Cent quatre-vingt-deux ans apr�s le d�but de l�occupation coloniale, de larges secteurs de ce qu�il est convenu d�appeler les �lites fran�aises(1) � politiques, artistiques, m�diatiques, scientifiques, universitaires � sassent et ressassent �l��uvre positive� de la colonisation. De telles postures r�v�lent a minima, non seulement l�ancrage et l�emprise �crasante de la �culture� coloniale, mais aussi l�id�ologie de la sup�riorit� � issue des th�ories sur les races � au sein de larges fractions de la soci�t� fran�aise. Elles r�v�lent tout autant, corr�lativement � cette �culture�, le m�pris de ces �lites pour des soci�t�s pour qui le syst�me colonial a �t� une �p�riode de deuil et de grande souffrance �(2) Ouvrons une parenth�se � ce sujet pour rappeler l�imp�rative n�cessit� de travailler sur les conditions de production des pseudos concepts et plus largement de la terminologie, qui ont structur� et structurent toujours les discours colonialistes et n�ocolonialistes( 3). Cet imp�rative critique concerne aussi les disciplines des sciences sociales et humaines, qui reprennent ces termes et l�gitiment ainsi une mystification. Cette approche peut contribuer, au-del� de l�interrogation critique, au d�montage du contenu id�ologique qui �entre en jeu dans ces imperceptibles falsifications�. D�fendre outrageusement, rageusement, comme le font certaines �lites fran�aises, la �mission civilisatrice ou l��uvre positive� de la France colonialiste c�est, pour citer Roland Barthes, �faire entrer une politique dans un monde de repr�sentations immuables et n�cessaires. C�est en un mot confondre l�ordre politique et l�ordre naturel�, pour inscrire le premier dans la logique du mythe et d�historiciser ainsi les faits politiques et sociaux. Or, il est entendu que �le mythe a pour charge de fonder une intention historique en nature, une contingence en �ternit� �. N�est-ce pas l� la fonction de l���uvre positive�, de la �mission civilisatrice� ou des bienfaits de la colonisation ? Ces termes, frapp�s du poids de l��vidence, con�us et induits, fondamentalement, par les th�ories sur les races, contribuent � former, formater, forger, objectiver � souvent en convoquant un discours � tonalit� scientifique � une vision du monde fond�e sur le paradigme des races, des civilisations et des cultures sup�rieures aux autres, lesquelles autres, par d�finition, n�ont ni civilisation ni culture. A propos de discours scientifiques, l�historien fran�ais C. Liauzu soulignait, en traitant du cas fran�ais, que �c�est bien au c�ur de notre culture scientifique qu�il faut chercher certaines des origines des crises racistes�, lesquelles, pourrions-nous ajouter ne sont pas sans lien organique avec le fait colonial. �Civiliser, instruire, �duquer� D�s les premiers temps de l�occupation coloniale �l��uvre positive� et �civilisatrice� �tait donn�e par les diff�rents acteurs � civils et militaires � comme l�une des priorit�s, sinon la priorit�, de la colonisation : �Civiliser, instruire, �duquer, r�g�n�rer�, telle �tait la devise. �Appel�e au beau r�le de coloniser une des r�gences barbaresques, la France a pris pour auxiliaire de sa marche le plus puissant moyen de civilisation, l�instruction. Pacifier et �clairer tour � tour ces contr�es, y r�pandre de nouveau les bienfaits de la science qui les ont fuies depuis des si�cles, telle est la noble mission qu�elle s�est propos�e et qu�elle accomplira�.(4) Les principes de la sup�riorit� de la civilisation fran�aise sont � un mot pr�s les m�mes que ceux que l�on peut lire ou entendre aujourd�hui : �Est-ce aux Fran�ais � civiliser les Arabes ou aux Arabes � civiliser les Fran�ais ? Mais les Fran�ais sont plus avanc�s que les Arabes en civilisation ; c�est donc � eux de donner la loi et les r�glements.