Ces données de l'évolution économique doivent orienter l'école vers un double objectif : donner à chaque enfant le maximum de culture générale que ses capacités lui permettent d'assimiler, mais aussi lui ouvrir tous les horizons possibles sur la vie économique. Il devient indispensable qu'au cours de sa scolarité, l'enfant soit amené à se faire une idée de l'éventail et du contenu des activités professionnelles, à exprimer ses goûts, à connaître les conditions d'accès aux différents niveaux de qualification. Cette tâche déborde largement la mission des conseillers d'orientation. Elle implique une conception nouvelle des programmes et des méthodes d'enseignement. A ce changement profond de la fonction économique de l'école correspond un changement tout aussi profond de sa fonction sociale. Jusqu'à nos jours, l'école transmettait à la masse des enfants les notions élémentaires et les attitudes sociales indispensables pour qu'ils trouvent place dans la société existante, mais insuffisantes pour qu'ils soient en mesure de la faire évoluer. L'effort de promotion ne concernant qu'une petite minorité destinée à constituer l'élite de la nation. Autres méthodes, autres valeurs : à ce niveau seulement a été institué un enseignement de culture visant à former le jugement, la créativité, l'esprit critique. Le contenu culturel, le style même de la pédagogie ont ainsi contribué, tout autant que les structures institutionnelles, à renforcer les hiérarchies sociales, en dépit des beaux principes si souvent invoqués sur l'égalité devant l'instruction. Mais une certaine réduction des écarts entre les niveaux de vie, les progrès de l'information, la généralisation des aspirations culturelles ont créé une situation nouvelle dans tous les pays industriellement développés. Désormais se trouve posé le problème d'une éducation de masse au niveau de enseignements postélémentaires, et bien au-delà si l'on songe que l'adaptation à un monde en constante évolution impose un renouvellement permanent des connaissances acquises au cours de l'enfance. Prise en charge de la personnalité totale de l'enfant Une telle éducation ne peut plus se limiter à transmettre des connaissances, ni même à développer des habitudes intellectuelles. Elle doit prendre en charge la personnalité totale de l'enfant pour éveiller son sens culturel, soutenir ses efforts, élargir ses intérêts et déterminer progressivement son orientation. Aussi nous devons organiser pour cette tâche nouvelle une équipe pédagogique qui comprend à côté des enseignants des diverses disciplines le conseiller-psychologue, le médecin scolaire, l'assistante sociale. Former le père ou la mère de famille, le participant actif des multiples organismes sociaux, politiques, culturels, qui constituent les cellules de base d'une société démocratique, bref le citoyen conscient et responsable devient avec la préparation à la vie professionnelle l'un des deux principaux objectifs de l'école. Ici encore, ce qui se faisait spontanément dans le cadre familial et local doit être assumé par l'école. Ici encore s'impose la double nécessité de la culture générale, mais d'une culture ouverte sur les réalités du monde présent. L'école a enfin pour fonction de développer chez chaque enfant toute la perfection dont il est capable. On a souvent envisagé cette fonction de manière abstraite, comme si la personnalité de l'enfant était faite d'aptitudes innées, sans tenir compte des expériences plus ou moins riches, des occasions plus ou moins favorables que lui a procurées son milieu familial. Nous savons aujourd'hui que la formation de l'être humain est beaucoup plus grande qu'on ne l'imaginait jadis. L'école ne peut donc plus se contenter d'enregistrer les inégalités que l'on constate au départ. Il lui appartient de trouver les nouvelles formules pédagogiques qui permettent à chaque enfant de manifester, fût-ce tardivement, le maximum de ses possibilités. Par le biais de l'orientation scolaire et professionnelle, c'est le problème même de l'éducation scolaire et de ses finalités professionnelles, sociales, humaines, qui se trouve posé. Assurément, tout enseignement et spécialement tout enseignement de culture suppose un recul et, si l'ont veut, un «désintéressement» par rapport aux sollicitations immédiates de la vie ; sans ce recul, il n'est pas d'intelligence de la nature et de la société. En ce sens, on peut accepter la formule selon laquelle «l'école doit tourner le dos à la vie». C'est en isolant l'enfant des préoccupations et des luttes des adultes que l'école peut enrichir ses connaissances, lui apprendre à regarder plus loin, assurer son plein épanouissement. On conçoit que l'école ait été valablement considérée comme un lieu retiré, abstrait. Cette conception de l'école correspondait parfaitement à la situation ancienne. Il suffisait alors que l'enfant retourne à la vie pour y trouver tout naturellement son métier et sa place dans la collectivité. Mais, nous l'avons vu, l'enfant, disons maintenant l'adolescent, ne passe plus si facilement de l'école au métier et aux engagements dans une société devenue très complexe. C'est dans la mesure où l'école fournira à l'adolescent des éléments culturels qui lui permettront de construire ses perspectives et de comprendre le monde nouveau qui s'organise autour de lui, où elle saura susciter chez lui les attitudes requises pour y jouer un rôle actif, qu'elle aidera l'homme à dominer la civilisation technicienne.(A suivre)