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Il était une fois l'ethnographie…
Publié dans El Watan le 18 - 11 - 2004

La vie de Germaine Tillion, née en 1907 dans un village breton, a été marquée par trois grandes périodes principales : l'Aurès des années 1930, la Résistance et la Déportation ; à nouveau l'Algérie au moment de la guerre de Libération nationale.
L'ethnologue française, spécialiste des Aurès, auteur du célèbre Le Harem et les cousins (1966 aux éditions Le Seuil, épuisé) a publié aux éditions Le Seuil, en janvier 2000, Il était une fois l'ethnographie. Pour l'écrire, elle utilise ses brouillons et ses souvenirs. Il était une fois l'éthnographie, c'est l'histoire d'une rencontre, celle de Germaine Tillion avec l'Aurès et les Chaouias.
Germaine Tillion découvre l'Aurès en 1934
L'ethnologue découvre les Aurès en 1934. Elle avait 25 ans. Etudiante de Marcel Mauss à l'institut d'ethnologie, elle effectue dans l'Aurès six ans de mission.
De ce séjour, elle rapporte des notes et deux thèses de doctorat qui ont disparu pendant sa déportation à Ravensbrück en 1943. Pour Germaine Tillion, l'Aurès, «c'est l'histoire d'une amitié avec le peuple algérien. J'ai été reçue partout comme quelqu'un de la famille. Dans ce livre, je reprends tout ce que j'avais écrit de scientifique sur l'Aurès. J'avais recensé les parentés de tous les groupes de l'Aurès entre eux, les farkas. Cela permettait de restituer les différents occupants de l'Aurès. J'avais noté tout ce qui était considéré par la population comme essentiel. Ces documents représentaient mes thèses de doctorat.» (Interview qu'elle nous avait accordée fin 1999). «Je n'ai pas connu une Algérie, j'ai toujours connu des Algérie. C'était le cas en 1934. Il y avait déjà plusieurs Algérie. Les Français d'Algérie, c'était une Algérie. C'étaient des gens qui étaient aussi des migrants, comme les migrants algériens qui sont actuellement en France. J'ai considéré qu'ils avaient, au fond, construit quelque chose en Algérie. Et ce quelque chose était valable. C'était leur existence. C'étaient des pieds-noirs comme on dit, comme on ne disait pas encore en 1934. J'ai entendu ce mot pour la première fois après 1954.» (interview op cit). Et d'ajouter : «Je suis persuadée que les migrations massives d'Algériens en France ont été un élément déclencheur de la Révolution en Algérie.» (interview op cit). Germaine Tillion entre dans la résistance dès juin 1940. Avec, entre autres, Pierre Brossolette, elle crée et anime le réseau du musée de l'Homme qui travaille à l'évasion de prisonniers et au renseignement. Arrêtée en 1942, elle est déportée en camp de concentration en 1943. Sa mère est morte au camp de Ravensbrück. Sa grand-mère, elle-même, a été arrêtée, en 1942, à quatre-vingt-onze ans.
De sa libération du camp de Ravensbrück en 1945 à 1954, elle travaille à recueillir des témoignages sur les crimes nazis.
En 2000, Germaine Tillion reçoit des mains de Geneviève Antonioz de Gaulle, présidente de l'Association des déportées et internées de la Résistance, la grande croix de la Légion d'honneur pour ses positions humanistes et les combats justes qu'elle a menés. Germaine Tillion revient en Algérie en 1954, crée les centres sociaux et rentre en France en 1956.
Création des centres sociaux
L'objectif des centres sociaux est de «permettre à un pays dans son ensemble, et grâce à sa jeunesse, de rattraper les retards techniques qu'on appelle “sous-développement”. Dans un langage plus simple cela veut dire : vivre», écrivait Germaine Tillion dans Le Monde le 18 mars 1962 dans un texte intitulé «La bêtise qui froidement assassine», trois jours après l'assassinat par l'OAS de Mouloud Feraoun et de ses cinq collègues enseignants, responsables de centres sociaux à Alger.
