Israël est toujours présenté comme une victime menacée d'éradication par ses ennemis historiques livrés au fondamentalisme et aux forces du terrorisme. Israël agit à la fois comme : a) La mauvaise conscience de l'Occident colonialiste et impérialiste qui a dépecé, selon sa volonté et ses intérêts colonialistes, l'Empire ottoman après la Première Guerre mondiale ; qui a favorisé l'émergence du nationalisme sioniste, divisé et réduit le nationalisme arabe ; qui a produit Hitler et la barbarie fasciste, déclenché la Seconde Guerre mondiale et généré la Shoah et l'holocauste. Les dirigeants allemands parlent même de raison d'Etat. b) Une plate-forme géostratégique d'intervention politique et surtout militaire fortement intégrée dans les différents mécanismes de défense et de sécurisation des intérêts des puissances occidentales néo-impérialistes dans cette importante région du monde aux multiples atouts vitaux, notamment énergétiques. Cela n'a pas été diffèrent cette fois-ci aussi. La raison reposant sans cesse sur l'élargissement et l'approfondissement du savoir est, en principe, la force motrice essentielle de la culture universelle et de l'humanisme. Elle semble perdre, dans ces temps complexes qu'on nous impose, ses repères et ses critères fondateurs, par un parti pris injustement fondé pour Israël, au niveau de certaines prétendues personnalités étrangement médiatisées tels des philosophes et écrivains formatés du type Bernard Henri Lévy (1) , des politiciens soixante-huitards récupérés et grisés par les lumières des rampes du pouvoir mondialisé et s'autoproclamant experts en géostratégie et en management des conflits globaux, comme par exemple Joschka Fischer (2) ancien ministre des Affaires étrangères d'Allemagne ou de nombre de journalistes occidentaux trahissant leur devoir d'information objective (qu'exige en principe l'éthique de la profession qu'ils sont censés exercer) et se mettant aux ordres des magnats des médias dominant le capital financier international tels que Rothschild Murdoch, Warner, Springer etc. Cette dernière agression perpétrée par Israël dans la région, si elle s'est circonscrite, dans un premier temps, au Liban, elle a, par sa forme de haute technologie (reposant sur les outils les plus sophistiqués du renseignement, de l'intervention aérienne armée, du management moderne de réseaux, etc.) par ses cibles au niveau des secteurs des populations et des infrastructures et par la démarche ostentatoire et complice des Etats-Unis et d'autres puissances occidentales, montré qu'elle relevait de mobiles géostratégiques plus élaborés, concertés, coordonnés et inscrits dans la durée. Depuis les années 1990, le séisme historique total, provoqué par la dislocation et la disparition du système socialiste mondial, continue d'être suivi de répliques dont les magnitudes sont fonction de la pondération géostratégique qu'affecte l'unique superpuissance restante aux différentes régions du monde en fonction de ses intérêts impériaux immédiats ou lointains et qui sont définis dans le jargon des néo-stratèges d'actions de «sécurisation et de stabilisation» . Il n'est pas un événement de portée historique qui touche un pays ou une région donnés dont l'intelligibilité des causes profondes ne soit pas liée à la mise en œuvre de la nouvelle doctrine de domination et de coercition impériales des USA et de ses dirigeants néo-conservateurs actuels. Il n'est pas aussi de relations internationales, aujourd'hui, où les dynamiques qui travaillent ce qu'on appelle la mondialisation, ne dessinent et n'imposent, au profit des puissances occidentales pour qui joue les rapports de force mondiaux actuels, des formes de soumissions politiques, économiques et autres. Zbigniew Brzezinski, l'un des plus illustres experts américains en géostratégie a dit dans l'un de ses fameux livres de prospective géostratégique portant le titre Le grand échiquier, la domination américaine et ses impératifs géostratégiques et publié en 1997, ce qui suit (5) : «Dans quelle mesure les USA sauront faire prévaloir leur prépondérance globale en tant que superpuissance dépendra du fait comment une Amérique engagée partout dans le monde s'en sortira avec les rapports de force complexes prévalant dans le continent eurasien et comment elle pourra y agir contre l'émergence d'une puissance dominante ennemie.»( traduit de l'allemand par mes soins). Il ajoute : «L'Eurasie est de ce fait l'échiquier sur lequel se jouera, aussi à l'avenir, la lutte pour la suprématie globale.» Eurasie signifie l'ensemble formé par l'Europe et l'Asie. Ce sont, en effet, ces deux continents, dont la puissance des évolutions économiques, scientifiques et militaires se situent encore à des niveaux différents, qui émergent, mus par un certain nombre de facteurs idéologiques, politiques, économiques culturels et géostratégiques, qui au fil des dernières décennies du siècle passé avec les dynamiques de la mondialisation prennent des formes géopolitiques de concurrence intense d'intérêts avec la superpuissance américaine et déclenchent chez cette dernière des élans inquiétants de coercition et de domination .Le renforcement de leurs rapports multiples aiguise encore plus de tels élans. Condoleezza Rice, quand elle était encore l'assistante de W. Bush pour les questions de sécurité et l'une de ses éminences grises ,affirmait : «Nous voulons fonder notre stratégie de dissuasion sur la prévention. La dissuasion a fait ses preuves pendant la guerre froide. Elle ne produira pas forcément les mêmes résultats à notre époque.» La prévention militaire musclée est devenue une constante de tous les actes de mise en