Ce nouveau texte est venu améliorer la réglementation d'un domaine qui a pris des dimensions alarmantes depuis surtout une décennie. I – Traits distinctifs de la loi 04-18 Ces traits sont au nombre de huit et se rapportent aussi bien à la procédure qu'au fond. A- Sur le plan de la procédure d'abord, le texte se signale par l'extension qu'il apporte en matière de compétence, dans la qualité d'officier de police judiciaire et dans le seuil de garde à vue. 1 – En matière de compétence, l'article 35 de la loi étend le champ de compétence des juridictions algériennes sur trois plans. D'abord en poursuivant toute personne physique, algérienne ou étrangère, ayant commis un des délits en Algérie. Ensuite, en soumettant aux juridictions algériennes les personnes morales de droit algérien même domiciliées à l'étranger. Enfin en instituant un seuil minimal aux poursuites : la commission d'un seul élément de l'infraction en Algérie. 2 – La loi 04-18 étend la qualité d'officier de police judiciaire en l'attribuant à deux nouvelles autorités, les ingénieurs agronomes et les inspecteurs de pharmacie (art.36). 3 – Enfin, ladite loi (art.37/3) prolonge trois faits le délai de garde à vue qui passe ainsi de 48 heures à 144 heures, soit six jours. B – Quant au fond, cinq traits marquent la loi 04-18 : 1 – Cette loi, contrairement à la précédente, la loi sanitaire de 1985, se veut plus harmonieuse avec le droit international. D'abord, le texte évoque pour la première fois la notion de psychotrope. Ensuite, la nouvelle loi fait expressément référence aux tableaux de classification annexés à la Convention de 1961 modifiée par le Protocole de 1972 sur les stupéfiant (2) et ceux annexés à la Convention de 1971 sur les psychotropes (3). Ces classifications appellent deux remarques : 1.1) ce sont des classifications juridiques, c'est-à-dire qu'elles sont l'œuvre du législateur (international) qui décide, lui, quelle substance est stupéfiante et quelle substance est psychotrope. Ainsi, la décision de classement revient au législateur et la classification psychopharmacologique établie en 1957 par les docteurs Delay et Deniker (4), sert uniquement de support ou de référence à l'action du législateur. Rappelons que pour la classification psychopharmacologique qui donne au concept de psychotrope une acception plus large que celle accordée par le législateur, les substances psychotropes (tropisme, syn.taxie = action attractive ou répulsive sur le protoplasme) sont classées en trois catégories (5) : a) Les psycholeptiques ou dépresseurs du système nerveux central (SNC) comprennent les analgésiques opiacés (opium, morphine, héroïne, codéïne…), les anxiolytiques à base de benzodiazépines (diazépam…) ou de carbamates (méprobamate…), les hypnotiques barbituriques (barbital, penthotal…) et non barbituriques (benzodiazépines, méthaquolone, chloral…), les neuroleptiques (phénothiaziniques) et autres (antihstaminiques). b) Les psychoanaleptiques ou stimulants du SNC comprennent : les stimulants de vigilance (amphétamines, cocaïne, kath, caféïne, nicotine…) et les stimulants de l'humeur (antidépresseurs…) c) Les psychodysleptiques ou perturbateurs du SNC comprennent : les dérivés du cannabis (marijuana, haschich, tétrahydrocarnnabinol ou THC…), les hallucinogènes (LSD-25, mescaline, psylocibine…), les cyclophylamines (phencyclidine, PCP), les solvans volatils des colles (toluène, acétone), les essences et les dissolvants, l'alcool éthylique et les dérivés anticholinergiques (alcaloïdes de belladone, antiparkinsoniens). Voici donc pour la première remarque que suscite la classification des tableaux annexés aux Conventions de 1961 et de 1971. 1.2) – Deuxième remarque que suscite cette classification, son caractère indicatif. En effet, les quatre tableaux de la Convention de 1961 sur les psychotropes et les quatre de celle de 1971 sur les psychotropes ne sont pas immuables. Ils sont amenés à être complétés et modifiés par les législations internationales selon les progrès acquis de la science, soit en opérant le classement d'une substance nouvelle, soit en déclassant une substance nouvelle, soit en déclassant une substance existante en lui changeant de régime (de stupéfiant à psychotrope pour exemple), soit en la supprimant carrément d'un tableau. C'est ainsi que, s'agissant de complément de tableau, le ministre algérien de la Santé a, par arrêté n°97 du 1er octobre 1996, inclus deux substances psychotropes, la bubrénomorphine