Il s'agit de révéler le paradoxe des ONG internationales, acteurs politiques déguisés et entreprises rentables, contre la doxa dominante de leur encensement. Dans la même veine, il s'agit de constater que les «ONG» nationales sont souvent des affaires familiales, tribales ou partisanes, lesquelles focalisent sur un seul des droits humains censés être indivisibles et universels. Les gens respectables concernés, qui sont toujours sûrs d'avoir raison, doivent nécessairement répondre à la question de savoir si toutes ces ONG sont neutres, ont des intérêts propres à défendre, sont (ir)responsables et si elles sont un facteur de conquête et de consolidation des libertés et droits humains ou le simple faire-valoir d'un discours partisan ou même idéel, ou de pratiques de deux poids, deux mesures. Ils devront aussi répondre à la question de savoir qui définit et comment sont conçus les programmes appliqués localement, peu importe la controverse que ces programmes suscitent et peu importe les réponses banales d'approbation et/ou de fin de non-recevoir aux rapports et prises publiques de position. Ils doivent honnêtement dire ce qu'ont offert ces ONG aux victimes sinon du discours sans lendemain. Poser la problématique de manière binaire est certes simpliste, mais elle permet d'être plus clair pour une publication généraliste. Le lecteur exigeant excusera d'avance l'absence de nuances que la réalité devrait induire. Forcément donc, cet article sera loin d'être exhaustif. Haro sur les préjugés Concernant les pays musulmans, un préjugé domine : les musulmans auraient tout à apprendre sur les droits de l'homme, nés depuis la Magma Carta, la charte royale des droits politiques concédés au XIIIe siècle aux barons anglais en révolte par le roi John de Grande-Bretagne. Tout le patrimoine des vertus des pays du Sud est franchement ignoré. L'évoquer provoque le sourire moqueur. Mais que sait-on du Pacte des vertus (Hilf Al Fudhul) conclu en 590 et précédant donc de sept siècles la Magma Carta, conclu par plusieurs clans de la tribu Quraych, dans l'Arabie de l'époque ? Ils s'étaient réunis et avaient prêté ce serment : «Par Dieu, nous serons tous une seule main avec l'opprimé et contre l'oppresseur, jusqu'à ce que ce dernier lui rende son droit et cela aussi longtemps que la mer restera capable de mouiller un poil et que les monts Hira et Thabir resteront sur place, et cela avec une parfaite égalité en ce qui concerne la situation économique de l'opprimé.» Le Prophète Mohamed (QSSSL) en a dit : «J'ai assisté chez Abd Allah Ibn Gud'an à un pacte tel que je ne voudrais pas l'échanger contre les meilleurs chameaux et si j'étais invité à m'y conformer, maintenant que nous sommes en Islam, j'accepterais volontiers.» Dans un Hadith célèbre, le Prophète a prescrit de porter secours tant à l'opprimé qu'à l'oppresseur. Quand l'une des personnes présentes demanda : «Messager d'Allah, s'il est opprimé je le secours, mais s'il est oppresseur comment pourrais-je le secourir?» Le Prophète a donc expliqué : «En l'empêchant d'opprimer», posant là la base moderne de toute la philosophie des ONG de droits humains. Outre les droits humains, le droit humanitaire moderne a aussi été connu et appliqué sur la terre d'Islam avant sa naissance en Europe. Le Croissant-Vert du désert (Khalawiyyah), formé de bédouins volontaires dispersés dans la péninsule arabique et qui soignaient sans discrimination les blessés des conflits tribaux, a bel et bien existé avant la Croix-Rouge internationale . Principalement, tout musulman a l'obligation coranique d'ordonner le convenable et d'empêcher le blâmable, sans demander d'autorisation et sans violence. Dénoncer les violations des droits humains et des libertés est bien inhérent à l'Islam et ce n'est pas l'attribut d'une élite mais le devoir de chaque musulman. Qui sont les ONG ? Très diverses, elles se définissent négativement : n'appartiennent pas à l'Etat, n'ont pas de but lucratif…, usant même de formules affirmatives : elles sont apolitiques, areligieuses… Ce mode de définition ne renseigne ni sur leur organisation ni sur leurs fonctions. Les intentions qu'elles proclament volontairement à travers leurs statuts ne sont pas suffisantes pour les définir, même si elles ont en commun la même culture dont elles affirment l'universalité, une culture censée justifier et expliquer leurs