C. Pour ce qui était des écoles de médecine proprement dites pendant la période classique, on avait les deux grandes écoles rivales de Cos, une île de l'archipel du Dodecanèse, dans la mer Egée, et de Cnide, une ancienne ville d'Asie mineure sur la mer Egée. La première était célèbre par l'enseignement d'Hippocrate, ce contemporain de Platon, avec son approche glovaliste, synthétiste, dynamiste, humorale et vitaliste, alors que la seconde était plus analytique, solidiste, morphologiste, en un mot plus mécaniste, pour reprendre une terminologie moderne. Durant la période Hellénique, pendant que Cos et Cnide continuaient à enseigner, une autre école prestigieuse allait ouvrir ses portes, celle d'Alexandrie, la ville fondée en Egypte conquise par Alexandre le Grand en 332 av. J.-C. Dix années plus tard, à la mort du grand conquérant, son empire se disloqua et l'Egypte tomba sous la coupe des Ptolémées, de la dynastie grecque des lagides, qui régnèrent sur les terres pharaoniques pendant près de trois siècles (de 323 à 30 av. J.-C.) et comptèrent pas moins de seize souverains. L'école d'Alexandrie aura été l'œuvre du premier et du plus célèbre d'entre eux, Ptolémée, 1er Sôter. Cette école se distinguera particulièrement en philosophie, avec Philon d'Alexandrie (13 av. J.-C., 50 ans ap. J.-C.), qui avait tenté de concilier la pensée platonicienne avec la loi mosaïque et Plotin (205 à 270 ap. J.-C.), chef de file du néo-platonisme, en même temps que sa figure la plus marquante qui, avec ses «ennéades», influencera considérablement la philosophie chrétienne et notamment son plus célèbre représentant, Saint-Augustin (354-430 ap. J.-C.), ce proto-algérien d'exception, si souvent méconnu sur la propre terre de ses ancêtres. Cette école connaîtra une longévité comparable à celle de l'académie de Platon, car elle ne fermera ses portes qu'en 640, date de la conquête de la ville par les Arabes. 1.2.2. La période médiévale : le conservatisme scolastique Le moyen-âge est cette période de l'histoire qui s'étend de l'effondrement de l'empire romain d'Occident (476 ap. J.-C.), consécutif à la prise de Rome par Alaric 1er (410 ap. J.-C.), jusqu'à la prise de Constantinople en 1453 par les Ottomans, qui marque la fin de Byzance. Il est dominé par deux grands ensembles civilasationnels, morcelés par la géographie. Le premier est représenté par l'empire arabo-musulman avec ses deux pôles successifs de rayonnement, l'Orient arabe (Damas et Baghdad) puis l'Occident arabe (le Maghreb et l'Andalousie). Le second est représenté par l'empire romain d'Orient et l'Occident chrétien, opposés depuis le grand schisme d'Orient de 1054, à la suite du conflit entre le pape Léon IX et le patriarche de constantinople Michel Cerulaire et des anathèmes qui furent prononcés. Dans ce qui sera le monde arabe, dès le Ve siècle, les nestoriens chrétiens traduisent les manuscrits grecs en syriaque, notamment dans la ville d'Edesse qui est également le siège d'une école de médecine. Après la migration des Nestoriens en Perse, cette activité se déplacera à Gondichapour qui deviendra une grande école de médecine, avec un enseignement clinique dispensé dans les hôpitaux de la ville, appelée Academia Hippocratica. Dès le VIIe siècle, d'autres écoles seront créées à Damas, Antioche et Baghdad. Après le VIIIe siècle, c'est au tour de l'Espagne musulmane d'ouvrir des écoles de médecine dont les plus célèbres seront celles de Tolède et de Cordoue. Cette dernière comptera dans ses rangs, outre Ibn Rochd, un autre grand médecin connu surtout comme philosophe et théologien, Maïmonide (mort en 1204), «l'aigle de la synagogue» qui avait tenté de concilier judaïsme et aristotélisme. En Afrique du Nord, c'est au IXe siècle que les princes Aghlabites fonderont à Kairouan l'école du même nom. Cette fondation unique en son genre, dénommée Dar el Hikma (la maison de la sagesse) s'assurera notamment les services d'Ibn