Avec Cuba depuis 1960, et le Venezuela puis le Brésil et la Bolivie, c'est cette fois le Chili qui poursuit la voie socialiste ou tout simplement de gauche avec l'élection de Mme Michelle Bachelet – une première pour ce sous-continent-, une socialiste qui se revendique de l'héritage de Salvador Allende, premier président chilien de gauche élu, et assassiné par les militaires menés par le général Augusto Pinochet, un coup d'Etat qui n'aurait pu avoir lieu sans de puissants soutiens extérieurs. Une page sombre de l'histoire de ce pays qui ne s'est jamais refermée, puisque des hommes et des femmes entendent rétablir la vérité, et dire enfin qui est coupable de quoi. Comme prévu, la candidate du centre-gauche Michelle Bachelet a remporté l'élection présidentielle dimanche au Chili. Mme Bachelet a obtenu 53,49% des voix et son adversaire de droite Sebastian Pinera 46,5%. Signe particulier de cette élection, elle a battu l'entrepreneur milliardaire dans toutes les régions du pays, sauf l'Araucania (Sud). Le président sortant, le socialiste Ricardo Lagos, a félicité sa dauphine, estimant que sa «tâche sera difficile» et lui promettant tout son appui. «Tes capacités nous permettront d'avoir un grand gouvernement, une grande femme présidente», a-t-il déclaré. Mme Bachelet a obtenu un meilleur score que M. Lagos en 1999 face à l'ultra-conservateur Joaquin Lavin (51,3% contre 48,7%). Elle a évoqué la mémoire de son père, mort sous la dictature, en promettant une nouvelle étape de la vie politique chilienne comme «présidente des citoyens». «C'est historique car c'est la première fois en Amérique du Sud qu'une femme est élue présidente au suffrage populaire», a souligné le chef de son équipe de campagne, le socialiste Sergio Bitar. Pendant que les ténors de la Concertation démocratique, coalition de chrétiens-démocrates et socialistes au pouvoir depuis 16 ans, célébraient sa victoire devant les caméras de télévision, Alameda, l'avenue principale de Santiago, se remplissait de manifestants et automobilistes exprimant leur joie à grands coups de klaxon. Sebastian Pinera a reconnu sa défaite et félicité Mme Bachelet, symbole de la «lutte de millions de femmes pour parvenir à la place qui leur revient». Le chef de file du parti de droite modérée Rénovation nationale a été pénalisé par un mauvais report des voix des ultra-conservateurs nostalgiques de l'ère Pinochet de l'Union démocrate indépendante (UDI). Mais il a remercié ce parti de sa «loyauté» et a promis que leur Alliance pour le Chili mènerait «une opposition constructive» à Mme Bachelet. Cette dernière succédera le 11 mars pour un mandat de quatre ans à M. Lagos, son mentor et l'un des présidents les plus populaires qu'ait connus le Chili. Soledad Alvear, ex-candidate démocrate-chrétienne à la présidence, qui s'était retirée de la course au profit de Mme Bachelet en 2004, pense qu'elle choisira «les meilleurs hommes et femmes pour former son gouvernement». La peu conventionnelle «Michelle», agnostique dans un pays majoritairement catholique, mère célibataire qui a élevé seule trois enfants de deux pères différents, a annoncé dimanche qu'elle formerait un «gouvernement paritaire», composé pour moitié de femmes. Cette pédiatre de profession, fille d'un général d'aviation mort torturé par ses pairs peu après le coup d'Etat d'Augusto Pinochet, torturée elle aussi et exilée, symbolise la réconciliation du pays avec son passé. Elle a évoqué avec émotion la mémoire de son père dimanche dernier, rappelant avoir hérité de lui sa «vocation de service public». Comme ministre de la Défense – première femme en Amérique latine – entre 2002 et 2004, elle avait su rapprocher la société civile de l'armée, ce qui lui a valu sa très grande popularité. La victoire de Mme Bachelet consolide l'orientation «progressiste» du continent latino-américain, mais elle est idéologiquement plus proche du président brésilien Lula que de l'Indien aymara Evo Morales élu récemment en Bolivie ou du président vénézuélien Hugo Chavez. Le programme de Mme Bachelet prévoit une poursuite de l'ouverture aux investissements étrangers et la signature de traités de libre-échange, qui ont permis une croissance économique de 6% par an et le recul du chômage à 8%. Elle s'est engagée dimanche dernier à mettre l'accent sur le «social», en améliorant système des retraites et éducation publique et en réduisant la pauvreté qui frappe encore 18% des 15,5 millions de Chiliens. Tout un programme que beaucoup auraient aimé étendre à l'ensemble du sous-continent qui fait actuellement aux ravages du libéralisme.