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« L'élite nationale et les Occidentaux favorisent le maintien du système algérien » La politologue Isabelle Werenfels lors du Forum Les débats d'El Watan
Le système algérien est inamovible. Il résiste à toutes les situations et fait barrage à toute tentative de transition à un pluralisme démocratique. Ce constat est déjà fait par de nombreux hommes politiques algériens. Mais par quels moyens parviennent-ils à se maintenir en place et à survivre à plusieurs présidents et à plusieurs mouvements de révolte ? Pour apporter des éléments de réponse à cette question, il faut bien une étude scientifique du système de gouvernement en Algérie. Son anatomie a été faite par Isabelle Werenfels, politologue et chercheuse à l'institut allemand Stiftung Wissenschaft und Politik. Invitée jeudi du forum mensuel Les Débats d'El Watan, la politologue suisse livre le fruit de son long travail scientifique effectué en Algérie entre 2001 et 2004. Et le nombreux public présent dans la salle de conférences de l'hôtel Essafir a été impressionné par l'exposé de la chercheuse et a réagi de manière positive. Les débats étaient très animés et instructifs. Mais avant cela, la conférencière a d'abord donné les résultats de sa recherche. Selon elle, le système algérien ne changera que s'il y a un Président intègre qui osera changer à la fois les structures et les institutions en place. « Il doit avoir un Président réformateur qui ne travaille pas pour ses intérêts personnels ou ceux de sa famille et de son clan », a-t-elle affirmé. L'oratrice a abouti à cette conclusion après analyse de la dynamique de l'élite politique algérienne et des transformations de la société depuis l'indépendance. L'influence des pratiques clientélistes et des intérêts économiques sur l'élite du troisième cercle (un cercle composé des représentants de la société civile), a joué un rôle important dans le maintien du système. Dotée d'un pouvoir de blocage, l'élite du troisième cercle ne prend pas ses distances, précise-t-elle, du système en place. Cette élite vit dans la périphérie du pouvoir et reproduit les mêmes pratiques. Ayant eu des interviews avec plus de 130 responsables d'associations, de syndicats, de partis et même des députés, Isabelle Werenfels remarque que la quasi-majorité d'entre eux est issue soit de la famille révolutionnaire soit des tribus connues ou des milieux d'affaires. Le rôle des USA et de l'UE C'est sur les mêmes critères d'appartenance que ces responsables sont promus au deuxième cercle (ministre ou Premier ministre). La conférencière relève aussi la contradiction entre le discours développé par cette élite et son comportement sur le terrain. Elle cite, dans ce sens, une anecdote. « Au cours d'un entretien avec un responsable, j'ai été émerveillée par ses idées favorables au changement. Mais après quelques verres de vin, il me proposa d'enter avec lui dans des affaires de business en Suisse. J'ai compris alors qu'il avait un argent à blanchir », raconte-t-elle, sans citer la personne en question. Cette histoire montre ainsi que le changement du système reste pour le moment une illusion. Précisant qu'il y a en Algérie des dynamiques qui peuvent provoquer un changement, la politologue estime que ces dernières préfèrent se déstabiliser elles-mêmes que de bousculer le régime en place. Les mêmes élites qu'elle a interrogées, souligne-t-elle, ne croient plus à un changement par le dialogue politique. Il y a également un facteur externe qui favorise le maintien du même système. Il s'agit, selon Isabelle Werenfels, du rôle que jouent les grandes puissances mondiales que sont les USA et l'Europe. « Les Etats-Unis d'Amérique et l'Union européenne ne se soucient plus de la démocratisation de l'Algérie. Ce qui les intéresse, c'est la stabilité du pays », explique-t-elle. C'est-à-dire que les Occidentaux accordent plus d'importance à la protection de leurs intérêts dans le pays qu'à l'instauration d'un système démocratique. La France joue également, dit-elle, un rôle dans le maintien du système algérien. Preuve en est le soutien du président français, Nicolas Sarkozy, à un troisième mandat pour Bouteflika. Le système restera même après le pétrole Le changement d'un Président, enchaîne-t-elle, ne donne pas naissance à un nouveau système. « Je pense que même après Bouteflika, le système ne s'effondrera pas car il y a d'autres structures qui le maintiendront », lance-t-elle. Ces structures sont, selon elles, « les faucons (les militaires), les groupes économiques et la clientèle du pouvoir ». Et à Mohamed Hachmaoui, modérateur de ses débats, d'expliquer les raisons. Selon lui, le processus de l'ouverture politique en Algérie n'a jamais atteint « le point de non-retour ». « Le fort taux d'abstention lors des dernières élections est synonyme de l'illégitimité. Mais l'appareil de coercition de l'Etat n'a pas perdu et est prêt à maintenir le système quel que soit le coût », explique-t-il. Une idée soutenue par la conférencière, qui précise que la mise en place d'institutions démocratiques occupées par des élites réformatrices est une condition sine qua non pour enclencher un processus du changement. Le système, soutient encore M. Hachmaoui, « est mis en place avant même l'existence de la rente pétrolière et il a survécu à un baril de pétrole à bas prix ». « La fin du pétrole ne provoquera pas automatiquement la fin du système », précise-t-il. La transition d'un système autoritaire à un système démocratique n'aura lieu que « s'il y a un mouvement crédible qui proposerait une alternative ». « Ce mouvement devra avoir un programme sérieux et fédérer autour de lui la majorité de la population », conclut pour sa part Isabelle Werenfels.