Amrane, éminent médecin originaire de Baghdad, à qui l'on doit, entre autres une remarquable description de la mélancolie, dont le manuscrit est actuellement la propriété de la bibliothèque de Munich, ainsi que ceux d'Ibn Al Djezzar, le célèbre médecin d'origine berbère. Dans le monde chrétien, la fermeture de l'académie platonicienne d'Athènes en 529, sur ordre de l'empereur Justinien, marque symboliquement la fin du règne officiel de la philosophie antique et l'avènement de la philosophie médiévale chrétienne, d'autant que simultanément, le premier ordre monastique, celui des Benedictins, voit le jour. Désormais, dans l'Occident chrétien, ce seront les couvents et les monastères, sous l'autorité d'ordres religieux, qui animeront la vie culturelle, en s'imposant pour longtemps comme les uniques centres d'enseignement et foyers de rayonnement intellectuel. A ce propos, il convient de souligner l'importance cruciale des moines copistes du moyen-âge dans la conservation et la reproduction des anciens manuscrits, rares et précieux. Cet enseignement, essentiellement théologico-philosophique, se basait sur la méthode scolastique (de «scola», école en latin) mise au point par Pierre Abelard. Celle-ci avait été conçue pour concilier foi et savoir, vérité révélée et connaissance, s'assurer de la conformité des données de cette dernière aux préceptes et enseignements du dogme chrétien et, si nécessaire, être en mesure de justifier rationnellement la véracité de la révélation. La question fondamentale qui taraudait l'esprit des philosophes médiévaux avait trait à la querelle des universaux. Les concepts généraux renvoient-ils à une réalité propre (le réalisme conceptuel) ou découlent-ils seulement de la pensée et du langage (nominalisme) ? Ce n'est qu'à partir du XIIe siècle qu'on assistera à l'émergence des premières universités en Europe, qui viendront relayer les monastères comme centres de diffusion du savoir. La médecine sera enseignée alors dans les universités au même titre que la théologie, le droit et l'enseignement général. Ce dernier, hérité de l'antiquité qui en avait fait une propédeutique à l'étude de la philosophie, était constitué des sept arts libéraux, partagés en deux cycles. Le cycle inférieur correspondait au «trivium» (la triple voie) et comprenait les arts oratoires (grammaire, rhétorique et dialectique) des sophistes grecs. Le cycle supérieur correspondait au «quadrivium» (quadruple voie) et comprenait les arts du «calcul» qui se constitueront ultérieurement en disciplines mathématiques (arithmétique, géométrie, astronomie) et la musique, dérivée de l'acoustique, la science harmonique rationnelle, héritage des pythagoriciens. L'algèbre ne sera intégrée au cursus qu'au XVIIe siècle en Italie, alors que le premier ouvrage y traitant, œuvre du savant arabe El Kharezmi, datait déjà du XIe siècle. Cela dit, la première école de médecine européenne a été fondée en Italie du Sud, à Salerne, la «civitas hippocratica» qui connaîtra un rayonnement et un prestige considérables. Si la doyenne des universités européennes se trouve être Bologne (XIe siècle), elle sera suivie au XIIe siècle par Londres, avant qu'au XIIIe siècle n'arrivent dans l'ordre Palencia, Paris, Padoue, Naples, Toulouse, Monpellier, Coimbra, Salamanque et Valladolid, avant d'être suivies de Gottingen, Leyde, Bâle, Heidelberg, Edimbourg, etc. Toutefois, la première faculté de médecine qui ouvrira ses portes au sein de toutes ces universités, sera celle de Montpellier, au début du XIIIe siècle. Ces universités étaient au début des fondations ecclésiastiques qui se sont laïcisées progressivement. Ainsi, après avoir été enseignée longtemps sur le modèle du campagnonnage en vigueur dans l'ordre corporatiste médiéval, et l'on sait tout ce que la chirurgie doit aux barbiers de Paris, la médecine revêtira ses lettres de noblesse en acquérant droit de cité dans l'enceinte universitaire. (A suivre)