Au mal de voyager auquel n'échappent que peu de personnes, l'éventualité d'un plongeon dans les précipices qui bordent la route tout le long des montagnes qu'elle traverse reste fortement du domaine du possible. Un inconvénient de taille est venu s'ajouter à cela pendant la noire décennie : ces virages serrés sont devenus de véritables coupe-gorges où les groupes de terroristes dressaient leurs faux barrages dès la tombée de la nuit. On se souvient de ce terrible carnage fait parmi les supporters blidéens lors de la rencontre Blida-Sétif à Bouira. Aujourd'hui, à condition de se montrer prudent au volant, car la route devient glissante en hiver, nous assure-ton, et de voyager de jour, on peut sereinement entreprendre le voyage par Tablat. C'est ce que font nombre d'automobilistes qui préfèrent affronter les aléas de la RN8 à ceux plus nombreux et plus effrayants de la RN5 où l'on a quotidiennement rendez-vous avec la mort. Mais tous ces aléas ne concernent pas le voyageur qui partant de Bir Ghabalou se fixe pour objectif la ville de Tablat. La route qui court longtemps parallèlement à Oued Isser comporte peu de virages. Le paysage tout en collines pelées change, à mi-chemin où la forêt repoussée sans cesse au Nord par de multiples facteurs dégradants reprend enfin ses droits. Et l'on est frappé d'un détail géographique dès qu'on enjambe Oued Isser : pourquoi le petit oued qui remplace Oued Isser à notre gauche au lieu de couler vers le nord roule-t-il ses eaux vers le sud pour se jeter dans l'oued principal avec lequel il forme un confluent à hauteur du pont ? On a la solution du mystère un peu plus loin lorsque le bus à 36 places quitte la nouvelle route pour l'ancienne qui traverse la ville de Tablat par son centre : on est au pied d'une montagne et la ville est blottie en son flanc. Pendant la grimpée, on peut remarquer de part et d'autre de l'artère principale (ancienne RN8) de petites boutiques où fleurissent toutes sortes d'activités commerciales et de cafés en nombre important où la population qui compte beaucoup de oisifs en son sein vient ici perdre son temps autour d'un verre. Le bus s'arrête devant le tribunal (il y a un tribunal dans ce petit patelin perdu) et on est aussitôt saisi par le froid vif, celui des montagnes. On ouvre son parapluie, car il pleut et l'on se fait la remarque suivante : si les rues dans cette petite ville sont si propres c'est parce qu'elles sont toutes en pente raide et que la pluie est le premier agent nettoyeur ici. Roulant en torrents le long des trottoirs, les eaux pluviales emportent tous les détritus qu'on confie à la rue. Une gestion déficitaire «Lorsque je suis arrivé ici, il n'y avait plus l'électricité», déclarait le P/APC qui nous a reçus dans son bureau pour un entretien sur la gestion de sa commune. Celle-ci, à l'entendre, est confrontée à un grave déficit. Les dettes de la commune s'élèvent, selon le chiffre avancé par ce responsable, à un milliard et demi de centimes environ. S'il y a l'électricité aujourd'hui dans les bureaux, le téléphone en revanche est coupé faute d'avoir pu honorer la facture. Condamnée à fonctionner avec un nombre de travailleurs fort réduit, la commune fait largement appel aux activités liées à l'emploi de jeunes (40 postes) et au filet social (120 postes) pour suppléer au déficit en personnel. Les seules recettes, en dehors des petits commerces et du marché qui se tient deux fois par semaine, sont celles qui devraient venir de la gestion de l'eau dont la commune a le monopole. Faute de recouvrement, les créances s'élèvent depuis deux ans à plus de 400 millions de centimes ! Le P/APC se demande s'il ne faut pas confier la gestion de l'eau à l'Algérienne des eaux (ADE), mais en aura-t-il le cœur, sachant que cette commune de 38 000 habitants est pauvre. Mais comment faire face à «l'accumulation de tant de problèmes, avec le seul et maigre budget de la commune ?» Cette accumulation de problèmes, pour reprendre les termes du P/APC, s'est déjà répercutée sur la réalisation de projets de logements sociaux, dont certains lancés en 2001 sont aujourd'hui toujours en cours. L'aide au logement rural qui exige une