Un seul mot pour en qualifier le contenu : il est accablant pour ceux qui en sont responsables, autrement dit l'Administration américaine qui a déporté et emprisonné des dizaines de personnes privées de droits, comme le rappelle une récente déclaration d'avocats. Sans que l'on sache pourquoi, mais le fait en soi n'est pas nouveau, l'ONU a cherché donc à prendre ses distances avec le rapport accusant Washington de mauvais traitement des prisonniers à Guantanamo et recommandant la fermeture du centre de détention. Le projet de rapport a été rédigé par cinq envoyés de la Commission des droits de l'homme de l'ONU basée à Genève. Mais grâce à des fuites – organisées ? -, des extraits sont déjà parus dans la presse. «Il a été rédigé par des rapporteurs indépendants désignés par la Commission des droits de l'homme et non par le Haut-Commissaire (Louise Arbour) ou le secrétaire général (Kofi Annan)», a-t-on précisé auprès de l'ONU. Selon les conclusions de ce projet de rapport de 38 pages, les traitements réservés aux détenus de la prison de Guantanamo «violent leurs droits à la santé mentale et physique et, dans certains cas, représentent des cas de torture». Les auteurs du rapport dénoncent aussi «la violence excessive» utilisée par certains lors du transport de prisonniers ainsi que l'alimentation de force des détenus observant une grève de la faim, en estimant que ces pratiques s'apparentent à de la torture. Les rapporteurs de l'ONU appellent notamment Washington à fermer cette prison militaire et à transporter les détenus sur le sol américain pour les y juger, estimant que les raisons invoquées pour justifier leur détention prolongée contreviennent aux lois internationales. Ils réclament aussi que les détenus cessent d'être renvoyés lorsqu'ils sont libérés, vers des pays où ils pourraient être soumis à la torture. Lundi dernier, les Etats-Unis ont condamné par avance ce rapport, estimant que le document reposait sur des «on dit», aucun enquêteur de l'ONU n'ayant visité la prison qu'abrite cette base. «Lorsque les gens entendront des informations sur ce rapport et quand ils pourront le lire, je les appelle à le faire en tenant compte du fait qu'aucun des auteurs de ce rapport ne s'est rendu à Guantanamo», a déclaré le porte-parole du département d'Etat, Sean McCormack. Quelque 500 prisonniers sont détenus sans procès à Guantanamo, pour la plupart capturés après les attentats terroristes du 11 septembre 2001 et certains sont en grève de la faim. Les inspecteurs de l'ONU, qui souhaitent se rendre à Guantanamo depuis avril 2004, avaient demandé à Washington d'accepter leur cahier des charges qui stipule de pouvoir s'entretenir en tête-à-tête avec les détenus, en majorité des membres présumés des talibans et d'Al Qaîda capturés en Afghanistan fin 2001 Washington ayant refusé, les inspecteurs avaient renoncé à une inspection prévue en décembre. C'est le principe de la visite guidée qui a été rejetée depuis le début. Faute de pouvoir vérifier par eux-mêmes, les auteurs affirment qu'il faut «juger exacts» les témoignages solidement établis dénonçant ces techniques d'alimentation forcée, qui sont, selon eux, «équivalentes, sans équivoque, à de la torture». Certains médecins et des infirmières «se sont rendus complices du traitement abusif de détenus» en violation des règles d'éthique, affirme le document de 38 pages, qui relate «des soins conditionnés à la coopération avec les enquêteurs», des traitements «non consensuels» ou «inadéquats» et des injections de force. Les rapporteurs s'insurgent aussi contre des techniques d'interrogatoire toujours autorisées par le Pentagone : soumettre un détenu à des températures extrêmes, des musiques intenses, le priver de lumière, l'isoler, manipuler ses cycles de sommeil… «Si elles sont utilisées simultanément, elles équivalent à des traitements dégradants», affirment les experts. «Si dans des cas individuels, qui se sont présentés lors d'entretiens, la victime expérimente une douleur ou une souffrance intenses, ces actes sont semblables à de la torture», poursuivent-ils, affirmant que «les conditions générales de détention (…) équivalent à des traitements inhumains». Les juristes onusiens estiment que «même dans des situations d'urgence ou de conflits armés» les lois relatives aux droits de l'homme s'appliquent. Selon eux, le droit des conflits armés ne s'applique pas à «la guerre contre la terreur» revendiquée par l'Administration américaine pour justifier la situation d'exception qui règne à Guantanamo Bay. Les recours juridiques offerts aux prisonniers «manquent des bases légales adéquates», jugent par ailleurs les auteurs, selon lesquels «l'exécutif américain opère en tant que juge, procureur et avocat de la défense». Dans ces conditions, «la détention de toutes les personnes à Guantanamo équivaut à une détention arbitraire», affirme le document. Dans la partie intitulée «Recommandations», le rapport demande au gouvernement américain de «juger rapidement» les détenus, conformément au droit applicable, ou «de les relâcher sans délai». Les rapporteurs suggèrent aussi de faire «juger les terroristes supposés par un tribunal international compétent». Jusqu'à la fermeture de la prison de Guantanamo Bay, conseillent-ils, «le gouvernement américain devrait s'abstenir de toute pratique équivalant à de la torture» et devrait «révoquer immédiatement toutes les techniques d'interrogation spéciales autorisées par le département de la défense». Bataille juridique Ces prisonniers ne peuvent par ailleurs invoquer la constitution américaine, affirment les avocats du gouvernement devant la Cour suprême, qui doit bientôt se prononcer sur une affaire pouvant entraîner l'annulation de dizaines de plaintes de détenus. Le gouvernement affirme notamment qu'un «étranger ennemi combattant détenu en dehors des Etats-Unis (…) ne bénéficie pas de la protection constitutionnelle», qui prévoit un certain nombre de droits pour tout détenu aux Etats-Unis. Or, Guantanamo n'est pas sur le territoire américain, souligne le gouvernement. Pour le dossier Hamdan, le gouvernement a donc demandé à la plus haute instance judiciaire de se dessaisir, car celle-ci n'est, selon lui, pas compétente pour examiner son affaire à ce stade. Si elle accepte, la cour pourrait entraîner dans son sillage les juridictions inférieures saisies de quelque 150 plaintes de prisonniers contestant essentiellement leur détention et ces plaintes seraient annulées. La bataille ne fait que commencer.