«Je voulais augmenter les ressources de chaque famille et, essentiellement, donner aux enfants algériens, filles et garçons, une instruction équivalente à celle que recevaient les enfants français. Dans les centres sociaux installés à la campagne, il y avait aussi un spécialiste de l'agriculture, parce que mon idée n'était pas d'envoyer tout le monde en ville, mais de faire vivre mieux les gens à la campagne. Et s'il n'y a pas moyen d'y vivre, alors, on doit pouvoir vivre en ville. Mais cela veut dire qu'il faut valoriser la campagne», nous disait-elle (interview, op cit). Dans les dernières pages de L'Afrique bascule vers l'avenir, Germaine Tillion écrit que «l'on peut déjà prévoir que la barque algérienne tiendra mal la mer». L'ethnologue considère que le bien-être des populations, particulièrement des femmes, passe par l'éducation, par une répartition équilibrée des ressources. «On risque le pire si l'accaparement des ressources est entièrement le fait de quelques-uns.» Elle écrit : «Je découvris alors (à Alger, ndlr) les rouages d'un colonialisme vivace, obstiné, entreprenant et attaché à des intérêts contraires à ceux de la majorité, c'est-à-dire du bien public.» Elle dénonce la «minorité de colons qui voulait tout accaparer», qui «avait une main-d'œuvre qu'elle exploitait et qu'elle voulait garder», qui «avait des privilèges, de l'argent et des relais qui, à Paris, exerçaient des pressions sur les députés.» «La grande erreur de l'Etat français a été de ne pas abolir les privilèges et donner les mêmes droits à tous.»
La première à utiliser le terme de clochardisation
Germaine Tillion est la première à utiliser le terme de clochardisation. Dans La Traversée du mal, elle explique que «la clochardisation, c'est le passage sans armure de la condition paysanne (c'est-à-dire naturelle) à la condition citadine».
Anticolonialiste, Germaine Tillion a inlassablement lutté pour la paix entre l'Algérie et la France. Elle revient en Algérie en juin 1957 avec une commission internationale d'enquête sur les lieux de détention français en Algérie. En juillet 1957, en pleine Bataille d'Alger, elle favorise le premier contact entre les dirigeants du FLN et le gouvernement français (qu'elle raconte dans Les Ennemis complémentaires, et ensuite dans ses entretiens avec Jean Lacouture : La Traversée du Mal.
«En 1957, j'ai essayé que l'on arrête la guerre, qu'on ait une négociation et que l'Algérie décide librement de son sort. C'est Geneviève Antonioz de Gaulle qui me servait d'intermédiaire avec son oncle (le général de Gaulle, ndlr), qui lui portait mes lettres», nous avait dit Germaine Tillion (interview op cit). «Lorsque la torture s'est généralisée, j'ai été alertée par mes amis algériens. J'ai alors pris contact avec mes camarades de déportation.» (interview, op cit). «J'avais rencontré Yacef Saâdi et ses camarades à leur demande. Quand ils ont été arrêtés, j'ai fait une déposition. Ils ont eu la vie sauve. Je m'étais attachée à sauver la vie des Algériens» (interview op cit). Pour ce faire, elle faisait intervenir des gens connus, des intellectuels. «C'est comme cela que j'avais tous les numéros de téléphone de Camus pour lui signaler les Algériens en danger de mort», nous disait-elle encore.
Elle est intervenue auprès d'Edmond Michelet, ministre de la Justice (qu'elle avait connu dans les camps de déportation nazis), pour qu'il mette fin à la peine de mort contre les militants nationalistes pendant la guerre d'Algérie. Germaine Tillion fonde en 1963, aux côtés d'Edmond Michelet, l'association Amitié France-Algérie, que préside actuellement Bernard Stasi.
PARCOURS
Germaine Tillion a publié Ravensbrück (1946), L'Algérie en 1957 (1957), Première résistance en zone occupée. Du côté du réseau du musée de l'Homme (1958), L'Afrique bascule vers l'avenir, Les Ennemis complémentaires (1960), Le Harem et les cousins (1966), La Traversée du mal (1997), Il était une fois l'ethnographie (2000). Jean Lacouture lui consacre une biographie Le témoignage est un combat.


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