Selon Qurtubi (1),, la femme a été tirée de l'homme et qu'elle a été nommée «Hawwâ» (la vivante), parce qu'elle a été créée d'un vivant (hayy). C'est en commentant la Sourate Albaqara que Qurtubi donne son explication de l'origine des noms «Hawwâ» et «femme» : A son réveil, Adam est interrogé par un sujet inconnu, on lui demande : «Qui est celle-ci ?» Il répond : «Une femme». On lui demande encore : «Quel est son nom ?» Il répond : «Hawwâ». De son côté, Tabbari(2) dit que toute l'humanité est issue d'un couple unique. Il fonde même cette unicité du premier couple sur l'unicité divine. Car : «Dieu est l'unique à avoir créé toutes les créatures à partir d'une personne unique (shakhs wahid), enseigna à ses serviteurs comment ils ont été créés d'un être unique et d'une mère unique.» Réfléchissant sur la création de la femme et son argumentation à partir de la lettre du Coran le conduit à voir dans cette autre partie du couple humain «une personne seconde par rapport à l'homme et, plus grave, la source de tous les maux de l'humanité», car pour lui «être unique (nafs wahida) équivaut à homme unique, (rajul wahid) et qu'il s'agit donc d'Adam». Si de plus en plus d'hommes reconnaissent que la femme devrait avoir les mêmes droits que les hommes, ils sont rares ceux qui joignent l'action à la parole. Ainsi, «les hommes algériens… demeurent complètement indifférents à la situation pénible de la femme, non seulement les hommes ne veulent pas entendre parler de ce problème, mais aussi ils ne peuvent guère le disséquer de façon positive et impartiale, le sort intolérable des femmes étant tellement entré dans les mœurs par le biais de coutumes millénaires, qu'il leur apparaît tout naturel» (3). Le phénomène qui veut que les actions ne suivent pas toujours les propos n'a jamais été aussi vrai que dans ce domaine où les écarts entre ce qui se dit et ce qui se fait représentent de véritables gouffres. Pour un homme, c'est une chose de comprendre et même d'approuver l'émancipation de la femme, mais c'en est une autre de prendre le tablier pour laver la vaisselle ou préparer le dîner. Certains auteurs musulmans modernes affirment que le droit musulman a établi une égalité entre l'homme et la femme. Ils citent de nombreux versets du Coran et un récit du prophète Mohamed : «Les femmes sont les sœurs des hommes.» Hélas, certains légistes ont accordé à l'homme plusieurs privilèges repris par les législations musulmanes, comme l'Algérie. L'Algérie a relativement peu emboîté le pas à la modernité au niveau des textes. Ainsi, sur les 199 articles de la Constitution de 1976, seules deux dispositions sont consacrées à la question de la femme. En effet, l'article 42 stipule : «Tous les droits politiques, sociaux et culturels de la femme algérienne sont garantis par la Constitution.» L'article 81, quant à lui, souligne : «La femme doit participer pleinement à l'édification socialiste et au développement national.» D'autres dispositions constitutionnelles concernant le statut de la femme dans la société, consacrant l'égalité juridique de celle-ci avec l'homme : l'égal accès à tous les emplois (art. 44), la prohibition de toute discrimination fondée sur le sexe (art. 39 -aliéna 3), la protection de la maternité (art. 65 -aliéna 1), la garantie et la sauvegarde des libertés et des droits fondamentaux (art. 164) et l'égalité devant la justice (art. 165). La marche vers le code algérien de la famille La question d'une loi sur la famille algérienne avait été débattue au cours de la guerre de Libération nationale (4), et l'espérance des femmes était grande d'avoir mérité par leur participation à cette guerre un statut d'égalité. En 1962, le parti FLN s'engageait dans la Charte de Tripoli (5) à supprimer tous les freins à l'évolution de la femme et à son épanouissement. Deux ans plus tard la Charte d'Alger mentionne : «…L'égalité de la femme et de l'homme doit s'inscrire dans les faits.» (6) C'est à partir de 1964 que l'idée est venue pour faire un code conforme aux traditions arabo-musulmanes. En effet, en automne 1978 un avant-projet avait été mis en circulation, qui déposséda les femmes de tous leurs droits, annulant ainsi les quelques souplesses que leur accordait le code civil qui régissait encore le contrat de mariage et sa rupture. Considéré comme anticonstitutionnel, un Manifeste de quelques revendications, telles que l'égalité dans le divorce et ses effets, le droit à la majorité au même âge que l'homme, non à la polygamie, la protection de l'enfance abandonnée, a été soumis, par des moudjahidate, des étudiantes au président