participation de 10% des bénéficiaires sur l'enveloppe de 50 millions octroyés consistant en travaux de soubassement est dans la même situation en raison de la pauvreté endémique régnant dans les 25 douars que compte la commune. Le séisme de 2003 a sévi sévèrement dans les zones rurales où les constructions en pisé n'ont pas résisté à la forte secousse qui a ébranlé la région. Selon une source proche de l'APC, il y aurait eu 600 logements précaires qui se sont effondrés lors de ce tremblement de terre. Deux écoles primaires durement éprouvées par ce séisme ont dû être fermées, celle de Taghaboust, à 11 km à l'est de Tablat et celle de Naâmine à 4 km également à l'est du chef-lieu de commune. Le transport scolaire consistant en deux bus acquis par la commune prend en charge le déplacement à l'aller et au retour de tous ces élèves vers les écoles à Tablat. Ajoutons à cela les problèmes de transport scolaire des lycéens et des collégiens venant de douars plus ou moins éloignés de la ville, d'ouverture de pistes ou leur entretien pour le désenclavement des localités de Rasfa, Tagherboust, Kaf El Hmam, Béni Belkacem, Béni Djerbal, etc… l'électrification rurale pour la trentaine d'habitants de Bouchouène et de Draâ Lakhdar, ces familles exclues de l'étude du projet de Kahrif et surtout le lancinant, l'insoluble problème du chômage, qui selon le P/APC, touche 60% de la population active de la commune. Voilà grosso modo la situation au plan économique et sociale de cette commune brossée successivement par le P/APC lors de notre entretien avec lui. Relever tous les défis La stratégie de développement élaborée par cet élu RND, qui a dû quitter Tipaza où il était à la tête d'un lycée pour revenir s'installer dans sa ville natale tient en peu de mots : créer un pôle attractif suffisamment puissant pour attirer non seulement des hommes d'affaires étrangers à la commune, mais ceux de ses natifs qui sitôt enrichis l'ont quittée pour des cieux plus cléments. C'est que le terrorisme a fait des ravages dans cette commune isolée dans les montagnes. Plus de 24 édifices publics et entreprises étatiques partis en fumée une certaine nuit de 1994, selon notre responsable. Le siège d'APC est inclu dans ce désastre auquel n'ont échappé que les établissements scolaires et les structures sanitaires (hôpital, polyclinique). Ce pôle consiste pour le court, le moyen et le long termes à favoriser l'extension de la ville vers le sud autour de projets structurants qu'accueillera la zone d'activité de la commune. Parmi les grands projets inscrits et qui pourront créer cette dynamique nécessaire au décollage économique de la commune, citons cet hôpital moderne de 60 lits et 6 logements financés par la Banque saoudienne à hauteur de 521 518 965,08 DA dont les travaux de réalisation seront prochainement lancés par une entreprise américaine, une grande gare routière et un lycée. A côté de ces grands projets qui seront créateurs de postes d'emploi, la politique de développement local intègre la reprise des programmes de logements sociaux à l'arrêt et la redynamisation de ceux en cours, la fixation des populations rurales et le retour de celles ayant fui la campagne sous la menace du terrorisme par l'amélioration des conditions de vie décentes (aide à l'habitat rural, électricité, AEP, écoles, activités en rapport avec le milieu rural, l'ouverture de pistes, le transport public est…). Pour établir un contact permanent avec les populations rurales, le P/APC les encourage à se structurer en comités de quartier en vue de recueillir à la source les doléances des citoyens et de débattre des solutions appropriées à leurs problèmes. Ce responsable, qui se définit comme très pragmatique, est convaincu que l'avenir des jeunes chômeurs ne peut se régler que par une formation professionnelle qui leur assurera un métier en fonction des besoins du marché régional. D'où l'accent mis par lui et les responsables du CFPA sur une formation professionnelle soucieux de faire acquérir aux jeunes ce profil recherché par ce type de marché. Afin d'accélérer le processus d'éligibilité à l'aide à l'habitat rural, le P/APC a fait signer une convention