Toumaï ou espoir de vie, l'ancêtre des ancêtres quand le Sahara était une savane Imaginez une belle savane, ici, parsemée d'arbres, là-bas ouverte sur une prairie. Imaginez un lac dont les berges pullulaient d'animaux sauvages (quarante-deux espèces), quelques-uns disparus, comme les mastodontes. Et parmi eux, une drôle de créature d'un peu plus d'un mètre, avec un cerveau de 320 à 380 cm3, une face un peu projetée en avant, un front étroit et incliné, barré d'un bourrelet marquant les arcades sourcilières : tel est son portrait sans retouches. Espèce animale parmi d'autres dans la nature, cette créature est le plus ancien hominidé connu à ce jour : c'est l'ancêtre des singes et de l'homme. Bien que son nom scientifique soit Sahelanthropus tchadensis, l'homme du Sahel, cette créature préfère qu'on l'appelle Toumaï, Espoir de vie en langue goran, nom donné aux enfants nés avant la saison des pluies et mourant souvent en bas âge. Toumaï est sur le point de réussir le plus important événement historique de notre planète : il est sur le seuil de la séparation entre, d'une part, les paninés, c'est-à-dire les chimpanzés, les bonobos et les gorilles et, d'autre part, les homininés, en l'occurrence les australopithèques et leurs cousins paranthropes, en amont de la lignée humaine, mais qui finiront par disparaître pour laisser place à d'autres espèces plus proches de nous. Toumaï vient de nous ouvrir la voie royale, à nous, les hommes et les femmes d'aujourd'hui. La savane dans laquelle évoluait Toumaï, qui autrefois était alimentée par des fleuves dont la source se trouvait dans la région tropicale méridionale, est aujourd'hui un désert. En effet, c'est dans les dunes du Djourab, dans la région de Toros-Ménalla (Tchad), zone fossilifère d'une incroyable richesse, qu'ont été découverts les ossements de la famille africaine, et déjà nombreuse, des Toumaï : six individus reposant sur un terrain asséché, autrefois occupé par un immense lac, une véritable mer intérieure, celle du lac Tchad. C'est grâce à cette faune (par le biais, donc, de datations biochronologiques), quasi identique à celle qui a été découverte en Afrique de l'Est, que l'on sait que Toumaï ou Espoir de vie est un grand enfant de 6 à 7 millions d'années. Il fait la joie de ses parents, les paléo-anthropologues (spécialistes des fossiles préhumains et humains), exceptés, et c'est le débat scientifique qui le veut, ceux qui le contestent et trouvent qu'il a l'allure, et, qu'il n'est autre qu'une femelle protogorille. Toumaï donne autre fil à retordre : a-t-il quitté sa patrie, l'Afrique orientale, pour franchir 2500 à 3000 km, passant carrément à l'ouest, ou bien est-il apparu sur place en Afrique centrale, et donc dans le Sahara actuel ? Yves Coppens, père de la théorie de l'East Side Story (thèse de l'apparition de l'humanité à l'est de l'Afrique), admet très sportivement cette nouvelle et autre version d'un West Side Story. En passant de l'Est à l'Ouest, le berceau de l'humanité, tout en restant en Afrique, s'est bel et bien agrandi. L'un des préhistoriens les plus connus, l'Abbé Breuil, ne croyait pas si bien dire : le berceau de l'humanité a… des roulettes. Abel l'«australopithèque de la rivière des gazelles» quand le Sahara était une forêt Le Sahara, qui n'existait pas encore en ces temps reculés, n'en est pas à son seul scoop. C'est encore une fois dans le désert du Tchad, et sur le territoire traditionnel du peuple actuel des Toubbous, que l'on va découvrir le plus ancien spécimen du jalon suivant de l'humanité. On ne connaissait d'australopithèques qu'à l'est de l'Afrique (rappelez-vous, la star, détrônée, la fameuse Lucy qui fut nommée d'après le titre d'une chanson des Beatles) ; voilà que le site de Koro Toro, dans la région du Bahr el Ghazal, révèle les ossements inattendus d'un des leurs : l'australopithèque de la rivière des gazelles ou Autralopithecus bahrelghazali, de son petit nom, Abel. Mais Abel semble bien avoir été mal nommé pensent les spécialistes, puisqu'il pourrait être une femelle âgée de 3,5 à 3 millions d'années. On ne connaît de cette autre créature que la partie antérieure de la mandibule, mais on sait qu'elle devait être de taille gracile et qu'elle vivait dans une savane plus arborée et humide, voire forestière, que celle qu'occupait Toumaï. Mais la belle Abel ne vivait pas toujours au paradis comme nous l'apprennent ses… dents. Marquées de traces tous à fait intelligibles pour permettre aux paléo-anthropologues d'établir leur diagnostic, celles-ci nous apprennent qu'Abel a survécu à deux famines consécutives ou à de très fortes fièvres. Ce scénario possible de la faim et de la maladie montre combien