� Une soci�t� � la civilisation propre Mais que trouve la France en envahissant l�Alg�rie ? Comme le notait M. Lacheraf(5), c�est �une soci�t� bien organis�e, � la civilisation propre, parfois comparable � celles du bassin m�diterran�en, peut-�tre imparfaite dans son d�veloppement, mais dont l�amour de la libert�, l�attachement � la terre, la coh�sion, la culture, le sens patriotique, les ressources et les id�aux communs � d�fendre contre l�ennemi national, donnent leurs preuves tout au long d�une guerre de conqu�te de pr�s de 40 ans�. Ces propos, confirm�s par de nombreux travaux, indiquent que l�Alg�rie, � l��vidence, aurait pu conna�tre un tout autre destin si le colonialisme ne l�avait pas plong�, puis maintenu dans la r�gression culturelle et dans la torpeur d�une existence infra-humaine pour la quasimajorit� de la population. La guerre totale men�e, un moment envisag�e et pratiqu�e dans une perspective �d�extermination totale� jusqu�� la d�faite de l�Emir Abdelkader, en 1847 et au-del� de cette date, a d�truit, ravag�, ruin�, les �tres, les liens sociaux, les institutions, les cultures, les animaux, le commerce, les biens de subsistance. La confiscation des biens collectifs, l�expropriation des terres, le s�questre des biens immobiliers ont syst�matis� la paup�risation des familles et la d�sint�gration des communaut�s et g�n�ralis� disettes, famines et maladies, provoquant au final un d�sastre d�mographique. D�s lors, est-il exag�r� de dire et de redire que ce syst�me � consid�r�, toute honte bue, par des historiens et des hommes d�Etat fran�ais, r�cemment, comme un �syst�me injuste� � a d�sagr�g� la soci�t� alg�rienne et lui a interdit toute possibilit� d�inventer, d�imaginer son �avenir historique �, de penser sa modernit�, de concevoir son rapport et son apport singuliers � l�universalit�, en un mot d�exister. Qui peut encore croire un instant que l�Alg�rie n�aurait pas pu mieux faire que ses millions de victimes des guerres coloniales, de la mobilisation forc�e des siens pour les guerres imp�rialistes, les famines organis�es et les �pid�mies induites par celles-ci. Qui peut penser un instant qu�elle n�aurait pas mieux fait que les lois d�exception, le code de l�indig�nat, les expropriations massives, la pratique syst�matis�e et g�n�ralis�e du racisme, la destruction de son syst�me g�n�alogique, ou encore les cinq techniciens en agriculture et les quelque 90% d�analphab�tes dans les deux langues. C�est cela, et la liste est ouverte, l�h�ritage laiss� par un syst�me de gouvernement m�, entre autres, par une logique de destruction culturelle et d���branlement du substrat mental� des individus et des groupes sociaux. Cette derni�re caract�ristique est-elle outranci�re ? La r�ponse nous est copieusement fournie par les nombreux documents, relatifs � l�instruction, produits par les acteurs de la colonisation (officiers, administrateurs, chefs de bureau arabes). Ces textes, � leur corps d�fendant, rendent compte de la destruction syst�matique des r�seaux d�instruction et de ce qui s�y apparente. Ces documents(6) r�v�lent, en outre, que le pouvoir colonial, au fur et � mesure que s��tendait son contr�le militaro- administratif sur les �tres et le territoire, d�couvre �tonn�, et inquiet, non seulement la place et le r�le de l�instruction, de l��ducation, dans la soci�t�, mais aussi l�int�r�t que lui accordent les habitants des villes et des campagnes : �Toutes les tribus, tous les quartiers urbains avaient un ma�tre d��cole avant l�occupation fran�aise.� �Il faut reconna�tre que les familles encourageaient les �tudes et se croyaient moralement oblig�es d�envoyer leurs fils s�instruire loin d�elles.