activités (conception de la démocratie, du développement, du contenu des droits de l'homme, du rôle de la femme, de la place de la religion…). Elles défendent sensiblement les mêmes programmes définis au Nord et plaqués tels quels au Sud, sans que des acteurs locaux aient leur mot à dire. Elles ont un statut contradictoire : acteur privilégié de la société civile et, successivement, partenaire de l'Etat, des organisations intergouvernementales du Nord et des multinationales et substitut à l'Etat du Sud ou organe de recours contre ce dernier. Leur index accusateur se tourne plus souvent vers le Sud que vers le Nord. Sans doute, dira-t-on, que les violations des doits humains sont massives au Sud et plus rares au Nord. Oui, sans doute, mais seulement pour les droits civils et politiques. Or cette sélection parmi les droits humains censés être indivisibles et universels est révélatrice d'un choix partisan. L'effet structurel de la globalisation touche directement tous les droits humains et non seulement les droits civils et politiques sur lesquels les ONG continuent, vis-à-vis des pays du Sud, de concentrer leurs activités de lobbying-dénonciation, tout en gardant un silence lourd de significations sur la violation et les menaces de violations sur les droits économiques et sociaux. Quels sont leurs buts ? Si les ONG tirent leur légitimité des libertés d'expression, de réunion et d'association universellement reconnues et méritant le respect, ainsi que sur les valeurs qu'elles disent promouvoir, les conséquences pratiques de leurs initiatives, apparemment bien intentionnées, ne coïncident nécessairement pas avec buts auto-proclamés. Leur fonction réelle ne correspond pas toujours aux intentions et aboutit, d'une part à reproduire les systèmes critiqués, sinon à les renforcer sur certains points et à affaiblir l'Etat du Sud conformément aux vœux de la doctrine néo-libérale, d'autre part. Par ailleurs, la réponse aux violations est seulement médiatique et se conjugue aux pressions occidentales pour fragiliser l'Etat en le conduisant à délaisser un pan entier des droits de l'homme (dépenses sociales), ouvrir ses frontières aux marchandises du Nord et au transfert vers l'extérieur des bénéfices ; remettre en cause des acquis sociaux, etc. La globalisation amoindrit le rôle des Etats (déréglementation, austérité des dépenses sociales et culturelles) ; sa dynamique a des effets sur la cohésion sociale (marginalisation, chômage, inégalités, pauvreté), sur l'environnement (fragilisation) et sur la vie économique interne traditionnelle (règles du travail, du commerce, des privatisations). La remise en cause des acquis sociaux et culturels crée de nouveaux besoins par leur nature et par leur ampleur. Or concernant l'Algérie, les ONG continuent d'agir selon les modes traditionnels sur les seuls droits civils et politiques, avec l'alternative respect-violation de ces droits, laquelle diffère en matière des autres droits, notamment les droits économiques, sociaux et culturels (droits à l'alimentation, à la santé, à l'éducation, au logement, à l'eau potable, etc.) qui ne sont pas seulement des droits à ne pas violer mais des droits qu'il faut surtout sauvegarder sinon réaliser, concrétiser ou promouvoir. Certes, les facteurs de la globalisation/ouverture ont compliqué leur théâtre d'opération, ce qui aurait dû les amener à élargir et à enrichir les domaines de leurs activités. L'interdépendance des populations, des économies, (libéralisation de l'investissement, du commerce des biens, des services et du capital) et des idées (information transnationale) auraient dû les amener à changer de stratégie, d'autant plus que de nouveaux et puissants acteurs internationaux sont apparus, les multinationales, reléguant les Etats du Sud à l'adaptation, au suivisme, sinon à la réaction en perdant l'initiative. Certes, ce n'est pas par méconnaissance des nouveaux enjeux et par ignorance des nouveaux acteurs que les ONG des droits humains sont sélectives dans leurs programmes. Par exemple, elles surveillent et stimulent la responsabilité sociétale des entreprises dans les pays industrialisés du Nord et sont moins regardantes lorsqu'il s'agit des entreprises du Sud, généralement des entreprises d'Etat et des activités des multinationales dans les pays émergeants du Sud. Proactives au Nord, elles ne font que réagir au