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La télévision, deux ou trois choses que je sais d'elle. (2e partie et fin)
Publié dans El Watan le 29 - 11 - 2005

Devant, à la fois, continuer de produire par ses propres moyens, acheter des programmes sur le marché extérieur, et acquérir des produits nationaux avec un budget qui n'a pas connu une évolution significative, l'ENTV et ses deux prolongements satellitaires (Canal Algérie et C3), dans la mesure où ces deux derniers ne disposent jusqu'à l'heure actuelle d'aucune autonomie décisionnelle financière, se trouvaient devant un dilemme.
Avaleuse de programmes, comme toutes les chaînes TV de par le monde, elle avait besoin d'apports en production nationale privée, mais faute de moyens financiers appropriés en dehors de la manne publicitaire, elle faisait dans le coup par coup d'une grille à une autre, et d'une année à une autre, partagée entre les exigences de sa mission informative institutionnelle et les attentes d'un public qui a appris grâce à la parabole, ce que chaque genre télévisuel veut dire, et pour lequel, puisqu'elle demeurait «unique», la télévision algérienne n'avait pas le droit à l'erreur. Sans prétendre défendre la télévision algérienne, qui dispose bien sûr des moyens pour communiquer avec l'opinion publique et ses relais – à commencer par le talent communicateur de son premier responsable et la fascination qu'il exerce même sur ses propres détracteurs – expliquer ses choix et dire les enseignements négatifs ou positifs qu'elle tire de telle ou telle option en matière de production de programmes et de programmation ; ayant été élevé dans le respect de la chose publique, je suis loin de donner ma voix à ceux qui font dans le raccourci et l'amalgame. Je suis de ceux qui, encore une fois sans démagogie ni concession, pensent que la télévision algérienne avec ses déficits, ses contradictions, ses flux et ses reflux, n'a jamais été aussi présente dans le champ audiovisuel national et… international, que depuis ces dernières années, et aussi proche du «stade suprême» de sa mission dans sa configuration actuelle, c'est-à-dire aussi proche du passage à un autre type de statut et à une autre forme d'organisation sous l'effet de ses ressorts internes, de l'influence, de la pression et des exigences de son environnement externe national, régional et mondial.
Conquête du paysage audiovisuel
Les nombreuses productions et coproductions réalisées avec le secteur privé et des partenaires étrangers, l'aide apportée à la relance du cinéma, sa présence et son leadership dans les espaces audiovisuels méditerranéens arabe et africain, son action dans les instances audiovisuelles internationales méritent d'être soulignées et ceux qui utilisent par dérision l'appellation d'«unique» lorsqu'ils parlent de l'ENTV doivent se rendre à l'évidence et reconnaître que celle-ci reste bien «l'unique» entreprise, la «seule», à contribuer quelles que soient les difficultés du moment, à l'émergence d'un secteur privé, dont les critiques et les téléspectateurs attendent davantage de professionnalisme, de créativité et de qualité.
Maintenant si les «créateurs ne sont pas des anges», la télévision algérienne nourrit certainement derrière toutes ses actions publiques une volonté non avouée de conquête, de maîtrise ou de domination du paysage audiovisuel national en voie de définition, avant son ouverture au capital privé, à l'heure des exigences non seulement de l'opinion publique nationale qui attend légitimement de la production nationale publique ou privée, qu'elle se façonne selon les canons de l'art et de la qualité ; mais également des «décideurs» de la mondialisation. Alors la question n'est pas de savoir pourquoi la télévision algérienne s'arroge le droit d'élaborer des projets de nouvelles chaînes ou de mini-chaînes dans le cadre d'un projet de groupe à venir, mais c'est tout à fait légitime, de demander aux pouvoirs publics d'ouvrir un débat sur le «nouveau paysage audiovisuel national à l'heure de la mondialisation», d'y associer les représentants de la société civile à côté des experts ; de préparer une loi sur l'audiovisuel avec fondamentalement l'exigence d'un cahier des charges rigoureux pour l'ouverture de chaînes privées qui préserve la ligne éditoriale de celles-ci de l'influence ou de la puissance de l'argent mal acquis et des atteintes aux assises de la nation et de la République, et d'une instance de régulation à la représentation reconnue et aux décisions contraignantes pour tous, sans distinction de statut, privé ou public.
S' il est déjà un peu tard au regard des expériences qui nous entourent, je pense que le moment est venu d'entrer avec détermination dans le vif sujet.
Le contexte s'y prête : une opinion publique en gestation, une presse et des associations en état d'exigence d'un meilleur produit audiovisuel national, une volonté politique de consacrer l'Etat de droit, une activité audiovisuelle en progression, une entreprise de télévision publique ouverte au dialogue avec ses partenaires, des experts algériens avertis des technologies sans cesse nouvelles dans le domaine de l'audiovisuel et de la communication.
