Ce sont de telles idées qui ont donné au racisme ses racines et la source à laquelle elles s'abreuvent. Il ne s'agit que d'une infime particule de toute la haine et de tout l'esprit qui animaient ces «civilisateurs». Comment peut-on, au XXIe siècle se revendiquer de telles monstruosités ? «Autour de nous les lumières se sont éteintes» «Le nombre des étudiants musulmans algériens n'a jamais été connu exactement (…) Aucune enquête sur leur nombre total et leur répartition ne semble avoir été faite avant 1959. On admettra pourtant, d'après la tendance générale des chiffres disponibles, que le nombre des étudiants algériens musulmans a toujours été remarquable par sa faiblesse, et, vers la fin de la période étudiée (ndlr : 1880-1962.), par la rapidité de sa croissance. En 1954, ils sont en situation de minorité, apparemment négligeable, à la fois parmi leurs condisciples européens qui sont la masse dans toutes les universités de France (celle d'Alger comprise) ; et bien davantage dans leur communauté d'origine. Leur effectif serait alors d'environ 1200, dont 600 à Alger ; cette université compte alors 11,4 % d'étudiants musulmans, bien que la population musulmane représente 89,5% de la population de l'Algérie. On pourrait s'en étonner. En effet, dès les premiers mois de la conquête, les autorités françaises avaient recherché les moyens de répandre les bienfaits de l'instruction sur les «barbares» d'Alger. Mais quelques années plus tard, une meilleure connaissance du pays les amenait à une conclusion qui peut encore sembler surprenante : «L'instruction primaire était beaucoup plus répandue en Algérie qu'on ne le croit généralement. Nos rapports avec les indigènes des trois provinces ont démontré que la moyenne des individus du sexe masculin sachant lire et écrire était au moins égale à celle que les statistiques départementales ont fait connaître pour nos campagnes» (soit environ 40%), écrivait le général Daumas. De nombreuses medersas et zaouïas dispensaient un enseignement secondaire, voire supérieur, que les meilleurs étudiants (tolba, au singulier taleb) allaient compléter à Fès, à Tunis ou au Caire. Un siècle plus tard, l'instruction était devenue générale parmi les Français, comme l'analphabétisme parmi les musulmans algériens : 90% des adultes en 1948, 86,3% encore en 1954. La fermeture des écoles, l'émigration des maîtres et la confiscation des biens habous dont les revenus entretenaient les uns et les autres, avaient porté le coup fatal dans les vingt premières années de la conquête. «Nous avons mis la main sur ces revenus (ceux des fondations pieuses ayant pour objet de pourvoir aux besoins de la charité ou de l'instruction publique). Nous avons laissé tomber les écoles, dispersé les séminaires. Autour de nous, les lumières se sont éteintes. C'est-à-dire que nous avons rendu la société musulmane plus ignorante et plus barbare qu'elle n'était avant de nous connaître», s'indignait Alexis de Tocqueville. Mais d'autres s'en réjouissaient : certains officiers «professaient volontiers que lorsque les écoles coraniques seraient tombées en poussière et le peuple arabe retourné à l'ignorance des premiers âges, il serait alors possible de lui apprendre quelque chose». Guy Pervillé. Les Etudiants algériens de l'université française 1830-1962. Casbah éditions. Alger 1997. Qu'est-ce que coloniser ? «Coloniser c'est se mettre en rapport avec des pays neufs pour profiter des ressources de toute nature de ces pays, les mettre en valeur dans l'intérêt national, et en même temps apporter aux peuplades primitives qui en sont privées les avantages de la culture intellectuelle, sociale, scientifique, morale, artistique, littéraire, commerciale et industrielle, apanage des races supérieures. La colonisation est donc un établissement fondé en pays neuf par une race avancée pour réaliser le double but que nous venons d'indiquer.» Meringhac : Précis de législation et d'économie coloniales Les maîtres et les soldats «La nature a fait une race d'ouvriers, c'est la race chinoise d'une dextérité de main merveilleuse, sans presque aucun sentiment d'honneur, gouvernez-la avec justice, en prélevant d'elle, pour le bienfait d'un tel gouvernement un ample douaire au profit de la race conquérante, elle sera satisfaite ; une race de travailleurs de la terre, c'est le nègre soyez pour lui bon et humain, et tout sera dans l'ordre ; une race de maîtres et de soldats, c'est la race européenne. Que chacun fasse ce pour quoi il est fait et tout ira bien.» Ernest Renan. La Réforme intellectuelle et morale. 