La phrase se veut poème : « Petits et insignifiants, rares et précieux, nous sommes capables de faire de si beaux rêves et aussi d'horribles cauchemars. ». Elle annonce le roman de Djamel Mati, LSD, qui vient de paraître aux éditions Alpha, sans l'introduire réellement. L'auteur a choisi « un prologue » à son histoire : « Rien, vide, silence, immobilité... ». Les mots sont tissés, parfois éclatés, souvent dispersés, au point que le lecteur a du mal à trouver son chemin. « LSD est un roman écrit en prose et presque sur fond musical », prévient l'éditeur. Ok, tentons de trouver les sillons dans un champ vaste comme l'Afar éthiopien où est née Lucy, l'australopithèque, il y a 3,2 millions d'années. « Lucy remonte le temps comme on descend une pente, en marchant debout. Et à chaque pas, elle se voit en face d'elle. Différente. Plus grande. Plus épanouie. Plus assurée », écrit le romancier en imaginant les premiers pas de cette cousine de l'espèce humaine. La thèse de Lucy, ancêtre des humains ou le genre « homo », est mise en doute par les scientifiques. Le squelette presque complet de Lucy a été découvert en 1974. L'hominidé voyage. « Les siècles passent et des liens de plus en plus nombreux se tissent entre sa mémoire et le monde autour d'elle...Lucy devient le réceptacle d'une humanité petit à petit exigeante(...) Lucy traverse ces siècles : elle en gardera les stigmates imprimés au fil rouge sur le corps », poursuit Djamel Mati. Lucy enjambe les mers et traverse les déserts. Elle se retrouve tantôt au milieu des croisés, tantôt parmi les musulmans, « toujours écartelée par les extrêmes, constamment malmenée d'Est en Ouest ». Elle se retrouve au milieu d'une ville rasée par une bombe atomique. Hiroshima, l'horreur de Little Boy ! Elle s'interroge : « Qui fixe les règles ? ». Deuxième puis troisième millénaire, Lucy avance. Elle n'est pas rassurée : eaux souillées par les déchets, couleurs fades, planctons mourant d'asphyxie, pluies acides, bruits, germes ravageurs, animaux affolés, torrents de boue, hommes fous, vérité détournée, chaos spirituel... « Rien ou plutôt tout... pour rien... pour une apocalypse ». Le monde d'aujourd'hui est-il différent ? Et puis, il y a ce petit-fils de Darwin, Charles de son prénom, recalé dans un concours d'anthropologie. Charles n'a pas le génie de son grand-père, Robert Darwin, le naturaliste anglais, fondateur de la théorie de l'évolution (transformation des espèces au fil du temps, l'homme étant l'aboutissement d'un processus de sélection naturelle). Cette théorie est contestée, notamment par les milieux religieux, musulmans et chrétiens. Lucy L. écrit à Darwin : « l'exclusion de la volonté d'une divinité absolue dans la création du monde et de tous les êtres fait que la théorie de l'évolution n'accorde pas de place particulière à l'être humain dans l'Univers, alors que tout est issu d'un même et unique germe originel ». Son message est un SOS. Elle est pessimiste : « L'Homme avance à grande vitesse vers l'autodestruction ». Le jeune Charles, lui, écoute, dans un pub de Shrewsbury, une chanson de John Lennon, Imagine all the people. J'espère qu'un jour vous nous rejoindrez et que le monde vivra uni, chante Lennon. Charles va lire la lettre et en sera marqué. Charles va rencontrer Lucy. Il se souvient d'une phrase dite quelque part : « Si un jour, l'infiniment petit sera affecté, alors Le plus grand sera détruit ! ». Souvenez-vous des planctons, ces petits organismes vivant dans les eaux, qui s'étouffent...Pourtant, les planctons donnent de belles couleurs aux lacs ! Lucy et Charles parlent de Dieu, « Dieu de tous les êtres ». « Il est le Maître du Tout en l'absence et en présence du Temps », dit Lucy. Malraux n'avait-il pas dit que le prochain millénaire « sera spirituel ou ne sera pas ». Lucy est philosophe : « l'homme ne crée rien, il transforme tout, même ce qui ne lui appartient pas, puis il le développe en se donnant ainsi l'illusion de puissance ». L'homme ne crée pas le semence, il sème et récolte. Dans ses pérégrinations temporelles, Lucy est arrivée à un constat puisé dans le déterminisme classique : « le hasard n'est pas l'enclenchement des choses ». Albert Einstein en était convaincu : « Dieu ne joue pas aux dés ». Le voyage de Lucy n'est qu'un prétexte pour Djamel Mati pour s'interroger sur l'humanité et ses contradictions, l'homme et ses peurs, l'être et ses failles : « Quelle est notre place dans l'humus de la Création ? Quelle est notre réelle mission ? » Pas de réponse. Difficile de savoir le pourquoi du titre, LSD, mais on peut le deviner. Cela peut être par exemple : Lucy, Sully, Darwin. Sully est l'amie de Charles. Sully se confond avec Lucy. Fusion confusion ! Le LSD est surtout connu par être un puissant psychotrope qui dérègle le système humain de la perception et de la pensée. Le chimiste suisse Albert Hofmann a découvert ce stupéfiant presque par...hasard. Cela peut déplaire à Lucy, donc restons lucides ! Djamel Mati termine son roman dans un nuage de tags : « alors, transcendant, indescriptible, miraculeux...Derrière le rideau “Tout” s'apprête faire un nouveau Rêve...”. Les rêves, pour le romancier, parlent une langue comprise par tous et gomment les tracés des frontières. Géophysicien de formation, Djamal Mati a écrit plusieurs romans. Il est auteur d'une trilogie sur « les élucubrations d'un esprit tourmenté », débutée avec « Sibirkafi.com ». En 2007, il a publié aux éditions APIC, « On dirait le Sud », roman dans lequel il suit l'errance de Zaïna, Iness et Neil qui, dans un désert, se mettent à l'affût de leurs...rêves et cauchemars.