Sud. Ainsi, la stratégie d'investissement éthique au Nord reste inconnue au Sud où les Etats continuent de quémander l'investissement conventionnel, faute de mieux, en contrepartie d'une déréglementation rampante. Autre exemple tiré du droit à la vie : les ONG adoptent une politique de double standard. La stratégie est continue et à long terme pour dénoncer la peine de mort dans les pays du Sud, en focalisant sur l'Arabie Saoudite et n'est que ponctuelle lorsqu'il s'agit d'un pays du Nord, notamment pour sauvegarder l'étiquette de la neutralité . Neutres les ONG ? Vis-à-vis des multinationales, ces ONG collaborent pour, principalement, initier des codes éthiques et n'exigent ou n'utilisent pas les dispositions juridiques disponibles. Elles vendent des labels de commerce équitable, des codes de conduite, du sponsoring et marketing et de la certification sociale. Elles monnayent aussi leur expertise par des consultations lucratives. Ce faisant, elles participent à la substitution de la norme «morale» ou éthique à la règle de droit, sous prétexte de régulation «civile» ou norme volontaire ou «soft» opposée à celle de la règle de droit obligatoire ; des normes soft dont elles sont les émetteurs avec les gouvernements du Nord, les agences de l'ONU, les organismes économiques et financiers internationaux (OCDE, BM, FSI, OMS), les universités du Nord et les multinationales. Sur ce point, les ONG sont donc co-législateurs, conseillers-experts et juges des performances. Elles invitent les multinationales, nouveaux et puissants acteurs internationaux, à l'action volontaire qui n'est pas sanctionnée par le droit. Elles agissent de la même manière avec les gouvernements du Nord et obtiennent, en contrepartie de leur collaboration, des subsides sous toutes les formes, comme l'émission par les gouvernements du Nord de timbres-postes par exemple, où un surplus, payable par le consommateur, leur est destiné. La plupart des ONG participent de plus en plus, en effet, à des programmes gouvernementaux et d'organismes politiques et financiers régionaux et internationaux, y compris la Banque mondiale et l'ONU, ce qui assure leur survie financière. On comprend qu'en tant qu'organismes, les ONG se doivent d'exister, de continuer d'activer et donc d'avoir des moyens financiers pour payer leur personnel, leurs loyers, les voyages de leurs enquêteurs, etc. Cette collaboration sert, aux yeux des Etats du Nord pourvoyeurs de fonds et de programmes, des intérêts de puissance. Elle a, à son tour, nécessité la professionnalisation croissante des ONG, exigé un personnel permanent, salariat, carriérisme et bureaucratie. On est loin du bénévolat-volontariat initial. Les finalités affichées dans les statuts sont donc forcément limitées, voire remises en cause, par le besoin vital de leur maintien en vie. C'est leur collaboration avec des Etats et des organismes officiels qui a nécessité leur professionnalisation, renforçant ainsi la logique «entreprenariale» et institutionnelle au détriment du sentiment altruiste, du discours humanitaire et des bonnes intentions. Ainsi, au rapport conflictuel avec les Etats du Sud qu'elles fragilisent, elles ont un rapport paradoxal de partenariat avec les multinationales, les gouvernements du Nord et avec les organismes internationaux. Ces collaborations peuvent sans doute être précédées de pressions, mais les ONG «partenaires» ne sont souvent pas forcément celles qui animent les campagnes de pression. En tous les cas, les intérêts communs des gouvernements du Nord/multinationales/ONG des droits de l'homme sont plus importants que les zones de divergence, contrairement aux rapports ONG/Etats du Sud vis-à-vis desquels elles continuent à «exiger» le respect d'une liste définie de droits, au détriment du principe cardinal de l'universalité et de l'indivisibilité des droits humains. Ni leur conscience collective, ni leurs fonctions réelles et les conséquences pratiques de leurs activités dans les pays du Sud, ni les effets pervers de leurs activités, ni enfin la logique imposée par la nécessité vitale de leur propre survie ne coïncident avec les intentions affichées. Il n'est pas de notre intention de nier l'effet souvent certain et immédiat de certaines de leurs actions et la réalité de l'espoir que les victimes des violations des droits de l'homme ont à leur égard en les accueillant