Les photos de l'horreur d'Abou Ghraïb, les détenus sans procès de Guantanamo interpellent la conscience universelle. Après l'émotion soulevée l'an dernier par l'existence en Europe et en Asie de prisons secrètes américaines, qui ont choqué la communauté internationale, voici revenir au-devant de l'actualité deux sandales qui ont défrayé la chronique ces deux dernières années: les horreurs commises par des soldats américains contre des prisonniers irakiens dans la sinistre prison d'Abou Ghraïb, près de Baghdad et le maintien, sans jugement, de quelque 500 prisonniers musulmans, de plusieurs nationalités, détenus dans la base américaine de Guantanamo Bay, à Cuba. Au moment où une télévision publique australienne, SBS, remettait à l'ordre du jour Abou Ghraïb en publiant des photos inédites, censurées en 2004 par l'administration Bush, et montrant l'horreur qui sévissait dans cette prison irakienne, l'ONU demandait, dans un rapport d'experts onusiens, la fermeture immédiate de la base de Guantanamo Bay, de juger les prisonniers ou de les libérer. Embarrassée par la publication de photos qui donnent à voir ce qu'avait été réellement Abou Ghraïb, avec des images dépassant en horreur tout ce qui a pu être imaginé s'être déroulé dans cette prison, Washington a tenté jeudi de minimiser l'impact que pourraient avoir ces photos atroces sur l'opinion internationale, irakienne singulièrement. De fait, ces photos qui montrent, notamment, un homme nu pendu par les pieds, un autre à la gorge tranchée, un prisonnier avec d'importantes blessures à la tête et un autre détenu couvert de ce qui semble être des excréments sont ignobles. Le secrétaire américain à la Défense, Donald Rumsfeld, tout en admettant l'authenticité de ces photos tente d'en minimiser l'importance indiquant jeudi lors d'une audition devant la commission de la Chambre des représentants: «On m'a dit que ces photos qui sont sorties sont les mêmes que celles qui ont été diffusées par le passé. Même si elles ne sont pas identiques, elles correspondent au même type de comportement.» Ce qui n'est pas totalement vrai car les images les plus détestables ont été censurées par l'administration Bush. De fait, c'est la première fois que le monde voit les photos diffusées par la télévision australienne SBS, et publiées mercredi par le magazine britannique News of the World. Le scandale d'Abou Ghraïb a connu une issue qui a épargné les hauts gradés américains et les civils de l'administration Bush, la justice américaine s'étant bornée à condamner sept soldats de rang inférieur, des lampistes. Sur un autre plan, un autre scandale refait surface, celui des prisonniers détenus sans jugement sur la base américaine de Guantanamo Bay. Alors même qu'il n'est pas encore officiellement publié, un rapport d'une commission indépendante de l'ONU fait déjà grand bruit et suscite maints commentaires et les démentis de Washington. L'ONU qui ne semble pas avoir encore digéré son bras de fer avec les Etats-Unis, sur les ADM irakiens, tentent de se démarquer d'un rapport qui sent le soufre. Ainsi, prenant les devants, le porte-parole du secrétaire général de l'ONU, Stéphane Dujarric, tente de dissocier les responsables de l'ONU du rapport de ses experts, en indiquant jeudi que ce rapport, «(...) a été rédigé par des rapporteurs indépendants désignés par la Commission des droits de l'Homme et non par le Haut Commissaire (Louise Arbour) ou le secrétaire général (Kofi Annan)». Selon ce rapport, qui doit être publié en cette fin de semaine, les traitements réservés aux détenus de la prison de Guantanamo «violent leurs droits à la santé mentale et physique et, dans certains cas, représentent des cas de torture». Selon les auteurs du rapport «les conditions générales de détention» à Guantanamo, dont la durée de la détention et l'isolement, «équivalent à un traitement inhumain» des prisonniers. Dans certains cas, les traitements infligés aux détenus «s'apparentent» à des «tortures». De fait, les inspecteurs de l'ONU qui voulaient se rendre à Guantanamo en décembre 2005 n'ont pu le faire, Washington ayant refusé qu'ils puissent s'entretenir en tête à tête avec les prisonniers, dont la majorité sont des talibans afghans capturés en 2001. Réagissant au rapport rédigé par des experts de l'ONU, le porte-parole de la Maison-Blanche, Scott McCleland, a indiqué jeudi que «les gens qui se trouvent là-bas et dont nous parlons sont de dangereux terroristes». Pourquoi alors ne pas les juger? Pour Kofi Annan, «tôt ou tard» Guantanamo «devra être fermée», indiquant cependant n'être pas en total accord avec les conclusions du rapport de l'ONU. Le meilleur allié des Etats-Unis, le Premier ministre britannique, Tony Blair, interrogé jeudi à Berlin, lors de son séjour dans la capitale allemande, a déclaré pour sa part: «J'ai toujours dit que c'était une anomalie dont il faudra s'occuper à un moment ou à un autre.». Certes, mais Guantanamo est surtout la preuve que le droit et les lois internationaux, dont l'ONU est censée en être le garant, ne s'appliquent pas de la même manière à tous les Etats.