et le flunitrozépam dans le tableau III de la Convention de 1971 (6). Par le même texte, le ministre a inclus dix substances psychotropes dans le tableau IV de la même Convention, parmi lesquelles deux à base d'acide barbiturique et huit appartenant à la famille des benzodiazépines (7). Par ailleurs, un autre arrêté de la même date, le n°98, complète les tableaux I et II de la Convention de 1971 en y incluant six substances classées comme stupéfiant dans le premier, dont deux sels de morphine et de pétidine, et deux autres substances classées comme stupéfiant dans le deuxième que sont la codéïne et la pholcodine (8). Ainsi, le critère de classement n'est pas rigide et une substance qui est aujourd'hui classée comme stupéfiant peut ne pas l'être demain et vice-versa. C'est donc la volonté du législateur qui détermine le classement ou l'interdit. Ceci nous amène à dire que le classement psychopharmacologique n'a qu'une valeur de référence devant le classement juridique, outil du législateur offrant seul le caractère coercitif. 2 – Deuxième trait marquant de la loi 04-18, son institution d'un cadre juridique autonome des stupéfiants et psychotropes. En effet, ces deux domaines étaient, jusque-là, régis par la loi no 85-05 du 16 février 1985 relative à la protection et à la promotion de la santé (9) qui leur réserve le chapitre II intitulé «Dispositions pénales relatives aux produits pharmaceutiques» (art. 241 à art. 259). Le mérite de la nouvelle loi est d'offrir une réglementation autonome qui met plus à l'aise le législateur d'une part, et qui marque davantage le caractère spécifique des stupéfiants et psychotropes et leur impact sur la santé physique et morale de la population, d'autre part. – 3- Troisième trait de la loi 04-18, son caractère répressif : a) Sur le plan fiscal d'abord, la nouvelle loi est marquée par le relèvement des seuils minima et maxima des amendes. Alors que le seuil minima dans la loi sanitaire de 1985 était de 5000 DA, il passe à 100 000 DA dans la nouvelle loi, hormis le cas prévu à l'article 12 relatif à la détention ou l'usage à titre personnel dont le seuil minima est maintenu à 5000 DA. Quant au seuil maxima, il est relevé dans plusieurs cas et l'amende le concernant est pour la personne morale cinq fois celle fixée à la personne physique pour atteindre 25 000 000 DA s'il s'agit d'infractions prévues aux articles 18 à 21. b – Sur le plan de la légalité des infractions et des peines, la loi 04-18 institue de nouvelles incriminations, tant de qualification criminelle que correctionnelle. Au nombre de quatre, les crimes institués sont : 1) la direction, l'organisation ou le financement des activités énumérées à l'article 17 (production, fabrication, offre, vente, préparation, distribution…) des stupéfiants et psychotropes (art. 18). 2) L'importation ou l'exportation illicites de ces substances (art.19). 3) La fabrication, le transport ou la distribution des précurseurs, c'est-à-dire les produits ou extraits servant à la fabrication des stupéfiants et psychotropes (art.21). C'est là l'une des innovations de la loi. 4) La criminalisation en cas de récidive si le délit est passible de 5 à 10 ans et de 10 à 20 ans d'emprisonnement (art. 27). Quant aux nouveaux délits institués, ils se ramènent à deux : 1) L'entrave aux agents chargés de la constatation d l'infraction dans leurs tâches ou leurs missions (art. 14). 2) l'administration des substances stupéfiantes ou psychotropes dans les aliments ou boissons (art. 15). Le hasard a voulu que cette disposition de la loi coïncide avec un fait relevé par la presse nationale (El Khabar, n° de mai 2005) et faisant état du décès d'un lycéen suite à la consommation d'un jus d'orange dans lequel ses camarades ont injecté une forte dose d'un psychotrope, sans doute dans un but d'amusement. Mais c'est un amusement mal placé qui dénote l'inconscience des élèves face aux conséquences d'un tel comportement : la drogue n'est pas un jeu. c – Troisième point relatif au caractère fortement coercitif de la nouvelle loi, l'élévation de la peine dans certains cas. En effet, la peine est doublée : 1) si le stupéfiant ou psychotrope est cédé illicitement à une catégorie de personnes protégées que sont un mineur, un handicapé ou une personne astreinte à une cure de désintoxication (art. 13/2). 