�(7) �A une �poque o� l�on d�couvrait en Europe le r�le de l��cole publique, en Alg�rie, presque tous les enfants savent lire et �crire. Dans chaque village, il y a deux �coles� Tous les enfants de 6 � 10 ans fr�quentaient l��cole primaire.�(8) Ces notes indiquent bien que le monde urbain et rural �tait dot� de lieux d�di�s � l�instruction, certes, suite au long d�clin de la civilisation arabe, qualit�, niveau des connaissances, savoirs dispens�s �taient insuffisants et rudimentaires, compar�s aux avanc�es et au niveau des sciences et des techniques en Europe, � la m�me �poque. Ceci admis, il n�est pas sans int�r�t de noter que les familles et plus largement les communaut�s urbaines et rurales, �se croyaient oblig�es�, comme le note un officier, d�assurer le minimum scolaire : apprendre � lire et �crire. Aux seuls gar�ons(9), il est vrai. Consid�r�e alors comme �l�une des cinq plus belles villes de la M�diterran�e�, Alger comptait une centaine d��coles primaires et 132 mosqu�es.(10) Gr�ce aux revenus des biens communautaires, la ville entretenait ses institutions scolaires et cultuelles et r�mun�rait ses enseignants. D�s les premiers temps de l�occupation, et comme pour v�rifier l��tat de guerre totale impos� par l�ennemi, cette infrastructure cultuelle et scolaire est l�objet de convoitises et de destructions. Des dizaines de mosqu�es sont ras�es, une soixantaine occup�es, � quoi s�ajoutent la dispersion et la r�pression de l�encadrement humain. A propos de l�usage des mosqu�es, un voyageur fran�ais note que �quelques-unes sont appropri�es au culte catholique, d�autres sont converties en magasins, en pharmacies militaires. Une de ces derni�res est m�me occup�e, � honte ! par l�administration des lits militaires �.(11) Ce destructions, ces violences, le chaos instaur� par l�ennemi, provoquent dispersion, exode, exil de tous ceux, savants du culte, lettr�s, enseignants, qui dispensaient instruction, �ducation religieuse et s�occupaient des �uvres cultuelles. Dans un rapport officiel, l�administrateur civil d�Alger, Genty de Bussy, note que �plus de 80 �coles existaient � Alger avant la conqu�te, qu�elles ont �t� r�duites de moiti� par l��migration des instituteurs, des grandes familles(12) et par l�occupation de plusieurs classes, entendons de plusieurs mosqu�es�.(13) V�ritable saign�e, l�exil forc� des �lites urbaines vers les cit�s du Maghreb (T�touan, Tunis, Cyr�na�que), du Machreq (Alexandrie, Damas, El Qods) et de Turquie (Izmir, Istanbul)( 14), est suivi de celui, massif, d��l�ves et d��tudiants qui n�ont plus la possibilit� de parfaire leurs connaissances sur place. C�est ce que signale un chef de bureau arabe : �Les �coles du second degr� ont disparu presque en totalit� de la surface de l�Alg�rie. Les jeunes gens qui d�sirent acqu�rir quelques connaissances un peu �tendues vont chercher � Tunis, Tripoli, T�touan, en Egypte m�me un enseignement qui leur fait d�faut.� Les autres cit�s ne sont pas en reste, et subissent le m�me sort qu�Alger. C�est le cas d�Oran, qui poss�dait : �� pour 12 000 ou 14 000 �mes, trois coll�ges et 50 �coles�. Un chef de bureau arabe note qu�avant l�occupation, existait une �esp�ce d��cole publique o� �taient enseign�s l�arithm�tique, la grammaire, le droit musulman et la cosmographie �. �Cette �cole a disparu, mais rien ne l�a remplac�e�. Dans la r�gion de Tlemcen, une trentaine de zaou�as, pour une population estim�e � 125 000 habitants, assuraient un enseignement primaire, secondaire et sup�rieur. Dans les territoires administr�s par la r�sistance alg�rienne, l�instruction, malgr� l��tat de guerre totale impos�, n�est pas d�laiss�e. Un chef de bureau arabe pour la r�gion �crit que lorsque �El Hadj Abdelkader commandait