fut difficile l'émergence de l'Homme, et, combien il est pénible, aujourd'hui, de le voir risquer cette incroyable et déjà fort aventureuse épopée, se donnant toutes les chances de disparaître à force de mettre en jeu le destin de l'homme. Ces deux découvertes exceptionnelles qui prennent place dans la fin de l'ère géologique du Pliocène (ou tertiaire) sont une bonne nouvelle pour nous Africains de l'Ouest, car elles augurent de la découverte tout à fait possible de fossiles d'une aussi haute ancienneté dans d'autres régions du Sahara, le désert nigérien ou soudanais, par exemple. Gardons espoir. Glaciations et dame mousson, ou le fabuleux destin climatique du Sahara Dans les temps de la lointaine Préhistoire de l'humanité, et aujourd'hui encore, le climat du Sahara était conditionné par les glaciations et les caprices de dame mousson. Durant la période où apparaissent nos plus vieux ancêtres, au cours de ces deux derniers millions d'années, le Sahara conserve un climat relativement chaud et humide, marqué d'une saison sèche ; animaux et premiers humains s'y prélassent dans un paysage de savane arborée à forêt-galerie, c'est-à-dire à végétation étroitement liée aux fleuves et rivières. Après Toumaï et Abel, le climat du Sahara, sahélien, humide et chaud, qui, en fait, s'étendait jusqu'aux rives de la Méditerranée (sans la séparation climatique qui, aujourd'hui, dissocie Maghreb et Sahara), est interrompu par des épisodes secs, de plus en plus longs et intenses, au cours desquels s'installent un paysage de savane plus ouverte et, çà et là, la steppe. Ce climat est conditionné par des mécanismes fondamentaux d'ordre astronomique, notamment l'influence de la radiation solaire de la Terre sur les variations du climat, une radiation variable selon les latitudes, une influence qui va donc augmenter ou réduire l'insolation de la planète et, par conséquent, de la température du globe. A l'échelle du cosmos, ce sont, en effet, les changements des paramètres orbitaux de la Terre qui conditionnent notre climat terrien (déformation de l'ellipse de la Terre autour du soleil, variation de l'inclinaison de son axe sur son orbite, périodicité de son oscillation autour de son axe). Les phases de radiations solaires conditionnent les variations climatiques de la planète. C'est justement en liaison avec l'intensité de cette insolation, que l'hémisphère nord de la planète va connaître cinq glaciations majeures et, entre celles-ci, autant de périodes dites interglaciaires. Cela se passe dans l'ère géologique du Pléistocène (ou du quaternaire), qui s'étend de 1,8 million d'années à 10 000 ans. Déjà du temps de l'australopithèque Abel, la Terre était affectée de variations climatiques d'une grande ampleur dont la cause réside dans la mise en place de la calotte polaire arctique annonçant les âges glaciaires. Le climat du Sahara est alors en étroite relation avec l'alternance climatique qui sévit dans cet hémisphère Nord de la Terre : c'est ainsi que les périodes glaciaires dans l'Occident d'aujourd'hui vont conditionner l'extension des déserts dans l'hémisphère sud. En d'autres termes, quand il y a une glaciation en Europe (les masses colossales de glaces atteignaient la latitude des grandes capitales de ce continent), le climat est froid et aride en Afrique ; à l'opposé, quand une glaciation s'achève au nord, et, que prend place une période dite interglaciaire, on assiste à une rétraction des régions désertiques dans l'hémisphère Sud de la planète. Aux effets des mécanismes astronomiques que nous avons décrits ci-dessus, vont venir se conjuguer les déplacements de la circulation atmosphérique du globe, notamment la variation de l'emprise des hautes pressions tropicales. Ainsi, en saison humide d'été, le Sahara/Sahel bénéficie de précipitations, celles que l'on appelle communément les pluies de mousson ; celles-ci sont provoquées par les masses d'air humide venues des zones équatoriales ainsi que le front intertropical (FIT), qui se trouve, alors, positionné sur la zone saharienne. Les anticyclones sahariens, qui sont des hautes pressions atmosphériques, sont donc la cause de la saison sèche et c'est alors que s'étendent les zones quelque peu désertiques de ce Sahel. Parfois, les vents secs de ces masses anticycloniques laissent passer quelques coulées d'air polaire venant de l'hémisphère nord du globe, provoquant, ainsi, quelques pluies qui atténuent cette sécheresse. La périodicité de cette alternance globale peut se manifester d'une année à l'autre ou s'étendre sur des périodes plus ou moins longues. Quand ces anticyclones deviennent très puissants, ils empêchent la rencontre de l'air tropical et de l'air