A titre transitoire, en attendant que les pouvoirs publics ouvrent solennellement le débat et s'y impliquent, la télévision algérienne pourrait à mon sens mettre en place à la lumière des enseignements de ses grilles de programmes de ces derrières années, et notamment de ces derniers mois :
– Un Conseil de production consultatif présidé par le premier responsable de la télévision algérienne, avec un secrétariat permanent dirigé par un assistant du directeur général (pour bien traduire l'intérêt que le directeur général qui a déjà retenu le principe, il y a deux ans, accorde à cet organe), regroupant les organes internes directement concernés par la production et la programmation, des consultants choisis pour leurs compétences en la matière et des représentants d'associations spécialisées, avec un secrétariat permanent ; un règlement intérieur qui préserve la transparence dans la présentation des grands projets de production et leur agrément, les priorités, les conditions de réalisation, et les recours.
Loin d'être une commission de lecture déguisée, ce Conseil consultatif aura le mérite à nos yeux de garantir l'accès à la décision dans des formes égales pour tous, de permettre au producteur de défendre son projet lors d'auditions en séances plénières, car confronté à une commission de lecture avec des majuscules, le producteur criera à juste titre au retour de «l'ancien système» et, dans l'autre cas de figure, lié à une décision «personnelle» du directeur général de la télévision, il criera inévitablement, là aussi, au pouvoir personnel et à l'arbitraire lorsque son projet … n'est pas élu !
– Une expertise des coûts de production et de coproduction révisée tous les trois ans, qui devrait déboucher sur une fourchette devant servir de référence à l'élaboration des devis et budgets de production adaptés à chaque genre, et à l'intérieur de chaque genre à chaque spécificité : documentaire ; court métrage fiction ; sitcom ; téléfilm (dramatique/comique) ; séries (artistique, scientifique, historique, culturelle), feuilletons (drame social, reconstitution historique, etc.), et ce, afin d'éviter toute surenchère dans les estimations et toute autre interprétation et de pouvoir argumenter par ailleurs l'augmentation de la dotation qui devrait être accordée à la télévision au moins dans le volet relatif à la production.
– Une charte de l'éthique qui fait, entre autres prescriptions, obligation de transparence dans «l'appel à projet» avant l'élaboration et la communication publique des grilles de programmes, dans l'accès à la décision (positive ou négative), dans la passation des marchés de production, afin d'éviter toute tendance souvent professionnellement injustifiée à la monopolisation, mal vécue par les producteurs qui, sans verser dans le légalitarisme, revendiquent des chances au moins égales au «départ», c'est-à-dire dans la présentation de leurs projets.
Les membres fondateurs et les membres adhérents de l'association AVA, qui ne prétend nullement depuis sa création à la «représentation unique» de l'ensemble des producteurs, ont au moins le mérite d'avoir ouvert les portes d'un partenariat avec la télévision, d'avoir investi dans les technologies nouvelles, produit et livré des produits dans tous les genres audiovisuels (spots, sitcom, sketches, dessins animés, documentaires, téléfilms, séries, feuilletons) à des coûts contenus qui échappent à toute «flambée des prix», d'avoir contribué à l'emploi et à la formation, d'avoir témoigné leur entière solidarité lors de la couverture filmée d'événements nationaux dramatiques (catastrophe des inondations de Bab El Oued par exemple) et prêté leur concours à la télévision algérienne, selon des procédures de prestation de services, à l'occasion des grands rendez-vous nationaux avec les électeurs (campagnes électorales, référendums).
Dans le respect des expériences de chacun, le moment me semble particulièrement venu de dépasser toute approche discriminatoire ou sectaire, et de se dire, qu'on se reconnaisse davantage dans le statut de cinéaste, de producteur-réalisateur ou de réalisateur-producteur, que les enjeux nationaux et internationaux appellent aujourd'hui au rassemblement, à la fédération de toutes les spécificités réelles ou supposées ; la sanction du public ayant démontré que ce qui importe et ce qui fait la différence, ce n'est pas tant ce qu'on dit être, mais le produit, rien que le produit, la qualité du produit que l'on propose à sa consommation.
Au rythme où va le monde, si on veut être de son temps et proclamer son adhésion aux valeurs de progrès, de modernité et de démocratie, il faut accorder à tout instant ses convictions avec ses actes, et se départir de toute forme de corporatisme réducteur et ravageur. Il y a une génération, qui prend de l'âge, qui est tenue à l'exemplarité et à la générosité et qui doit être honorée et respectée, et une nouvelle génération bouillonnante et entreprenante qui rejette toute velléité de domestication, d'exclusion et de «chasse gardée». J'ose croire que cet appel sera entendu et que réconciliés avec l'essence même de la chose culturelle qui appelle par définition au dialogue, nous saurons, «ni anges ni démons», nous retrouver non pas contre une entreprise publique de télévision rénovée, mais avec elle, ou à côté d'elle, pour œuvrer dans le respect et la complémentarité féconde de nos différences, à la promotion du paysage audiovisuel national.


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