Rien de phénoménal jusqu'ici. Seulement voilà, le roman, en termes de lectorat, bouscule tous les entendements. Une vente qui frôle les quarante millions et des divergences sans limites. Il n'y a pas de demi-solution, les lecteurs de tout bord aiment ou détestent sans partage. Quelques sondages suffisent à découvrir l'ampleur de l'amour et du désamour des lecteurs. Certains exégètes s'apprêtent même à sortir leurs propres livres afin de livrer bataille contre les mensonges de Dan Brown et démolir le roman : Ce Crime haineux contre la croyance chrétienne, sur le soi-disant secret caché du mariage de Jésus et Marie-Madeleine ce qui met en branle le concept même de divinité du Christ. Maintenant que le calme est revenu, et la bousculade des lecteurs a diminué de densité, on peut revisiter ce phénomène qui a fait couler beaucoup d'encre. Plus qu'un phénomène éditorial, un événement incroyable. Quels sont les incitations et les ingrédients qui se cachent derrière et qui font d'un livre, un thriller pour être franc, un best-seller qui franchit tous les caps de lectorats et tous les entendements. Quelle est cette force dormante dans un texte ou cette machine qui donne naissance à tout un processus qui prend en otage non seulement le lecteur, mais tout un espace médiatique avec différentes composantes ? Il faut voir ce que ce livre a produit comme impact sur les lecteurs aux USA et en France, puisque l'espace romanesque de Da Vinci code est fondamentalement parisien aussi ? Les lieux sont très visibles. Si La Joconde est un référent du Louvre, Da Vinci code est presque son icône. De quoi s'agit-il donc ? Rien de spécial. Une histoire des plus ordinaires. Rien de fabuleux non plus sur le plan de l'écriture romanesque. Une ouverture digne des grands romans policiers. Jacques Saunière, un rescapé de la guerre d'Algérie, célèbre conservateur en chef du musée du Louvre, se retrouve face à un criminel ou un voleur. Il essaye de toutes ses forces de lancer l'alarme dans la grande galerie du musée et tire de ses deux mains le premier tableau qui lui fit face juste pour déclencher le système. Mais l'agresseur, l'Albinos, était déjà là. Il l'obligea à dévoiler le secret d'un trésor ancien. Sous la menace, Jacques Saunière se plia sans trop résister. Il donna de fausses informations comme l'avaient fait les trois sénéchaux, de la même confrérie, tous assassinés par l'Albinos qui finit par se réjouir d'être le seul à posséder le secret. D'une balle sèche, il transperça l'estomac du conservateur qui s'écroula. Quand il voulut l'achever, le chargeur était déjà vide. Le conservateur n'entendit que cette phrase qui se perdit dans la bouche de l'Albinos avant de se noyer dans l'abîme de la galerie . «J'ai accompli mon travail.» Jacques Saunière qui avait fait la guerre d'Algérie savait très bien ce que c'est l'agonie atroce à ce genre de blessure. Un quart d'heure à vivre avant que le suc gastrique acide ne détruise irrémédiablement le corps et la vie. Resté piégé derrière la grille qui ne s'ouvrira pas avant vingt minutes, Saunier était conscient que les moments qui lui restaient à vivre se comptaient sur le bout des doigts. Son seul souci était de transmettre le grand secret et lui donner une continuité et préserver la chaîne de connaissance ininterrompue. Il rassembla toutes ses forces, avant de mourir, et commença à écrire ses symboles. On demanda à Robert Longdon, éminent spécialiste de symbolique religieuse de Harvard qui était de visite pour une conférence à l'université américaine de Paris, son aide pour examiner une série de pictogrammes en rapport avec l'œuvre de Da Vinci. En déchiffrant le code, il met à jour l'un des plus grands mystères de notre temps, et devient ainsi, à son tour, un homme traqué. Le roman Da Vinci code repose sur une énigme dont l'écrivain revendique la véracité de certains détails constituants. Concernant l'idée du mariage du Christ avec Marie-Madeleine et l'existence d'une société secrète chargée de préserver l'énigme, Dan Brown se base essentiellement sur L'Enigme sacrée, le best-seller controversé de Michael Baigent, Henri Lincoln et Richard Leight. Pour les éléments qui impliquent Léonard Da Vinci dans la secte hérétique des Illuminati qui se disaient investis de révélations religieuses, Dan Brown a creusé l'essentiel de ses informations dans La révélation des templiers de Lynn Picknett et Clive Prince. Quant aux informations sur le féminin sacré, il a exploité La femme à la jarre d'Albâtre de Margaret Starbid. Pour les lieux cités dans le roman, ils sont moins difficiles à détecter : le Louvre dans lequel est préservée soigneusement La Joconde ou Gioconda en italien. Le tableau apparaît au début du roman quand Sophie et Langdon furent guidés vers lui pour déchiffrer l'énigme que Jacques Saunière avait griffonné sur le verre qui protège la toile. Il y a aussi La Cène, chef-d'œuvre de Da Vinci, la célèbre pyramide de verre, l'église Saint-Sulpice qui abrite le mystérieux Gnomon et la rose ligne, le temple Church à Londres, lieu de culte des chevaliers du temple, le monument consacré à Newton dans l'abbaye de Westminster et Rosslyn Chapel près d'Edimbourg en Ecosse célèbre par ses sculptures non déchiffrées. En revisitant le roman, une question de taille se