Ensuite, dans la mémoire collective libanaise, arabe et mondiale, lorsqu'on se rappelle cette journée du 18 avril 1996, où 105 civils avaient été tués dans le bombardement d'une position du contingent fidjien de la Finul (forces d'interposition de l'ONU), où ils avaient trouvé refuge pour échapper aux frappes israéliennes. Une troisième fois, dans le cœur des centaines de Libanais qui se sont attaqués hier dans la matinée au siège en verre des Nations unies à Beyrouth, place Riyadh Solh. Le Conseil de sécurité de l'Onu a commencé dimanche matin ses discussions dans le cadre d'une réunion d'urgence sur le Liban après le massacre de Qana. «Nous disons à l'ONU que nous n'avons pas besoin d'eux puisque les Nations unies n'émettent que des décisions à notre encontre», explose cette femme qui a fui Aytaroun, dans le Sud-Liban, village constamment pilonné par l'armée israélienne et où «on ne peut enterrer tous les morts par peur des bombardements». Sa colère est partagée par ces centaines de manifestants libanais de toutes les confessions et les tendances : chrétiens, sunnites, chiites, communistes, mais surtout du Hezbollah et de Amal. La vague humaine déferle sur le siège de l'ONU à coups de pierres et de cris : «Nasrallah, nous répondons à ton appel», «Beyrouth libre, l'Amérique dehors», «Bien aimé Nasrallah, détruis Tel-Aviv», «Khaybar ô juifs (bataille qui avait opposé les premiers musulmans aux juifs d'Arabie), l'armée de Mohamed reviendra», etc. Une femme en abaya noire frappe avec énergie un panneau de verre à l'entrée du bâtiment onusien à l'aide d'une épaisse barre de bois qui paraît plus lourde que son corps. Les jeunes manifestants brûlent le drapeau américain et certains réussissent à forcer la porte d'entrée et déferler sur le rez-de-chaussée, casser le mobilier en criant «Mort à Israël et à l'Amérique». Une bombe lacrymogène éclate devant l'entrée. Une autre fumée monte de l'aile droite du rez-de-chaussée. On brûle ce qui reste du mobilier. Retrait des manifestants. Des jeunes et des femmes s'évanouissent du fait des gaz lacrymogènes et de la chaleur. Sirènes d'ambulances. Forces anti-émeutes qui se placent à une centaine de mètres. La pression baisse sur le siège de l'ONU. On se déplace vers un espace à côté pour le meeting. Du haut d'un camion équipé de hauts-parleurs, les slogans fusent, électrifiant les manifestants portant des étendards jaune et vert du Hezbollah, de Amal, des drapeaux rouges frappés du marteau et de l'enclume en jaune sur rouge. Une femme en voile noir passe avec un dessin sur un carton mimant une bombe avec l'inscription «Cadeau américain aux enfants de Qana». «Le massacre de Qana a éveillé l'unité des Libanais», lance du haut de la tribune mobile le député du Hezbollah, Hajj Ammar Ali, alors qu'une Volvo break se transforme en centre de distribution de drapeaux libanais et que des manifestants reviennent de la place en face du siège du Premier ministère après un brève sit-in. Le Premier ministre libanais, Fouad Siniora, a remercié hier le Hezbollah pour les «sacrifices» consentis lors de sa guerre contre Israël. «Nous sommes en position de force et je remercie le saëd pour ses efforts», a répondu le Premier ministre libanais interrogé sur des propos tenus la veille par le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, invitant le gouvernement à tirer profit de la lutte des milices chiites contre l'armée israélienne. Siniora, membre de la coalition antisyrienne, s'est souvent heurté par le passé au Hezbollah. Et sur la chaîne de télévision LBC, Walid Djoumblat n'a pas cessé vendredi dernier de poser «la» question à ses yeux : «A qui offrira le Hezbollah sa victoire ? Aux Syriens et Iraniens ou à l'Etat libanais ?» Nasrallah lui a indirectement répondu avant-hier sur Al Manar, la télévision du parti chiite, qui émet d'on ne sait où : «Nous offrons la victoire au Liban.» «Les peuples arabes doivent détruire les régimes traîtres. Sortez dans vos pays et assiéger les ambassades américaines», appelle le députe place Riyadh Solh. Le passage «régimes arabes» est systématiquement hué par la foule. «Merci Al Saoud», ironise une pancarte. «Le temps des polémiques pour savoir comment défendre le Liban est terminé. La voie est claire : la résistance et les martyrs», clame-t-il encore alors que le cordon de militaires autour du siège de l'ONU et du siège du Premier ministère observe calmement la scène. «Le siège de l'ONU n'est pas notre cible, mais la profondeur du territoire israélien», lance encore Ali Ammar. Fin du meeting. Chaleur.