1871 Le devoir des races supérieures «Je répète qu'il y a pour les races supérieures un droit parce qu'il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures.» Jules Ferry Soumettre l'univers «La colonisation est la force expansive d'un peuple, c'est sa puissance de reproduction, c'est sa dilatation et sa multiplication à travers les espaces ; c'est la soumission de l'univers ou d'une vaste partie à sa langue, à ses mœurs, à ses idées et à ses lois. Un peuple qui colonise, c'est un peuple qui jette les assises de sa grandeur dans l'avenir et de sa suprématie future… A quelque point de vue que l'on se place, que l'on se renferme dans la considération de la prospérité et de la puissance matérielle, de l'autorité et de l'influence politique, ou que l'on s'élève à la contemplation de la grandeur intellectuelle, voici un mot d'une incontestable vérité : le peuple qui colonise est le premier peuple ; s'il ne l'est pas aujourd'hui, il le sera demain.» P. Leroy-Beaulieu, De la colonisation chez les peuples modernes, Guillaumin éd., 1870, p. 605-606. L'auteur est économiste et l'un des grands théoriciens de la colonisation française. L'élan des pays civilisés «La nature a distribué inégalement, à travers la planète, l'abondance et les dépôts de ces matières premières ; et tandis qu'elle a localisé dans cette extrémité continentale qui est l'Europe le génie inventif des races blanches, la science d'utilisation des richesses naturelles, elle a concentré les plus vastes réservoirs de ces matières dans les Afrique, les Asie tropicales, les Océanie équatoriales, vers lesquelles le besoin de vivre et de créer jettera l'élan des pays civilisés. L'humanité totale doit pouvoir jouir de la richesse totale répandue sur la planète. Cette richesse est le trésor commun de l'humanité.» A. Sarraut, Grandeur et servitudes coloniales, 1931. Des épidémies dévastatrices «(…) En 1835, Alger est atteint par une épidémie importée de Marseille et Toulon par les vaisseaux Le Triton et La Chimère. La contamination va atteindre toute la ville à partir du pénitencier de Bab El Oued, l'hôpital du Dey, la caserne de la Salpêtrière. Dans la ville, c'est le quartier israélite qui est le plus touché, jusqu'à 100 morts par jour. Au total il y eut 1220 décès civils, 639 militaires dont 12 médecins. Puis cette épidémie, véhiculée par les troupes et les immigrants, va toucher Blida avec une mortalité effrayante” et atteindre Bône, en octobre 1835, par voie maritime, faisant 381 morts dont 204 indigènes. Sur toute l'année 1835, le choléra fera 12 000 morts à Alger et 14 000 à Constantine, soit l'équivalent de la disparition de deux villes entières comme Mascara et Mostaganem. En septembre 1846, une nouvelle épidémie se développe en suivant la voie de 1835. C'est le bateau Le Pharamond, de Marseille, qui apporte le 4 du mois, la maladie à Alger. Elle atteint le pénitencier du Fort Bab-Azoun, puis l'hôpital du Dey et enfin la ville avec 505 morts militaires et 202 civils. En octobre 1846, c'est Oran qui est touché avec 209 morts un même jour pour atteindre le total 2001 décès pendant l'infection. L'épidémie partant d'Alger, avec le 12e de ligne, va atteindre Miliana, puis Orléansville et Cherchell. Puis, sous l'influence des déplacements de bataillons ou d'éléments de corps d'armée, la contagion va revenir à Alger avec le 16e bataillon, puis atteindre Aumale, le siège de Zaâtcha et la ville de Bou Saâda. Les épidémies se succéderont ainsi, toujours aussi dévastatrices, en 1849 les villages de Gastonville et Robertville sont vidés de tous leurs habitants. On y réinstalla 600 familles, construisit 112 maisons mais le choléra et les tremblements de terre détruisirent toutes les espérances. De la population entière, il ne restait que 3 familles en 1854. L'épidémie fera sur cette période à Philippeville et dans les villages environnants, 1821 morts sur une population de 6200 habitants. L'histoire a aussi retenu les épidémies de 1884, 1884-85, 1893 dans le Constantinois, 15 000 cas dont 6000 décès. La dernière épidémie fut celle de 1912 autour de Tlemcen.» «Arabes et Berbères : des races dégénérées» René Ricoux, démographe et médecin à l'hôpital de Constantine né en 1843 en Algérie, exposait en 1880 en ces termes qui, et c'est leur moindre effet, donnent froid dans le dos, le devenir du peuple algérien. Selon lui «les indigènes (…) sont menacés d'une