dans le pays, il avait contraint presque chaque douar � poss�der un enseignant. Depuis, beaucoup ont disparu� (�), �les tribus sont plong�es dans les t�n�bres de l�ignorance les plus �paisses�. Avec la guerre les zaou�as de Mascara ont disparu et les �tudiants regagnent le Maroc pour poursuivre leur instruction, ajoute ce chef de bureau. Capitale, un temps de l�Emir Abdelkader et de la r�sistance organis�e, Mascara, depuis sa prise, n�est plus en mesure d�assurer une instruction sup�rieure, alors que celle-ci y a �� brill� d�un assez vif �clat�, renseigne un chef de bureau. L�est du pays n�est pas �pargn�. En 1837, ann�e de sa chute, Constantine, dont la r�putation intellectuelle est alors comparable � celle de Tunis et du Caire, poss�de 86 �coles primaires fr�quent�es par 1 350 �l�ves. A ce r�seau, s�ajoute une infrastructure cultuelle de 37 mosqu�es et 7 m�dersas. En 1849, apr�s 12 ann�es d�occupation, Constantine ne compte plus que 60 jeunes gens dans l�enseignement secondaire. Sur les 90 �coles primaires que fr�quentaient 1 500 �l�ves, il n�en reste plus qu�une trentaine pour 530 �l�ves(15). Si le syst�me �ducatif dans son ensemble subit les affres de la destruction coloniale, tout en maintenant, ici et l�, � travers quelques fragiles structures une pr�sence symbolique dans le primaire, l�enseignement secondaire et sup�rieur est tout simplement lamin�. D�sarmement moral et mat�riel C�est une action politique volontaire, consciente, d�lib�r�e qui a �t� implacablement men�e par l�arm�e fran�aise dans le but explicite de briser toute esp�ce d�unit� intellectuelle et spirituelle. Engag� d�s le d�but de l�agression coloniale, le processus d�ensauvagement des �indig�nes�, induit par leur d�culturation et leur d�s-alphab�tisation, fait partie des priorit�s durables de l�administration coloniale. Les Alg�riens s�y opposent. Leur r�sistance est telle que le g�n�ral Ducrot, membre de l��tat-major militaire, ordonne, en 1864, apr�s 34 ann�es de guerre totale : �Entravons autant que possible le d�veloppement des �coles musulmanes, des zaou�as. Tendons, en un mot, au d�sarmement moral et mat�riel du peuple indig�ne.�(16) Cette injonction criminelle est en phase, s�articule, pourrait- on dire, � celle qu�ordonne quelques ann�es plus t�t le g�n�ral-baron Bugeaud, adepte de la �guerre d�extermination totale�, en sa qualit� de chef des arm�es et de gouverneur g�n�ral d�Alg�rie, � ses �Colonnes infernales� : �Il faut emp�cher les Arabes de semer, de r�colter, de p�turer.� L�articulation entre processus de d�culturation et processus de destruction des cultures vivri�res, s�inscrit dans une strat�gie de paup�risation socio�conomique absolue et de d�sint�gration des communaut�s. Cette strat�gie est d�crite dans des documents �tablis par des chefs de bureau arabes qui, rappelons-le, sont les anc�tres des sinistres SAS � sections administratives sp�cialis�es �, cr��es en 1956. En 1846, le chef de l�instruction publique Lepescheux note qu�il ne reste plus que 400 �l�ves � Alger �les malheureux, dit-il, �taient autrefois entour�s de consid�ration et vivaient dans l�aisance ; aujourd�hui � l�exception de quelques-uns ils sont tous dans la mis�re�. Cette situation n�a rien d�exceptionnel. De nombreux rapports et enqu�tes(17) de l�arm�e r�alis�s durant les ann�es 1850, 1860 et 1868 � Cherchell, T�niet El-Had, Jijel, Mascara, en Grande et Petite Kabylie, rapportent que �la mis�re de cette population est surtout la principale cause d�emp�chement � l��gard de l�instruction �. Bien �videmment, cette �mis�re� n�est jamais, selon ces rapports officiels le produit, le r�sultat direct du syst�me de gouvernement colonial. A Orl�ansville, �les �coles sont d�sert�es. AAumale : �A la suite de la disette de 1868, les zaou�as ont �t� compl�tement d�sorganis�es, sauf dans les Beni-Dja�d o� l�on en trouve encore deux.