de la République pour lui demander de retirer le projet des débats de l'Assemblée populaire nationale. Le pouvoir venait de prendre «prudemment» ses précautions. En se référant à une «instruction présidentielle» qui rejette toutes les propositions contraires à la charia, le code de la famille fut adopté par les députés du FLN. Adopté en 1984 – loi n°84/11 du 9 juin 1984 – par le régime du parti unique et les islamistes, surnommé le code de l'«infamie» par le président assassiné, le défunt Mohamed Boudiaf, réparti sur quatre chapitres (228 articles) ; du mariage et sa dissolution, de la représentation légale, des successions et des dispositions testamentaires, le code s'inspire de la charia (rite malékite). Ce code de la famille, qui n'est en réalité qu'un cocktail des survivances des coutumes de l'Arabie pré-islamique, des injonctions religieuses inspirées du Coran et des hadiths (paroles du Prophète), est en contradiction complète avec le projet d'une société pluraliste et socialement progressiste, en ce qu'il consacre l'inégalité des droits entre les femmes et les hommes, et fait des premières des «mineures à vie», sous tutelle des hommes de leur naissance à leur mort, car il n'y a aucun article en faveur des femmes dans ce texte de loi. Dire que l'Algérie a appliqué les nombreux traités et conventions qu'elle a paraphés, qui proscrivent la discrimination entre les sexes…, est complètement aberrante ! Le code de la famille décortiqué (7) Le tutorat (wali) : La loi 05 – 02 du 27 février 2005, portant code de la famille, stipule en son article 11 : «La femme majeure conclut son contrat de mariage en présence de son wali” qui est son père ou un proche parent ou toute autre personne de son choix.» En imposant la présence d'un «wali», les concepteurs de cette loi ignorent complètement les nouvelles catégories de l'article 40 du code civil (8) qui dispose : «Toute personne majeure jouissant de ses facultés mentales et n'ayant pas été interdite est pleinement capable pour l'exercice de ses droits civiques. La majorité est fixée à 19 ans révolus.» Par ailleurs, en son alinéa 1, l'article 11 de la loi sus-citée dit : «Le juge est tuteur de la personne qui en est dépourvue.» Ainsi, si le juge en question est une femme ; peut-elle jouer le rôle de tuteur matrimonial pour une autre femme. Tout en ayant besoin pour son propre mariage d'un tuteur (mâle) ? Et que dit la charia sur le tutorat ? Le principe le plus important de la charia ayant un impact sur le statut et les droits des femmes est la notion de qawama, qui a son origine dans le verset 4 : 34 du Coran. Ce verset traduit en français dit : «Les hommes ont autorité sur les femmes», dans d'autres traductions, on lit : «Les hommes sont supérieurs aux femmes». Dans l'analyse des Versets coraniques dans les tafsirs d'Ibn Khathir, Tabari et les autres rapports étymologiques des versets du Coran, le mot «qawamoune» ne se traduit pas par «supérieur», car supérieur en arabe se dit «aâla ou aâli». Il ne se traduit pas, également, par autorité, car autorité en arabe c'est «solta». Si nous suivons ce raisonnement, le mot «qawamoune» du Coran vient de plusieurs dérivatifs, tels que «qaouama» (résistance), «el qâma» (taille, stature). Dieu a créé l'homme d'envergure, de taille ou de stature forte par rapport à la femme. Il lui a donné une résistance corporelle de manière à supporter les tâches et les responsabilités lourdes, dont la femme est épargnée. Donc, «qaouama» ne veut nullement dire «autorité» ou «supériorité» de l'homme sur la femme pour en faire une discrimination entre eux. L'interprétation faite par les concepteurs du code de la famille de ce verset est : les hommes sont les tuteurs des femmes et leur sont supérieurs, et dans toute famille les hommes sont les tuteurs et les supérieurs de cette famille. Qu'en est-il de la polygamie ? En matière de permission polygamique, beaucoup d'adversaires de l'Islam, et ceux qui ne comprennent pas l'esprit de l'Islam, pensent que c'est le Prophète Mohamed qui a inventé pour la première fois la coutume de la polygamie. Les polythéistes, avant l'Islam, multipliaient les épouses sans ordre. L'homme avait le droit d'épouser vingt, trente et jusqu'à cent épouses. Ainsi, la religion des anciens accordait ce droit à tous ceux qui voulaient se marier avec plus d'une femme. Sauf en Chine et en Inde, au Ixe siècle, particulièrement dans la tribu Nâir, l'homme n'a pas le droit de se marier avec plus d'une femme, alors que la femme a le droit de se marier avec plusieurs hommes à la fois. Le globe-trotter arabe, Abû Dhahir