Tels sont les deux points essentiels du débat qui a eu lieu hier au siège de la fondation Ebert, à l'occasion de la journée d'étude ayant pour thème «Mères célibataires, enfance abandonnée, entre réalité et tabou» organisée par l'association nationale SOS femmes en détresse et le Centre d'écoute juridique et psychologique. La problématique a suscité un vif intérêt des participantes, en l'occurrence des psychologues, des juristes, des médecins et des militantes qui ont mis l'accent sur la non-reconnaissance de cette frange de la société victime d'une double violence. Comme cela a été bien souligné par Sabrina Ouared, chef de projet du Centre d'écoute juridique et psychologique, lors de son intervention sur le rôle de l'association SOS femmes en détresse et le Centre d'écoute dans la prise en charge des mères célibataires. Elle est revenue longuement sur les problèmes rencontrés par ces femmes, que ce soit pour leur admission à l'hôpital pour l'accouchement, dans leur insertion sociale, pour la prise en charge de leurs enfants, pour celles qui ont choisi de les garder, la scolarisation de ces enfants, etc. Sabrina Ouared a tenu à préciser que son association a dû intervenir dans tous ces cas de figure. «Nous avons eu à intervenir, entre autres, auprès de certains hôpitaux qui ont refusé de garder ces femmes sur le point d'accoucher», a-t-elle indiqué. Sur les centaines de mères célibataires prises en charge par l'association entre 2001 et 2002, 83,7% d'entre elles sont issues des wilayas du centre, 62% sont âgées entre 16 et 25 ans et 13% entre 36 et 45 ans. 67% sont d'un niveau scolaire moyen. D'après l'intervenante, 89% de ces filles sont sans emploi. «Ce qui détruit la thèse selon laquelle le milieu professionnel favorise les grossesses hors mariage», a-t-elle noté et d'ajouter que ces grossesses sont intervenues suite à des relation sexuelles non protégées avec un petit ami ou avec un fiancé lié par la fatiha. «C'est un cas que nous enregistrons souvent», a-t-elle indiqué. Le centre a eu également à accueillir des mères célibataires violées par des terroristes. Ces jeunes filles ont subi une triple violence du fait qu'elles avaient subi des viols collectifs, rejetées par leur famille et non reconnues par les institutions de l'Etat en tant que victimes du terrorisme. Le professeur Belkhodja, gynécologue, a, quant à elle, retracé l'histoire des mères célibataires depuis 1962. Un phénomène, d'après elle, qui a toujours existé, mais elle s'interroge si la situation a évolué positivement depuis cette date pour ces femmes. La réponse, on la retrouve tout au long de son intervention dans laquelle elle déplore que les mentalités ont finalement régressées. «Les mères célibataires étaient mieux protégées à l'époque par les textes de loi. Elles étaient mieux acceptées dans les services hospitaliers. Dans les années 1990, nous avons pu convaincre les intégristes (élus FIS) du quartier pour inscrire les enfants à l'état civil et non pas nos collègues de l'hôpital», témoigne-t-elle. A la clinique d'accouchement de Bab El Oued, où elle travaillait, les mères célibataires, a-t-elle relevé, étaient accueillies au septième mois de leur grossesse et elles sont prises en charge comme il est indiqué dans le code de la santé de l'époque. Après leur accouchement, ces dernières sont orientées vers le centre d'accueil. Les enfants sont généralement abandonnés et orientés par la suite vers les pouponnières, a-t-elle ajouté. Le professeur Belkhodja affirme qu'il n'y a jamais eu d'évaluation du nombre de ces mères célibataires. Certaines sources parlent de 3000 et d'autres avancent le chiffre de 5000. Une étude réalisée à Oran a révélé que 500 bébés ont été abandonnés en deux années dont 268 sur la voie publique en neuf mois. Pour le professeur Belkhodja, il est temps de demander une enquête nationale sur ce phénomène afin de réfléchir aux meilleures solutions. Elle propose également la présentation de la loi sanitaire élaborée par le ministère de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière en 2003, qui reprend les aspects sociaux du code de la santé concernant la protection de la mère et de l'enfant qui préconise, entre autres, la création de maison maternelle, développer la connaissance de la contraception, la pilule du lendemain, la formation des assistantes sociales et réfléchir aux meilleures dispositions légales pour les enfants abandonnés. «On ne peut pas limiter l'abandon d'une façon drastique tant que l'on n'offre pas à ces mères célibataires les conditions socioéconomiques appropriées», dira-t-elle. Un chapitre qui a fait réagir la juriste Nadia Aït Zaï, pour qui «l'abandon n'est pas réglementé en Algérie. On applique encore les lois françaises. Il faut produire des textes qui réglementent l'abandon définitif et l'abandon provisoire. Des textes qui viendraient aussi protéger cette catégorie de femmes considérées encore comme responsables de tous les maux sociaux». Un groupe de travail a été créé pour justement penser aux mécanismes à mettre en place afin d'assurer une prise en charge pour les mères et les enfants. Ce groupe soumettra aux autorités concernées une série de propositions.