� Pr�s de Batna, �la mis�re a fait dispara�tre la plupart des �coles musulmanes que l�on y comptait�. AA�n Be�da, �les Arabes, cela se con�oit, ne veulent pas payer l�instruction de leurs enfants � des tolbas alors qu�euxm�mes meurent de faim�. A Boghar : �Une mis�re hideuse p�se sur nos tribus, les familles sont oblig�es souvent � vivre de racines et de baie de gen�vrier� les �coles sont plus d�sertes que jamais.� A T�n�s, �beaucoup de familles sont oblig�es d�avoir recours aux racines du sol pour subvenir � leur entretien. Elles employaient � leur recherche leurs enfants, et un grand nombre d��l�ves se trouvaient distraits de leurs �tudes�. Innommable, ce d�sastre social, �conomique, culturel, qu�amplifie une r�pression(18) syst�mique favorise le repli sur soi, l�int�riorisation d�une psychologie de la d�tresse et de la d�sesp�rance et l�enfermement dans des comportements archa�ques. Cela �tant, ce syst�me de gouvernement d�exception et ses logiques de domination et d�exploitation totales n�entament pas la pr�servation, certes, dans les conditions les plus dures, de multiples formes de r�sistance anticolonialiste actives et passives, �mancipatrices ou �quivoques quant � leurs issues. On mesure mieux le ridicule, la mauvaise foi, le chauvinisme, ou l�ignorance, de ces larges fractions �litaires quant � �l��uvre positive� de la France coloniale dans le domaine de l�instruction, suite aux controverses qui ont entour� l�adoption de la loi du 23 f�vrier 2005. A cet effet, une cohorte h�t�roclite, mais solidaire, d�intellectuels, d�artistes et d�hommes politiques, parmi lesquels des r�publicains de droite et de gauche, d�fendront bec et ongles, � travers interventions, �missions m�diatiques, �crits journalistiques et d�ifications id�ologiques l��uvre positive coloniale de la civilisation. Tous, sans exception, mart�leront, � cor et � cri, que la colonisation a bien eu des retomb�es et des effets positifs, parmi lesquels, au-del� des routes et des h�pitaux, les id�es, la culture, mais aussi et surtout une dimension de celle-ci : l�instruction. Parmi eux, A. Finkelkraut, vant� par l�ex-pr�sident de la R�publique N. Sarkozy comme �la fiert� de la pens�e fran�aise�, aura �t� l�un des plus fanatiques d�fenseurs de cette ��uvre�. Dans un entretien accord� au journal isra�lien Haaretz du 18 novembre 2005, il ass�ne : �On n�enseigne plus que le projet colonial voulait aussi �duquer, apporter la civilisation aux sauvages ? On ne parle que des tentatives d�exploitation, de domination et de pillage.� L�avocat Arno Klarsfeld, actuel pr�sident de l�Office fran�ais de l�immigration et de l�int�gration, nomm� par Sarkozy, d�clare au journal Lib�ration du 30 d�cembre 2005 : �Je ne suis pas d�accord pour abroger l�article 4 de la loi du 23 f�vrier 2005. La France a construit des routes, des dispensaires, apport� la culture�� Et il conclut : �Le nier serait de l�aveuglement historique. � D�autres propos de la m�me veine tenus par des personnalit�s, des intellectuels, des artistes tr�s en vue, � l�image de l�essayiste m�diatique Pascal Bruckner, de l��crivain et n�anmoins d�fenseur-de-l�identit�-fran�aise-en-danger Max Gallo, de l��conomiste Jacques Marseille, de l�acad�micien Jean-Marie Rouart, du cin�aste Alexandre Arcady et ou encore du com�dien Roger Hanin, donneront la preuve que �le cr�ne colonial p�se encore sur la connaissance�. Mais bien avant cette apolog�tique coloniale, en 2001, suite � la publication du d�ballage morbide du tortionnaire Aussaresses, un homme d�Etat(19), r�publicain de gauche, rappelait avec vigueur �l��uvre positive� de la France. Dans un texte intitul� Cessons d�avoir honte, il �crit : �On ne peut juger la p�riode coloniale en ne retenant que son d�roulement violent, mais en oubliant l�actif, et en premier lieu l��cole, apportant aux peuples colonis�s, avec les valeurs de la R�publique, les armes intellectuelles de leur lib�ration (�) �On peut soutenir sans paradoxe que c�est la France qui a permis � l�Alg�rie d��tre la grande nation qu�elle est devenue�.