AlHassan, cité par Montesquieu dans son livre l'Esprit des lois, avait découvert l'existence de cette coutume – la polyandrie – au Ixe siècle dans les pays sus-cités et l'avait considérée comme une sorte de débauche. Les Grecs étaient l'un des peuples les plus cultivés et civilisés dans le monde ancien. Cependant, l'épouse était la propriété de son époux, et ce dernier avait le droit de la vendre dans les marchés à une autre personne, laquelle à son tour avait le droit de la mettre en vente. Après l'extension du christianisme dans le monde occidental, la polygamie était répandue parmi les chrétiens. L'empereur Valentinien Ier avait édicté une loi, autorisant la polygamie pour son peuple. Malgré les lois de l'empereur Justinien 482-565, qui interdisaient la polygamie, cette dernière était encore répandue parmi les Européens jusqu'au XVIIe siècle. L'interdiction finale de la polygamie vient d'un décret européen, punissant et interdisant aux chrétiens de se marier avec plus d'une femme. L'Islam n'est donc pas la première religion à autoriser la polygamie, mais c'est la première religion qui a déterminé les règles du mariage et le nombre d'épouses. La stérilité de la femme, ou une maladie incurable sont des raisons qui conduisent à la polygamie. L'homme, dans ce cas, a le droit de se marier avec une autre femme à condition qu'il ait la capacité financière et physique et établit l'égalité entre elles. Si on a peur de l'injustice entre les femmes, on doit se contenter d'une seule. Il est dit dans la Sourate IV – 3 : «Si vous craignez de n'être pas juste avec celles-ci – Les femmes – alors une seule.» Le verset 129 de la même sourate met en garde contre les dérapages : «Vous ne pourriez être équitable envers le femmes, même si vous y teniez. Alors n'abusez pas de votre penchant.» En se livrant à une explication exégétique de ce verset, et à son rapprochement avec le verset 3 de la Sourate IV. Certains croyants ont déduit que le Coran approuve absolument la polygamie. En effet, notre code de la famille stipule en son article 8 : «Il est permis de contracter mariage avec plus d'une épouse dans les limites de la charia.» Ce qui est en contradiction flagrante avec l'article 29 de la Constitution algérienne, qui stipule : «Les citoyens sont égaux devant la loi sans que puisse prévaloir aucune discrimination pour cause de naissance, de race, de sexe, d'opinion ou de toute autre condition ou circonstance personnelle ou sociale.» Toutefois, l'article 30 du même code place timidement quelques limites, à savoir «l'homme ne peut pas épouser pour la quatrième fois la femme (dont il aurait donc divorcé déjà trois fois… )» à moins qu'elle ait entre-temps été mariée à un autre homme dont elle serait divorcée ou veuve. L'homme ne peut pas non plus épouser simultanément (mais il peut le faire successivement) deux sœurs, ou une femme et sa tante maternelle. L'homme doit en principe demander le consentement de son épouse (ou de ses épouses) avant de prendre une épouse de plus. (A suivre) Références : – Article «Silence,… on les tue !» paru dans le quotidien L'Authentique du 23 mars 2003 de Samir Rekik ; – Article «La femme algérienne, ce 'deuxième sexe” !» paru dans le quotidien Le Matin du 4 novembre 2003 de Samir Rekik ; – Article «Le code algérien de la famille et ses contradictions» du quotidien Le Matin du 09 octobre 2004 par Samir Rekik ; – Article «Prostitution en Algérie : de l'illusion à la désillusion» paru dans l'hebdomadaire Le Régional du 24 au 30 octobre 2002 de Samir Rekik ; – Article «Pour un statut digne de la femme : tenons compte des aspirations légitimes» de Ammar Koroghli in Le Matin du 11 mars 2003 ; – Nous les Algériennes, la grande solitude de Souad Khodja (Casbah Editions – 2002) ; – Femmes d'Algérie : société, familles et citoyenneté de Lucie Pruvost (Casbah Editions – 2002) ; – Le code algérien de la famille : loi n° 84 – 11 du 09 juin 1984 et loi n° 05 – 02 du 27 février 2005 ; 1) In Tafsir – tome I, p. 301. 2) In Tafsir Shakhir – tome 7 p. 513. 3) In Les Algériennes au quotidien de Souad Khodja – Enal – Alger 1985. 4) Ahmed Taleb Ibrahimi, lettres de prison, 1957 – 1961, Alger, Sned, 189 PP. 164 – 166. 5) Dossiers documentaires, édités par le ministère de l'Information et de la Culture, n° 24, janvier 1976 Libération de la femme, P. 51. 6) Textes adoptés par le 1er congrès du parti FLN, Alger, Presses de l'INA, Le rôle de la femme algérienne p. 82. 7) En prenant en considération les modifications du 27 février 2005 – loi n° 05 – 02. 8) Ordonnance n° 75 – 58 du 26 septembre 1975, modifiée et complétée.