comme «amies». L'entretien de la flamme initiale des ONG leur assure la proximité de la population victime des violations ainsi que la fidélité de leurs nombreux militants et soutiens du Nord. Le problème de l'identité ou la contradiction entre intention et discours affichés et, successivement, «culture d'origine», «conséquences pratiques» de leurs activités et «logique de survie» pose la question de l'éthique des ONG. Conscientes de ce besoin impérieux de légitimité, les plus grandes ONG internationales se sont engagées récemment sur une charte pour s'empêcher toute discrimination et s'obliger à la franchise, à la transparence et à la bonne gouvernance. Elles s'engagent aussi à maintenir leur indépendance financière. Tout cela est dans l'air du temps. Il est si facile d'exprimer sa bonne volonté. Mais les promesses sont ce qu'elles sont : sans garanties réelles. La charte commune use d'ailleurs de vagues concepts. C'est ainsi que les ONG se réservent le droit de «choisir les faits et les conclusions» alimentant leurs campagnes. Et alors que la charte établit un principe de recommandation responsable, ces ONG affirment : «Nous userons de procédés clairs afin d'adopter des positions d'ordre public, de politiques morales explicites qui guident nos choix de stratégie de recommandation». Cela n'inspire pas complètement confiance. Quels sont ces choix moraux et culturels sinon celui de leur milieu d'origine ? Et de quel ordre public s'agit-il, sinon celui de leurs alliés naturels dont elles appliquent les programmes. Il faut savoir en effet que les organismes institutionnels du Nord ont de plus en plus recours aux ONG pour réaliser leurs propres programmes, enveloppés de «droits de l'homme», en raison du moindre coût que cette voie de réalisation procure ainsi que la flexibilité et l'agilité des ONG. Ce ne sont finalement pas les ONG qui ont des politiques de droits de l'homme, mais ces institutions inter-gouvernementales dont les ONG appliquent les programmes moyennant financements et prestige. En contrepartie, les ONG doivent respecter les normes (surtout comptables) de vérification et de résultats concrets qui leur sont imposés. Formellement indépendantes des structures étatiques, les ONG sont en relation fonctionnelle constante avec elles. La relation est globalement positive s'il s'agit des Etats du Nord et globalement négative (par pressions formelles et informelles) avec les Etats du Sud. Elles sont financées par les instances publiques et privées du Nord au point où l'on doute qu'elles soient toujours non-gouvernementales et neutres, non seulement par leurs ressources mais aussi pour la définition de leurs ordres du jour. Elles sont partie prenantes des programmes officiels qu'elles se chargent d'exécuter et réconfortent l'idéologie dominante. De plus, la plupart d'entre-elles s'engagent dans l'activité de «consultation» au profit de gouvernements et des multinationales, sans assumer le reproche qui fait d'elles de véritables entreprises lucratives. Neutres les ONG ? Il suffit de voir leurs produits, et à qui s'adressent leurs critiques, les pays du Nord n'y sont mentionnés que pour maintenir l'idée vacillante de leur neutralité. Utiles les ONG ? Beaucoup pensent que les ONG sont utiles. Elles sont en rapport avec les sociétés civiles, tant au Nord, pour maintenir ou acquérir leur légitimité par des politiques d'information, de collecte de fonds et de soutiens de bénévoles, qu'au Sud, pour justifier tant de leur existence que de leur «permis d'opérer» afin d'obtenir «l'information utilisable». Leur neutralité et a-politisme sont de moins en moins évidents. Les ONG sont donc utiles, mais pour qui ? Pour les victimes des violations des droits civils et politiques de l'homme ? Examinons l'hypothèse en 3 points. D'abord, la manière d'opérer des ONG se fixe généralement sur l'urgence et sur un choix arbitraire de droits à promouvoir, renvoyant donc la question des causes des violations et des menaces de disparition des droits et fermant la porte à celle de la transformation du réel. Elles participent donc à la reproduction du réel qui est leur raison d'être tant que l'agenda du donneur d'ordre réel n'est pas réalisé. La fixation de leurs objectifs, droits civils et politiques, renseigne amplement sur le choix irrationnel et arbitraire de délaisser les autres droits (économiques, sociaux