Cette déclaration du secrétaire d'Etat américain à la Défense, Donald Rumsfeld, prononcée samedi à son arrivée à Tunis, trahit la stratégie de la Maison-Blanche vis-à-vis des trois pays du Maghreb. Pourtant, ce bloc géopolitique régional est censé, théoriquement, parler d'une seule voix et recevoir le même traitement, étant entendu que les trois pays sont confrontés aux mêmes menaces terroristes et aux mêmes défis du développement. Mais le pragmatisme US n'a d'égal que sa volonté de tirer le maximum de dividendes, quitte à choisir furtivement son camp. Et pour des raisons historiques liées au traité d'amitié que les Etats-Unis avaient signé en 1787 avec le Maroc, Rabat constitue la coqueluche de l'Administration américaine. N'ayant pas d'«antécédents» soviétiques ni épousé le mouvement anti-impérialiste des années 1970, le Maroc se présente parfaitement comme un allié objectif des Etats-Unis avec lequel ces derniers ne risquent pratiquement rien. Et l'envoi, en 1991, à l'occasion de la première guerre du Golfe, des troupes de sa majesté en Irak pour appuyer l'effort de guerre US a définitivement confirmé l'idylle américano-marocaine. L'Oncle Sam et Sa Majesté Il ne faudrait donc pas s'étonner du fait que les hauts responsables de ce pays distribuent de bonnes notes au souverain alaouite. Hier encore, Donald Rumsfeld s'est fendu d'un panégyrique à l'égard du Maroc dans un entretien au journal Le Matin du Sahara. «Votre pays est une société pacifique, tolérante et moderne qui respecte les droits de tous les peuples et de toutes les religions.» Il ne pourrait, sans doute, pas faire une telle déclaration s'agissant de l'Algérie. Et pour cause, le lourd passif prosoviétique de notre pays, conjugué à un terreau islamiste actif et au soutien sans réserve à la cause palestinienne ne sont pas de nature à rassurer l'Oncle Sam, qui fait particulièrement attention là où il met les pieds. C'est que les Etats-Unis observent scrupuleusement une règle prudentielle dans leurs rapports avec une Algérie plutôt imprévisible. En revanche, ils savent parfaitement à quoi s'en tenir avec un Maroc qui garde une ligne de conduite linéaire, sans vagues. Il n'y a donc point de comparaison à établir entre les liens des USA avec le Maroc et avec l'Algérie. Le fait que Rumsfeld s'est contenté d'un crochet de quelques heures à Alger pour ensuite passer deux jours à Rabat est loin d'être fortuit. Si, pour l'Algérie, la venue de Rumsfeld a revêtu principalement un cachet militaire lié à la coopération, puisque c'est le ministre délégué chargé de la Défense, Abdelmalek Guenaïzia, qui l'a reçu à l'aéroport, tel n'a pas été le cas pour le Maroc. A Rabat, c'est le ministre des Affaires étrangères, Mohamed Benaïssa, qui a accueilli le patron du Pentagone et avec lequel il s'est longuement entretenu. Au-delà des affaires militaires, M. Rumsfeld a donc certainement traité du politique. C'est ce qui explique cette approche «diverse» avec les dirigeants des trois pays du Maghreb. Ces «nuances», qui ne relèvent pas, il est vrai, du protocole, n'empêchent pas les Américains de brasser le plus large possible dans cet espace géopolitique et géostratégique qu'est le Maghreb. «L'OTAN et les pays du Maghreb partagent un même souci face aux périls qui menacent la sécurité et la stabilité de l'Afrique du Nord», a déclaré Rumsfeld, comme pour homogénéiser la démarche et mettre tout le monde sous le même parapluie, celui des Etats-Unis. Exit donc les thèmes qui pourraient fâcher l'un des partenaires (le Sahara-Occidental, les droits de l'homme, la démocratie…), dès lors que la coopération dans la lutte contre le terrorisme est fédératrice. «Avec nos partenaires en Afrique du Nord, nous restons donc inquiets de la capacité que des extrémistes violents peuvent avoir d'opérer dans le Sahara.» Voilà le gentleman's agreement qu'ont trouvé les Américains pour «gérer» idéalement un Maghreb politiquement désuni, mais stratégiquement engagé.