entre les futurs bénéficiaires et les entrepreneurs pour obtenir les matériaux de construction nécessaires aux travaux de fondation posés comme condition à l'obtention de l'enveloppe de 50 millions octroyés par l'Etat. Au reste, le P/APC qui compte sur l'aide de tous les secteurs et les autorités de wilaya et de daïra sait s'appuyer en cas d'urgence sur certaines agences immobilières comme AGIM pour lancer ses 40 logements promotionnels ou les entrepreneurs privés quand il a fallu dégager la route enneigée en 2005 ou sur d'autres communes comme Béni Slimane où se trouve le centre d'enfutage qui l'approvisionne en gaz butane. A propos du gaz de ville, le P/APC fait le pronostic que la ville de Tablat en bénéficiera en 2007. Le chef-lieu de commune qui a été érigé à ce statut en 1881, devenu chef-lieu de daïra en 1957, dont la superficie est de 74 km2 souffre de relever administrativement d'une wilaya à 120 km quand Alger n'en est qu'à 60. Les citoyens qui se rendent à Médéa pour une raison ou une autre sont obligés à un long détour qui les conduit à passer par Béni Slimane ou Alger. «Quand je me rends pour affaire à Médéa, je mets deux jours pour revenir chez moi, alors que quand je vais à Alger, je retourne à la maison le jour même», se plaint un citoyen. Sentiment partagé avec cette enseignante de l'école Si Lakhdar El Oulia. Elle se sent coupée de tout, et comment dit-elle s'informer de cette nouvelle méthode quand on est si loin ? Pour permettre les travaux de réhabilitation et d'agrandissement de son école, dans un triste état depuis plusieurs années, elle a été obligée ainsi que ses collègues à emmener leurs élèves dans l'école voisine où la double vacation a été mise en place pour faire face à cette situation. Par double vacation, il faut entendre une organisation de travail où les enseignants exercent à tour de rôle dans les classes d'une école. Est-ce ce sentiment qui a été derrière l'exode massif des habitants de Tablat vers la capitale ? «Tous les Tablatis travaillent à la Mitidja», relève le P/APC. «Les vrais tablatis sont partis vivre ailleurs», confirme un jeune commerçant qui impute en partie la situation économique à ces exodes massifs et en partie au terrorisme qui a saboté les structures économiques de la commune. La RN 8 qui par évitement ne traverse plus la ville renforce ce sentiment d'isolement tout en portant le coup de grâce à l'économie locale. C'est pourquoi le rêve grandiose du P/APC est de voir un jour la RN8 se transformer en autoroute, et installer un marché de véhicules hebdomadaire à Tablat, seule chance pour briser cet isolement. Mais que pensent les habitants des douars ? Leurs préoccupations immédiates s'articulent autour des moyens de transport insuffisants ou trop chers comme pour les localités Rasfa, Ahl Dhraâ, El Babda, El Mouchène, Boufouara (20 DA la place) ou Tagherboust (35 DA la place) l'ouverture de piste pour Ouled Sassi par exemple, les pannes d'électricité qui plongent les douars durant deux jours parfois, selon les citoyens de ces localités. Les transporteurs publics se plaignent de l'absence d'aire de stationnement, de la crise du carburant Sirgaz qui sévit de façon endémique au niveau de la station de service de Tablat, crise toute simulée par les préposés, selon nos interlocuteurs et qui les oblige à aller s'approvisionner en carburant à Bir Ghabalou à 35 km de Tablat ! L'hiver précédent semble avoir marqué les esprits de ces gens habitués pourtant au froid. Pendant plusieurs jours, selon certains d'entre eux, les pistes étaient restées impraticables. Les malades étaient évacués par des moyens de fortune. Curieusement, les voix ici ne s'élèvent pas pour parler de la misère et des problèmes. Honte ? Humilité ? Ce que l'on sait de façon sûre c'est qu'il n'y a jamais eu d'émeutes à Tablat, jamais de fermeture de la RN8 ou des sièges d'APC ou de daïra. Dans l'énumération de leurs griefs, les autorités ne sont jamais montrées du doigt. Aucun scandale n'est cité. Le P/APC, interrogé sur ses rapports avec ses électeurs, leur trouve un bon caractère et table là dessus pour consacrer tous ses efforts à son combat pour une commune prospère.