et culturels) alors même que, théoriquement et sur leurs propres statuts et discours, tous les droits de l'homme sont universels, indivisibles et interdépendants. Sans doute que la violation des droits économiques, sociaux et culturels sont aussi le fait des multinationales et des structures du marché international qui imposent les prix des matières premières et du travail des paysans et ouvriers du Sud. Il faut bien admettre que le besoin de droits civils et politiques dans les pays du Sud est pressant ; mais celui des autres droits l'est davantage sur le double plan de la culture et des réalités socio-économiques. En Algérie, après des décennies de socialisme, avec ce que cela comporte d'acquis sociaux et économiques, ces acquis sont directement menacés de remise en cause systématique par l'adoption de la politique libérale. Aucune ONG n'a pensé à adopter un programme pour faire face à ce danger imminent. Il faut bien reconnaître que les restes du socialisme ne font pas leur soupe. Elles ont toujours défendu la libre entreprise et ont été les partenaires du libéralisme. La Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH) créée en 1922 n'a jamais dénoncé, jusqu'en 1970, le colonialisme et ses crimes (massacres de Sétif et de Guelma de mai 1945, de Madagascar de 1947, des ouvriers algériens à Paris en 1961). Cela s'explique par le fait que ces ONG prennent modèle sur leurs sociétés d'origine et leurs valeurs. Elles sont aujourd'hui l'un des instruments de néo-libéralisme. Leurs ordres du jour le confirme de manière éclatante. Elles sont des partenaires privilégiés des gouvernements du Nord et des organisations financières internationales afin d'instaurer (restaurer dans les pays de l'Est) le capitalisme. Le reste du monde doit s'y refléter. L'idée générale qui sous-tend leur activisme est qu'il y a un retard de libertés (de circulation du capital et des idées dominantes) à combler, des réglementations restrictives à démanteler aux niveaux politique et économique et donc un Etat à affaiblir. Peu importe si elles agissent consciemment ou non. Seul le résultat est parlant. Ensuite, le choix et l'organisation des partenaires du Sud sont révélateurs. Les ONG entraînent dans leur sillage les partenaires du Sud qui acceptent leurs conditions, avec de plus en plus d'exigences, y compris dans la définition des programmes et le contrôle des ressources. Le partenariat Nord-Sud des ONG est de la pure réthorique. Il est à sens unique. Les ONG du Sud devront ajuster leurs programmes, projets et priorités sur les grandes sœurs, car l'évaluation de leur travail est externe et leur survie en dépend en raison de l'absence de ressources et de la stupidité des gouvernants du Sud. Toute ONG locale qui refuse de se plier aux normes nordistes est boycottée et, dans les coulisses, dénigrée. Devenues de véritables Etats et/ou entreprises commerciales déguisées, les ONG internationales exigent de leurs sous-traitants des rapports plus fréquents, plus détaillés et selon des canevas pré-établis. L'attitude condescendante et paternaliste est toujours de mise. La société du Sud ne sait pas ce qui lui convient dans une ambiance de cafouillage des idées, d'absence volontaire ou forcée de l'élite et des organisations politiques et syndicales locales. Il faut aussi dire que, parfois, l'interlocuteur du Sud est heureux de ce partenariat tant que son ou ses représentants sont invités à voyager gratuitement dans les capitales du Nord. L'autosatisfaction résultant d'un article de presse révèle aussi la culture bla-bla ; alors qu'un procès retentissant aurait pu faire bouger les choses. Mais l'usage des tribunaux pour faire respecter les droits humains n'est pas dans les cordes des ONG. Cela signifie travailler hors des institutions gouvernementales et régionales dont les programmes destinés aux ONG prévoient bien autre chose.Enfin, les ONG visent apparemment à faire pression sur les gouvernements afin que ceux-ci respectent davantage le droit et, en dernier recours, à les faire condamner moralement devant l'opinion publique internationale. Sans doute que le mandat des différentes ONG ne les prédispose pas à militer au-delà de la pression publique et de l'alerte des institutions des droits de l'homme de l'ONU. Or, elles ne le disent jamais clairement aux victimes, qui continuent de garder l'espoir entretenu