polaire, cette rencontre bienheureuse qui est à l'origine des pluies, c'est alors tout le Sahara qui est la proie d'une période aride. Combinant les effets des glaciations et ceux des hautes pressions, l'histoire climatique du Sahara n'est ainsi qu'une longue alternance de périodes humides et sèches, ces dernières gagnant en ampleur, destin irréversible des Sahariens de la préhistoire à nos jours. Le premier explorateur du Sahara Ailleurs qu'au Tchad, que se passe-t-il au Sahara ? Disons-le toute de suite, après Toumaï et Abel, le Sahara et l'Afrique de l'ouest n'ont pas encore livré d'ossements de notre espèce humaine, celle qui va porter le nom de famille Homo. Cependant, si ces fossiles n'ont pas encore été découverts, le Sahara, immense désert de 8 à 10 millions de km2, a conservé la trace des outils de ces premiers hommes encore inconnus. Ces outils se présentent comme des galets naturels pris dans la nature et que l'homme a aménagés en outils en y enlevant un ou plusieurs éclats pour façonner une partie tranchante, d'où leurs noms de «galets aménagés». Ces outils-armes sont caractéristiques de la première période de la Préhistoire, le Paléolithique ancien ou Age de la pierre taillée. Simples, mais très efficaces, ils ont été inventés par les premières espèces du genre Homo : ces Homo habilis, Homo rudolfensis ou encore Homo ergaster qui coexistèrent en Afrique de l'Est ; ces hommes et ces femmes s'en servaient comme de très efficaces tranchoirs pour désarticuler les membres et briser les os des bêtes chassées. On peut être assuré qu'à l'occasion, ces objets étaient utilisés comme des armes. Les individus de notre espèce humaine dite Homo, sont-ils vraiment les premiers à façonner des outils se demandent les préhistoriens ? En effet, depuis peu, un australopithèque qui les précède dans l'échelle du temps, a été découvert en Ethiopie et celui-ci se servait de ce type d'outils pour dépecer des carcasses animales. La science des origines de l'Homme comme toute science est toujours un état de connaissance et jamais rien n'est établi définitivement. A l'heure où l'on découvre que nos cousins les plus proches, les grand singes, sont producteurs de culture, gardons-nous bien de faire de l'ego humain. L'Afrique de l'Est, pour l'instant, est toujours la région où l'on a découvert les plus anciens outils connus à ce jour (et admis comme tels), datés entre 2,6 et 2,3 millions d'années (Ethiopie, Kenya). Grâce aux galets aménagés, on sait, donc, qu'après notre vénérable cousin, Abel l'australopithèque, le Sahara a vu défiler les plus anciens spécimens du genre Homo dans les hautes herbes de la savane. Mais des trois espèces nommées ci-dessus de laquelle s'agit-il ? On ne le sait pas pour le Sahara, ni pour le Maghreb, d'ailleurs, où l'on a pourtant trouvé le plus ancien spécimen du genre Homo de l'Afrique du Nord, âgé de 1,95 à 1,78 millions d'années, dans la région de Sétif, à Aïn Hanech, des vestiges tenus mais exceptionnels que je recommande au lecteur d'aller voir au musée du Bardo à Alger. En ce qui concerne le Sahara, s'il fallait choisir entre ces quelques bonshommes, l'espèce favorite serait Homo ergaster, qui émerge en Afrique orientale vers environ 2 millions d'années. Rappelons que c'est à cette étape de l'évolution de l'humanité que l'homme acquiert l'usage du feu et les premiers balbutiements d'un langage débutant dont il ne fait pas toujours, aujourd'hui, le meilleur des usages (surtout lorsqu'il s'agit de résolutions de l'ONU jamais respectées quand il s'agit de la Palestine). Mais pourquoi le choix d'Homo ergaster, termes qui signifient homme artisan, va-t-on me dire ? Premier hominidé à atteindre la taille que nous avons (1,70 m), Homo ergaster est le concurrent le mieux placé car il est le premier explorateur du Sahara et de la… planète : grâce à ses longues jambes, non seulement il marche vite, mais il court. C'est sans aucun doute cette grande mobilité qui a permis à ce marathonien de la savane, cet Africain curieux et féru de nouveautés, de quitter son Afrique orientale natale pour aller explorer sa partie ouest, et plus loin encore, l'Europe (à l'époque où il n'y avait pas encore les lois sur l'immigration) ainsi que l'Asie. En passant, signalons au lecteur que c'est le goût marqué d'Homo ergaster pour ces longs voyages qui va probablement, et heureusement pour nous, amener cet ancêtre à perdre sa très épaisse pilosité, pour le moins inconfortable et inélégante, qui limitait l'évacuation de la chaleur produite par cette débauche d'énergie de ce étonnant marathonien. Champions depuis toujours aux Jeux olympiques, les sportifs kenyans et éthiopiens ont de qui tenir. (A suivre)