disparition inévitable, prochaine». Voici un extrait du chapitre intitulé «Croisement avec les indigènes» Etrange «savant» et néanmoins «oracle illuminé» à ses heures perdues, il occupait les fonctions de chef des travaux de la statistique démographique du Gouvernement général de l'Algérie. «On ne peut le nier, comparés aux Européens, Arabes et Berbères sont certainement de races inférieures et surtout de races dégénérées. Quelle différence entre nos Arabes et leurs ancêtres qui ont conquis l'Espagne, couvert ce pays de monuments, témoignages d'une civilisation avancée dont l'empreinte est restée si profonde. Où sont les sciences arabes, où sont leurs savants ? Et, dans un siècle ou deux, que seront-ils ? Combien seront-ils ? Car c'est indiscutable, le peuple arabe tend à disparaître d'une façon régulière et rapide. A notre arrivée, en 1830, la population indigène était évaluée à trois millions d'habitants. Les deux derniers recensements officiels, à peu près réguliers, donnent en 1866 : 2 652 072 habitants, et en 1872 : 2 125 051 ; le déchet en 42 ans a été de 874 949 habitants, soit une moyenne de 20 000 décès par an. Durant la période 1866-72, avec le typhus, la famine, l'insurrection, la diminution a été bien plus effrayante encore : en six ans il y a eu disparition de 527 021 indigènes ; c'est une moyenne non de 20 000 décès annuel mais de 87 000 ! (…) Dans les huit dernières années : 1872-79, nous avons relevé (à Constantine) 4667 naissances et 8202 décès. De ce dernier chiffre, il convient de déduire un certain nombre de décès extérieurs : beaucoup d'indigènes venant des environs, et même d'assez loin, meurt à l'hôpital ; on peut évaluer à un septième l'augmentation produite par la mortalité étrangère. Cette réduction faite, il resterait encore 7000 décès pour 4667 naissances, soit 150 décès pour 100 naissances. Une perte aussi considérable (nous pouvons ajouter qu'il se reproduit régulièrement chaque année) suffit à démontrer que les relevés officiels sont dépourvus d'exactitude, et que les indigènes, loin de se relever depuis les calamités de 1867-71, sont menacés d'une disparition inévitable prochaine. Elle sera le fait non du refoulement ou autres mesures de politique humaine ; elle est due toute entière à des causes indépendantes de notre volonté, qu'énuméraient dans les termes suivants notre ami et ancien collègue du Conseil général, M. J. Vinet : «Le peuple arabe meurt, il périra. Il tombe sous le coup d'une loi supérieure à la volonté humaine, loi implacable dans ses effets, puisqu'elle ne souffre aucune exception. C'est la loi qui fait le vide dans l'Amérique du Sud ; qui le fait actuellement en Tunisie ; en Algérie où cependant des efforts immenses ont été accomplis pour en enrayer les effets ; aux Indes, enfin où elle s'exerce sur la plus vaste échelle. Cette loi, qui fait disparaître les peuples arriérés, surgit dès que se créent les relations commerciales avec le monde civilisé ; et elle frappe aussi bien s'il y a colonisation, comme en Algérie, que s'il n'y a pas peuplement européen, comme aux Indes et en Tunisie. Ce qui tue le peuple arabe, ce sont ces relations fréquentes qui mettent les populations fatalistes en face de populations à initiatives individuelles et organisées pour les affaires, qui ouvrent aux échanges, des pays dont les indigènes refusent de prendre les habitudes, les procédés et les institutions rendus nécessaires par ces échanges mêmes qui, enfin, en multipliant les rapports, multiplient aussi la fréquence des épidémies, sans que les individus veuillent adopter les règles d'hygiène, de nourriture et de médication enseignées par la science moderne. Le peuple arabe meurt des conséquences de ses relations commerciales avec le monde civilisé. Il meurt de rester immobile dans son fatalisme et ses préjugés, quand tout progresse autour de lui. Il meurt, pourrait-on ajouter, de ses vices et de ces dépravations. Non, certes non, le peuple français n'a aucun intérêt à compromettre ses qualités natives, sa supériorité morale, en se mêlant avec des races corrompues, au sang vicié. Et si, par une sorte de répulsion instinctive, ce n'était chose heureusement existante, on ne saurait trop énergiquement s'opposer à notre mélange avec les indigènes, dont les qualités les moins discutables sont la malpropreté, la mauvaise foi, l'habitude du vol ; en un mot, toutes les dépravations physiques et morales.» René Ricoux. La Démographie figurée de l'Algérie. Masson, Paris 1880