De la méchanceté en général. Quand Ahmed Ouyahia explique que les partisans du boycott sont des traîtres à la nation, s'agit-il d'un traitement contre l'abstention ou de la pensée profonde d'un grand moudjahid ? Quand Ahmed Ouyahia annonce, en fustigeant les journaux critiques, que le pays a des lois qu'il va appliquer, s'agit-il d'une menace physique ou de l'avis particulier d'un lecteur dyslexique ? Il ne s'agit pas de s'attarder sur la légèreté des propos d'un homme qui est à la tête du pays, mais de revenir sur le vocabulaire générique d'un régime qui passe son temps à se désigner des ennemis, un sociopathe paranoïaque qui déteste les gens. Les opposants sont des traîtres, depuis longtemps, avant même que Ahmed Ouyahia n'accède à de hautes responsabilités. Les journalistes sont des traîtres, comme les défenseurs des droits de l'homme, les démocrates et les coiffeuses. La proportion de traîtres est telle qu'on se demande comment le pays n'a pas été encore vendu sur internet. Les Kabyles sont des traîtres, les harraga sont des traîtres et les syndicats autonomes sont entièrement constitués de traîtres. Les patriotes sont tout aussi bien identifiés. Il s'agit des corrompus, des mangeurs de subventions, des capteurs de marchés publics et des harkis et enfants de harkis qui ont des postes de responsabilité dans l'Etat. Le manichéisme du Premier ministre, qui consiste à diviser l'Algérie en deux, votants pour Bouteflika et traîtres, presse docile à subventionner et presse critique à brûler, va-t-il achever un pays qui a déjà du mal à s'identifier ? Non, mais s'il y a 50% d'abstention à l'élection, il y aurait 50% de traîtres en Algérie, soit 10 millions. Comment gérer, après, un pays où 10 millions d'habitants ne songent qu'à trahir leur nation ? Beaucoup de travail pour Ahmed Ouyahia. Ça l'occupera et il dira peut-être un peu moins n'importe quoi.