(20) Nous ne d�battrons pas de ces non arguments, nous avons choisi de leur opposer quelques donn�es chiffr�es � ce sont celles de l�administration coloniale �, relatives � �l�actif� scolaire, et par extension � l��l�vation de l�Alg�rie au rang de �grande nation� par la France civilisatrice, donn�e comme v�rit� scientifique. Vers 1880, apr�s un demi-si�cle �d��uvre positive�, 10 000 enfants alg�riens, sur environ 500 000, soit 1,9% d�enfants d��ge scolaire avaient acc�s � une �cole publique ou priv�e(22). A titre comparatif, � la fin des ann�es 1880, 100% des effectifs des 6 et 11 ans sont scolaris�s en France, suite � la loi Jules Ferry(23) de 1882, auquel le pr�sident Hollande rendit hommage au lendemain de son investiture, sur une id�e, semble-t-il, de Benjamin Stora, son conseiller historique. Notons au passage que de nombreux historiens et publicistes proches des milieux de la colonisation, mais aussi des officiers, admettaient qu�avant l�invasion coloniale, tous les enfants de 6 � 10 ans fr�quentaient l��cole primaire. En 1898, dix ann�es apr�s la promulgation pour l�Alg�rie de la loi sur la scolarisation obligatoire , le recteur d�acad�mie en Alg�rie M. Jeanmaire, rapporte, certes dans le langage des dominants, que 97% d�enfants alg�riens ��taient rest�s �trangers � la langue fran�aise et � toute action de civilisation�. Vers 1908, 30 400 enfants sur 700 000, soit 4,3% d�enfants d��ge scolaire fr�quentaient, irr�guli�rement, l��cole coloniale. A la veille de la Premi�re Guerre mondiale, en 1918, 5% d�enfants d��ge scolaire, soit 47 000, pour 850 000 �taient inscrits � l��cole. En 1954, apr�s 124 ans d���uvre positive�, �l�actif scolaire� de J.-P. Chev�nement, �tait de 10% environ d�enfants d��ge scolaire, d�apr�s les chiffres de l�administration coloniale. Attitude des Alg�riens face � l�instruction et � la langue fran�aise Ces quelques donn�es doivent-elles �tonner ? En v�rit�, comme le notait en 1967 le sociologue Abdelmalek Sayad : �� Il n�a jamais �t� dans la nature de la colonisation d�assurer l��mancipation des colonis�s, m�me au moyen de la langue, de l��cole et de la culture coloniale. Convaincus que l�action de l��cole devait, t�t ou tard, porter atteinte au fondement m�me de l�ordre qu�ils avaient instaur�, les milieux de la colonisation ont toujours �t� farouchement oppos�s aux progr�s de l��cole fran�aise en Alg�rie�. Cette analyse est largement confirm�e par les pratiques et discours des colonialistes : �Lorsqu�il y aura partout des indig�nes instruits qui pourront se renseigner sur les derniers progr�s de la science, alors �clatera une formidable insurrection. � D�autres consid�rent que �� c��tait folie d�instruire les indig�nes�, et de leur permettre d�acc�der � une instruction susceptible de leur offrir �dipl�me et orgueil�, qui en �feraient des d�class�s et des concurrents, des agit�s ou des r�volutionnaires �. D�autres enfin avertissent : �Si pour cette foule de gueux� l�instruction se g�n�ralisait, le cri unanime des indig�nes serait l�Alg�rie aux Arabes.