Mercredi 28 en soirée, au septième étage de M' Suite Hôtel qui vient d'ouvrir ses portes à l'orée de Dar El Beïda, on se presse dans la grande salle polyvalente. Une dominante nette de trentenaires sur leur trente-et-un, très smart mais décontractés, où les costumes ne dédaignent pas les jeans et, chez les jeunes femmes, une diversité d'élégances parfois très simples. Une première impression de mondanité cool qui laisse penser au bal de fin de promotion d'une grande école. Même les quadras, quinquas et plus, disséminés dans la petite foule, semblent camper les rôles de professeurs et administrateurs qui accompagnent généralement ce genre de fête. Mais pas d'orchestre, sinon un guitariste talentueux au fond de la salle qui parvient à faire agréablement flotter ses notes au-dessus des têtes. On discute en duos, trios et groupes qui se font et se défont autour des sodas et petits fours. Pas non plus de remise de diplômes ou autres rituels académiques. On continue à discuter, à rire, à se présenter l'un à l'autre, à former de nouveaux groupes. Parmi les présents, quelques têtes connues : le journaliste Khaled Drareni, l'administratrice des éditions Sedia, Zohra Guemoune, le photographe Ben, l'architecte Halim Faïdi, la jeune galeriste Amel Rougab, le plasticien El Moustache reconnaissable entre mille avec son turban, Mira Gacem, la fondatrice de la revue Babzman… Passée la période de salamalecs et de bla-bla dans un gentil brouhaha, on entre dans le vif du sujet, soit le troisième round de INcommunity qui coïncide avec l'inauguration de l'établissement. Les deux entités ont décidé de marquer ensemble ce moment pour souligner la convergence de leurs visions et pratiques. INcommunity ou, disons, «la communauté à la page». Son aventure a commencé voilà deux ans dans un café d'Alger avec un quintuor d'amis qui se sont retrouvés à dix puis à quinze jusqu'à ce que le lieu ne soit plus en mesure de les accueillir. Il fallait un autre écrin à une dynamique qui promettait et a tenu ses promesses puisque les cinq initiateurs ont désormais fédéré autour d'eux quelque 140 individus sans compter 150 autres en leur qualité d'Amis de la communauté. C'est Chamseddine Bezzitouni qui nous relate ces débuts, précisant le caractère apolitique de la démarche. Il hésite sur la dénomination de son rôle : «Nous n'avons pas d'existence juridique pour l'instant. Disons, porte-parole alors.» Il ajoute que le centre d'intérêt de INcommunity est «l'économie numérique au sens large» et quand nous lui demandons ce que signifie cette largesse, il répond : «Dites-moi quelle activité de nos jours n'est pas concernée par le numérique. A la limite, c'est un pléonasme de dire économie numérique !» Sur son site, la communauté précise que son domaine englobe «le numérique, les métiers du web, la communication, l'art, la culture, la gestion d'entreprise et l'entreprenariat». Il est déjà nouveau que, dans notre société, des éléments actifs de cet univers ressentent et assument le besoin de se fédérer. Applications Plus encore, le fait d'y associer l'art et la culture. En témoigne le thème de cette session qui ne concerne pas moins que la passion. Que vient faire ici ce sentiment à haut voltage, parfois dangereux mais indispensable énergétiquement à la poursuite d'un dessein important ? Nous est revenue en mémoire cette phrase de Champollion, génial déchiffreur des hiéroglyphes de l'Egypte ancienne, qui clamait : «Seule la passion est la vraie vie.» Le jeune et éloquent Nassim Harkat a ouvert ce bal des idées en présentant son expérience qui évolue entre marketing, anthropologie et poésie du voyage. Sa passion l'a conduit à visiter de nombreux pays. De là, abandonnant une carrière bien débutée, il a créé sur Instagram le compte «Kabti Hkayti» (Mon cabas, ma vie). Pour lui, INcommunity est avant tout «un espace de rencontre et de partage qui, dans le monde de la nouvelle économie, s'inspire de la tradition des salons littéraires et des cafés philosophiques». Nous avons trouvé la même passion chez la sémillante Chahrazad Krachemi, à la fois responsable des ventes et de la distribution dans une multinationale et comédienne apparue notamment dans la série télé El Khaoua (Les frères). D'abord amie de la communauté, elle en est devenue membre ou «fédérée» pour reprendre l'expression de Chamseddine. Cette présence lui donne accès à «l'expérience des chefs d'entreprise et des artistes à la fois». Amine Ouanes dirige une entreprise de communication digitale. C'est lui qui a conçu le site de INcommunity dont il tire un double avantage : plus de visibilité pour son entreprise et une meilleure évolution de sa personne à travers les groupes de réflexion. Rym Amari est présentatrice sur la chaîne Chourouk News. Cette «géophysicienne principalement et ancienne Miss Algérie accessoirement», précise-t-elle avec humour, a trouvé dans la communauté un cadre d'enrichissement de ses contacts humains, une multiplication de ses échanges intellectuels et amicaux et, en tant que journaliste, la disponibilité d'informations variées indisponibles ailleurs. Pour sa part, Yanis Annad, qui a créé l'application «Tournoi.dz» permettant à des footballeurs amateurs de trouver avec qui et où jouer des matches de loisir, s'est lancé dans l'exportation. Désormais, c'est entre Alger et Hong Kong qu'il gravite, exportant de l'eau minérale et des produits agricoles algériens vers la mégapole chinoise. Le parcours atypique de ce jeune entrepreneur est représentatif de l'état d'esprit qui règne dans le réseau INcommunity. Croisements De la passion mais aussi de l'imagination et un désir d'avancer à l'échelle des nouveaux enjeux de la mondialisation. Naïma Abbas résume bien cet élan : «Nous sommes pris dans notre société par le pessimisme et la fatalité. Pour moi, la communauté, c'est avant tout une réaction à la négativité, un pôle de positivité et, oui, une centrale d'énergie et d'espoir.» Des propos qui font écho à l'appel de Fodil Seddiki pour «mettre fin à la médiocrité». Etant le designer de M' Suite Hôtel, il pouvait se permettre de tels propos, son travail admirable témoignant pour lui. L'établissement en effet, dont la jeune et brillante manager, Meriem Bisker, a supervisé les travaux, est l'expression même d'une capacité à intégrer aux impératifs contemporains du marketing hôtelier des valeurs de la culture algérienne. Chacune des chambres, en fait des studios et appartements, présente un décor unique inspiré d'un élément du patrimoine national et dotée des meilleurs équipements. L'hôtel se positionne d'emblée dans une démarche d'excellence qui met en valeur la création algérienne. Il dispose entre autres d'une bibliothèque-librairie consacrée à l'édition nationale. Et c'est avec fierté que Meriem Bisker a pu affirmer sa passion et souligner que tout a été conçu et réalisé par des Algériens. Nous avons laissé cette belle rencontre après une dégustation offerte par l'imaginatif chef, Rabah Ourad, ancien leader du groupe de rap MBS. Ces croisements entre art culinaire, culture, entreprenariat, musique, esprit de rencontre et d'échange ne pouvaient avoir lieu que sous les auspices de la passion, toute l'expression d'une partie de la nouvelle génération qui veut vivre dans son pays et le faire avancer pour qu'une autre partie n'ait pas à s'en chercher un autre au péril de sa vie.