de résultats palpables grâce à des chimères.Le mode classique d'action des ONG laisse de très faibles probabilités d'un changement de conduite radical des gouvernants dénoncés. En réalité, ce sont les alertes, pressions et actions médiatiques qui font tenir le fonds de commerce des ONG dans leur pays d'origine. Pour prospérer, elles doivent aussi maintenir des sources d'information locales, les plus variées si possible pour faciliter les recoupements et n'utiliser que les mécanismes de l'ONU des droits de l'homme. Or ces mécanismes ont, d'une part, gardé une approche sectorielle et n'offrent que des résultats stériles au regard de leur fonctionnement bureaucratique coûteux, d'autre part. D'ailleurs, les ONG le savent bien. Ainsi, après plus de dix années de récolte d'informations sur les violations des droits de l'homme et sur les victimes, en Algérie, très peu de dossiers ont été présentés par ces ONG aux mécanismes de l'ONU. Prenons l'exemple du dossier des victimes de disparitions forcées. Les chiffres en Algérie tournent entre 7 et 12 000 victimes directes. Il s'est même trouvé des chiffres officiels qui les situent à un peu plus de 6000. Malgré l'absorption par les ONG internationales des droits de l'homme d'un nombre considérable de dossiers de disparus, il n'a été formellement déposé auprès des instruments de l'ONU qu'un nombre infime de cas, pas plus d'un millier. Que conclure après ce rapide tour d'horizon certes schématique, mais révélateur des grands traits de la réalité ? Il est vital, nous semble-t-il, que l'élite locale s'attache à revitaliser le patrimoine intellectuel et idéel dormant des droits humains. Il est tout aussi vital de revoir les collaborations horizontales et verticales locales pour un meilleur partage des rôles et des ressources. Plusieurs associations et comités de victimes, ainsi que de nombreux avocats et défenseurs des droits de l'homme travaillent de façon isolée et sans coordination et restent sous l'influence familiale, tribale ou partisane inconsciente. Ils ne doivent pas s'attendre à ce que les ONG internationales les aident à changer de perspective et de mode d'actions, car ce qui les intéresse est la récolte de leurs témoignages et l'usage d'une main d'œuvre gratuite. Ce n'est pas l'organisation des victimes et des ONG locales et leur promotion qui les intéresse, elles peuvent bien continuer à être éparpillées et parfois à se faire une guerre de renommée, de représentation ou seulement de prestige personnel. Ce n'est pas assez de faire le tour des capitales étrangères, une telle activité devrait plutôt servir à se faire comprendre et aider les victimes directes à pleurnicher sur leur sort et, le soir venu, penser au prochain tour. Les victimes directes, elles, n'y peuvent malheureusement rien. Elles n'ont jamais la faculté d'agir en tant que sujets de droit ; ce sont des objets passifs figurant sur des fiches. Elles savent plus que quiconque, qu'après douze années de sang et de larmes, jamais leurs droits n'ont été rétablis ni aucun dédommagement ne s'est matérialisé. Elles n'ont que la satisfaction psychologique d'avoir été indirectement écoutées par des témoins «prestigieux». Cela n'a pas de prix pour la victime isolée faisant face au mur du silence et à la douleur du dédain. Les ONG auront alerté l'opinion publique internationale de cas concrets, mais seulement avec l'effet éphémère d'un fait divers. Si la victime éprouve une certaine satisfaction morale lorsqu'elle entend parler d'une condamnation symbolique de l'Etat qui a attenté à ses droits, elle reste, tout comme les défenseurs locaux des droits de l'homme, insatisfaite car la dure réalité va encore perdurer. Pour recentrer les choses, les victimes et ONG locales ont sans doute l'obstacle politique à franchir. Alors qu'au Nord, les ONG sont les partenaires des gouvernements, au Sud elles sont sinon interdites, du moins combattues. Les gouvernements du Sud devraient plutôt faciliter cette prise de conscience et aider les ONG locales à sortir du rôle de porte-voix des ONG du Nord et de leur tête-à-tête abrutissant. Un nouveau pacte gouvernements/ONG locales est donc vital pour tous. Et le plus important objectif à réaliser ensemble est un «plus jamais de violations». Tout un programme pour préserver l'avenir sur des bases authentiques et solides et sur un ‘comptons sur nous-mêmes'.