� Ce danger que l�instruction des �Arabes� pouvait faire peser sur le syst�me colonial relevait des fantasmes du colonat et d�une population de �petits Blancs� qu�effrayait l�hypoth�tique promotion par l��cole de quelques indig�nes, une promotion qui leur ferait concurrence. Pour en finir avec ces fantasmes, rappelons que c�est �avec un peuple compos� de 91% d�illettr�s qu�en novembre 1954 fut d�clench�e l�insurrection victorieuse. Cela ne veut nullement dire que le colonialisme a �t� vaincu par l�ignorance. Cela veut dire tout simplement que s�il avait fallu attendre pour d�clencher la lutte que l�ignorance fut vaincue, l�insurrection eut �t� renvoy�e aux calendes grecques�(24) S. H. A. 1 - Il y a une constante, une continuit� historique des �lites fran�aises depuis 1830 dans la d�fense de l�id�e de la �mission civilisatrice� confinant celle-ci au statut de patrimoine national. 2 - Propos de l�historienne guadeloup�enne Maryse Cond�. 3 - Un exemple r�cent tr�s significatif. Lors des �d�clenchements � des pseudos printemps arabes, des politiques, de droite de gauche et de Navarre, des universitaires, des arabologues, islamogues et autres experts avaient tous dans la bouche un m�me mot : �Nous devons accompagner ces r�volutions� ; �Il faut accompagner ces gens�. Eternel et ind�crottable paternalisme 4 - Ainsi parlait, en 1834, l�intendant civil d�Alger, le gouverneur civil en quelque sorte, Genty de Bussy, dans un rapport adress� � ses sup�rieurs. 5 - Alg�rie, nation et soci�t�, M. Lacheraf. Maspero, 1965. 6 - Une partie cons�quente des informations mentionn�es tout au long de cet article provient de l�ouvrage d�Yvonne Turin Affrontements culturels dans l�Alg�rie coloniale. Maspero, 1971. 7 - G�n�ral Daumas. 8 - �Y. Turin. Op., cit. 9 - En 1892, un d�cret colonial r�glementant l�enseignement pour les �indig�nes� excluait les filles. 10 - Il est important de pr�ciser que les mosqu�es et les zaou�as �taient g�n�ralement pourvues d��coles, de m�dersas. 11 - E. De Lumone, Promenade � Alger1865. 12 - C�est nous qui soulignons 13 - Peupl�e de 50 000 habitants avant 1830, la ville d�Alger d�apr�s une �valuation coloniale n�en comptait plus que 12 000 en 1833. C�est donc 38 000 personnes qui ont fui la ville. 14 - Comme le note M. Lacheraf : �Ces choix d�notaient un ensemble de liens avec une cat�gorie de villes de l�Islam m�diterran�en.� 15 - La population de Constantine �tait estim�e � 20 000 habitants en 1849. 16 - Cf. Les zaou�as, Sma�l Hadj Ali, revue Maghreb-Machrek, n�135, 1992. 17 - Y. Turin, op, cit�. 18 - Des d�mographes fran�ais ont estim� entre 800 000 et 1 000 000 le nombre de victimes directes ou indirectes de la guerre de conqu�te, entre 1830 et 1871 pour une population de 3 millions de personnes. Voir les travaux r�cents du d�mographe alg�rien K. Kateb. 19 - Il s�agit de Jean-Pierre Chev�nement. Les graves divergences ici exprim�es n��tent en rien sa solidarit�, rare � cette �poque du c�t� des �lites politiques fran�aises, avec l�Alg�rie qui luttait contre la terreur th�ocratique. On comprend d�autant moins bien sa d�fense de la France coloniale, si ce n�est sa vision �troitement nationaliste du r�le de la France, laquelle occulte la nature imp�rialiste de sa politique ext�rieure. Cf la position fran�aise avec la Libye et la Syrie. 20 - Bachir Hadj Ali, �Culture nationale et r�volution alg�rienne� Alger, 30 mars 1963. 22 - Nous ne d�battrons pas de la qualit� de cet acc�s, ni des fonctions de dressage et de soumission de l�institution scolaire coloniale. 23 - On oublie, ou on feint d�oublier, que Jules Ferry, homme d�Etat raciste, joua un r�le consid�rable contre la commune de Paris et s�est enrichi en sp�culant sur les denr�es alimentaires durant celle-ci. Complice de Thiers dans le massacre des communards, il fut affubl� du nom de Ferry-Famine par les r�volutionnaires parisiens. 24 - Bachir Hadj Ali, �Culture nationale et r�volution alg�rienne� Alger, 30 mars 1963.