pose : où Dan Brown a-t-il trouvé cette idée que les manuscrits de la mer morte recèleraient un mortel secret pour le Vatican, une révélation explosive sur Jésus et l'origine du christianisme ? L'existence même d'une Bible confisquée. Dan Brown reste fidèle à l'idée du complot qui est d'ailleurs le leitmotiv du roman. L'église cache un terrible secret depuis le IVe siècle. Celui de dissimuler le secret des noces de Jésus et de marie- Madeleine. Pour l'écrivain, le grand complot s'organisa au concile de Nicée, réuni en 325 par l'empereur Constantin. L'église catholique, en alliance permanente avec la mystérieuse société ultra- papiste de l'Opus Dei, use de tous les moyens pour anéantir à jamais le Prieuré de Sion, gardien du grand secret. Dan Browm met en scène un moine fanatique qui assassine tous les membres du Prieuré et persécute tous ceux qui tentent de contredire la vérité déjà installée. C'est d'ailleurs le cœur de Da Vinci code. Mais est-ce que ces éléments suffisent à faire de ce roman un best-seller ? Certainement non. C'est plus le fruit d'une machine complexe que de la littérature purement et simplement. Comment donc cette machine a-t-elle fonctionné ? Voilà quelques pistes à exploiter : 1-Il y a d'abord l'écrivain lui-même dont Da Vinci code est le quatrième livre dans son parcours. C'est-à-dire que ce livre fait partie d'un processus et d'un projet d'écriture. Il s'agit aussi et évidemment d'une bonne histoire bien écrite. Ce qui fera d'ailleurs en 2006, la trame d'un film en préparation sous la direction de Ron Howard et qui serait certainement passionnant. 2-Dan Brown a touché un nerf à vif dans la majeure partie de son lectorat, dont une grande partie est mécontente de la manière avec laquelle on lui a appris à croire et à réfléchir. 3-L'écrivain vient d'une famille d'écrivains et d'artistes. Son père, Richard Brown, est mathématicien et écrivain. Sa mère, Connie Brown, est complice en écriture et musicienne. Sa femme, Blythe, est elle aussi historienne d'art, peintre et éditrice de tout premier plan. Elle est d'ailleurs la femme la plus importante dans sa vie. Elle l'a beaucoup aidé dans son entreprise difficile. 4-Le choix de la maison d'édition est pour quelque chose. Les éditions Doubleday appartiennent à son ami Jason Kaufman, éditeur très connu par son travail professionnel. Il a mis à la disposition de l'écrivain une grande équipe de travail avec tout son arsenal artistique et publicitaire. S'ajoute à celle-là, une équipe complète de chercheurs pour récolter toutes les informations susceptibles de servir le roman. Avec une couverture des plus énigmatiques et des plus attirantes de Michael Windsor, reprise d'ailleurs dans plusieurs traductions, dont celles du français et de l'arabe, le travail arrive à son apogée. 5-Sans parler de la publicité directe d'une rare intensité qui a fait de ce livre en France par exemple le livre de l'année qui a vu les métros se garnir de la couverture géante avec le chiffre des ventes du livre. Il y a aussi le support écrit qui a vite fait grimper le chiffre d'affaires. Plusieurs ouvrages se sont proposés pour faire le décryptage des secrets du Da Vinci code et qui font du livre un produit véritable de marketing. On peut citer quelques- uns puisqu'ils forment un support publicitaire inestimable. Certes, ils sont très importants sur le plan des informations pour le lecteur non averti, très occupé, comme dans un livre historique, par le référent, le vérifiable et la vérité historique. Il y a d'abord ce beau livre Code Da Vinci, l'enquête de Marie-France Etchegoin, grand reporter au Nouvel observateur et responsable des enquêtes, et Frédéric Lenoir, philosophe et sociologue, directeur de la rédaction du Monde des religions. Les deux auteurs ont essayé de déceler le mystère de Léonard de Vinci avec ses tableaux codés, L'Histoire de Jésus et Marie-Madeleine et Les Evangiles apocryphes, l'histoire de l'Opus Dei et la conspiration catholique. Un deuxième livre qui va dans le même sens explicatif, celui de Simon Cox, rédacteur en chef de Phénoména, magasine sur la critique des dogmes Le code Da Vinci décrypté. Avec un élément para-textuel qui dit : «Le guide non autorisé comme s'il est à l'opposé de Da Vinci code, alors qu'il est en plein dedans. Toutes les références de Dan Brown refont surface dans ce livre. Il y a aussi Le Message de M. Baigent et H. Lincoln qui est considéré comme l'une des sources du livre qui nous fait découvrir la lignée du Christ. Sans oublier, bien sûr, la vérité historique derrière Le Code Da Vinci de Sharan Newman qui nous invite à un voyage dans l'histoire. L'écrivaine est très connue pour avoir accès aux archives du Vatican. Elle met en relief le vrai visage de l'Opus Dei. Et enfin le petit guide Sur les pas du Code Da Vinci de Peter Cain, qui a fondé à Paris la société Paris Walks qui organise des visites thématiques pour les touristes. Ce qui est mignon c'est que ce guide accompagne le visiteur à travers les principaux lieux bien détaillés et bien expliqués de l'intrigue romanesque. Enfin, chacun trouve son compte et les lecteurs et les publicitaires. Ce ne sont que des pistes. Parler d'une machine n'est pas vain mot. Le papier et l'imagination fertile ont encore de merveilleux jours devant eux.