2) En cas de récidive pour les autres cas non spécifiés par l'article 27 (art. 27/4). d – La sanction du complice comme le coupable (art. 23). e – L'exclusion de l'application de l'article 53 du code pénal relatif aux circonstances atténuantes dans cinq cas fixés par l'article 26. f – La mise en œuvre de la notion nouvellement consacrée en droit algérien, la sanction de la personne morale. A ce titre, la loi 04-18 élève au double la peine d'amende infligée à la personne morale. Cette peine peut atteindre cinq fois celle prévue pour la personne physique, s'il s'agit d'infractions prévues aux articles 13 à 17 (art. 25). La tendance à la sévérité qui marque la loi 04-18 est à notre sens amplement justifiée, eu égard aux dimensions alarmantes que prend le phénomène des drogues en Algérie ces derniers temps. A ne prendre en compte que la quantité de produits saisis à travers le territoire ces trois dernières années, les chiffres que nous avons obtenus en faisant la synthèse des quantités saisies quotidiennement et avancées par les quotidiens El Watan et El Khabar, sont résumés ainsi : Si l'on tient compte du chiffre avancé par la presse, et selon lequel la quantité de drogues saisie ne représente que 15% de la quantité réellement écoulée, les chiffres indiqués au tableau, revus en fonction du pourcentage réel, donneraient pour 2003, 21,753 t de stupéfiants et 815 873 comprimés de psychotropes, soit 40 973 boîtes. Pour 2004, 118,88 t et 315 533 comprimés, soit 15 776 boîtes. Pour 4,5 mois seulement de 2005, les stupéfiants seraient de 53 t et les psychotropes de 580 000 comprimés, soit 29 000 boîtes. On voit clairement l'ampleur du danger et, par conséquent, la sévérité de la loi 04-18 est selon nous tout à fait justifiée. 4 – Autre trait de la nouvelle loi, son aspect préventif qu'elle reprend de l'ancien texte. Cet aspect est traduit dans trois domaines. a – L'exemption des poursuites (art. 6) ou l'exemption facultative de la peine (art. 8/2) au profit de personnes qui se sont conformées au traitement médical de désintoxication. b – L'exemption de la peine au profit de la personne qui dénonce aux autorités compétentes toute infraction prévue par la loi avant toute exécution ou tentative (art. 30). c – La réduction de la moitié de la peine si, après déclenchement des poursuites, la dénonciation a permis l'arrestation de l'auteur ou complice de l'infraction ou la remise de la peine de 10 à 20 ans dans les cas prévus aux articles 18 à 23 (art. 31). 5 – Cinquième trait particulier de la loi 04-18, la notion de peine de sûreté qu'elle introduit et qu'elle appelle «incompressibilité de la peine». Aux termes de l'article 28 de la loi, la peine de sûreté est de 20 ans s'il s'agit d'une condamnation à perpétuité, des 2/3 dans les autres cas. II – Appréciations sur la loi 04-18 La loi 04-18 vient renforcer l'édifice législatif algérien en offrant un cadre juridique autonome et conforme aux données de l'heure à un domaine si sensible qu'est celui des stupéfiants et psychotropes. Cette loi, en faisant référence aux conventions internationales, consacre les règles de droit international qui, une fois adoptées et ratifiées, font désormais partie de l'ordonnancement juridique du pays. A ce titre, les conventions internationales priment la loi interne. C'est pourquoi, le rôle du législateur national est la mise en conformité des lois aux conventions et traités internationaux. A ce sujet, les rédacteurs de la loi 04-18 semblent observer les dispositions de la Convention des Nations unies contre le trafic illicite des stupéfiants et des substances psychotropes de 1988(10) qui fait obligation aux Etats de prendre les mesures utiles, législatives, entre autres, pour endiguer le fléau. Notes : (1) Jora n° 83 du 26 décembre 2004, pp. 3-7 (2) Cf. Nations unies, Recueil des Traités, Vol. 976, 1-14152, 1975, p. 168-171 (3) Cf. Nations unies, Convention de 1971 sur les substances psychotropes, New York, 1971 n° F. 78-XI-3, pp. 33-35 (4) Cf. Roux IM et Coll., Toxicomanies autres que l'alcoolisme, Encycl. Méd. Chir., Paris, Psychiatrie, 373 96, A 10,7-1983 (5) Cf. Zeroual Abdelhamid, «Stupéfiants et psychotropes, une législation défaillante», El Watan, 28 mai 1992 ; «Stupéfiants et psychotropes, l'état actuel du droit algérien», El Watan, 2 février 1998. (6) République algérienne démocratique et populaire, ministère de la Santé et de la Population, La Pharmacie, Documentation juridique, 1997, p. 260.Œ (7) Ibidem (8) Op. cit., p. 262 (9) Jora n° 8, 17 février 1985 (10) Adoptée par l'Algérie par décret présidentiel n° 95-41 du 28 janvier 1995