œuvre de la doctrine dite de W. Bush. La prévention peut être directe comme en Afghanistan ou en Irak. Elle peut aussi, en tenant compte des contingences, des évolutions des rapports de force mondiaux de même que des risques, être sous-traitée par des alliés puissants et loyaux. L'agression israélienne contre le Liban est une guerre préventive US sous-traitée à Israël et dirigée en même temps contre l'islamisme international, l'Iran chiite et islamiste aux visées de puissance régionale et les alliés de ce dernier pays comme le Hezbollah ou la Syrie. Faut-il rappeler cette insistance de W. Bush à répéter lors du sommet du G8 à Saint-Pétersbourg, suivi en cela par ses vassaux (comme le dit Zbigniew Brzeziski) britanniques et allemands en particulier, que c'est le Hezbollah et ceux qui le soutiennent qui sont la cause de l'intervention israélienne au Liban ! Nous pouvons répertorier au moins trois mobiles majeurs géostratégiques qui ont poussé les USA à sous-traiter à Israël la production de cette crise majeure dans la région du Moyen-Orient en attendant d'achever le reste : le spectre de l'islamisme politique et la problématique de l'Islam, la restructuration , la «sécurisation et la stabilisation» du «Grand Moyen-Orient»(3) La maîtrise durable des plus grandes réserves énergétiques du monde Avant d'examiner chacun de ces mobiles, il serait peut-être utile de remettre en mémoire les deux faits suivants : comme avant le déclenchement de la troisième guerre du Golfe, nous avons observé une intense concertation et coordination entre W. Bush et Tony Blair qui sont de nouveau apparus comme un tandem d'alliés stratégiques. Ils ont dessiné ensemble dans le déluge qui frappait le Liban l'envergure qu'il donnait à la crise créée et la feuille de route qui devait être suivie par le conseil de sécurité et surtout par eux-mêmes et les alliés mobilisés. Lorsque la police britanniques a éventré les plans d'un important groupe de jeunes terroristes islamistes de nationalités britanniques de faire exploser des avions américains dans le ciel sur leur route vers les Etats-Unis, W. Bush a dit dans une déclaration à la presse à peu près ceci : «Nous faisons face au fascisme islamique et nous devons le détruire comme nous avons détruit le communisme.» Le spectre de l'islamisme politique et la problématique de l'Islam L'islamisme politique est devenu, dans la phase historique que nous vivons, un phénomène international et «internationaliste» actif depuis les années 1970, lorsque qu'il a été impulsé et encouragé en tant que mouvement structuré idéologiquement et politiquement par la trilatérale comme facteur de déstabilisation des maillons faibles du système socialiste mondial. Il travaille les sociétés du monde arabo-islamique. Il agit aussi dans les secteurs à forte concentration musulmane aux Etats-Unis, en Europe et ailleurs. C'est un mouvement traversé par différents courants nés et se nourrissant de la détresse d'importantes forces populaires face aux impasses auxquels ont mené le sous-développement et des systèmes de pouvoir hégémoniques et souvent corrompus, incapables de résoudre les problèmes vitaux de leur société et de reconnaître, dans leur étendu et leur profondeur, les défis majeurs de notre temps et de les relever. C'est un phénomène complexe qui souvent a été analysé à partir de ses manifestations idéologiques, politiques, sociales ou violentes sans faire l'effort multidimensionnel nécessaire de connaître en profondeur les dynamiques qui lui ont donné naissance et les formes par lesquelles il s'exprime afin de mieux l'apprécier et le différencier. C'est un mouvement dont le caractère de masse et populaire et sa fonction idéologique ont été instrumentalisés par des pouvoirs nationaux et des puissances internationales. L'Islam, en tant que religion, se trouve confronté à ce phénomène (l'islamisme) et soumis par des experts autoproclamés et de tous acabits et des idéologues et politiciens, champions de la diversion, à de dangereux amalgames. Nous assistons certes depuis le succès de la révolution populaire iranienne conduite par l'Ayatollah Khomeyni de février 1979 à l'émergence d'un modèle d'Etat-nation à caractère islamique exerçant un rayonnement réel sur l'aire régionale et ailleurs et ce en dépit des orientations religieuses obscurantistes de certains de ses dirigeants. Frédéric Tellier, professeur à l'IEP de Paris comme à Harvard et à Chicago, écrit dans un livre intitulé L'heure de l'Islam paru aux éditions Ellipses ce qui suit à propos de l'Iran : «Ce qui a donné vie et vigueur à l'islamisme comme idéologie et mouvement social n'est pas le dynamisme intérieur de la religion ou d'une volonté inébranlable du clergé de prendre le pouvoir, mais le bouillonnement de la modernité. L'Iran a-t-il connu une révolution religieuse ? Il est permis d'en douter. En dépit des apparences, l'islamisme est un phénomène authentiquement moderne, même s'il se justifie par référence à un passé qu'il promet de faire revivre. Malgré son anti-occidentalisme proclamé, sa dénonciation de la modernité, la révolution islamique appartient bel et bien à son siècle et en reflète les idéologies. Elle est de notre temps, pur produit de la modernité, phénomène moderne par excellence. Cette modernité contestée voire haïe est en fait sa matrice.»(6) Ainsi, l'islamisme, bouillonnant en tant que phénomène social, politique et idéologique, recourant par certaines de ses franges au terrorisme national et à grande échelle, est présenté sans discernement par les centres de recherche néo-conservateurs américains et autres ainsi que les courants politiques dirigeants qu'ils influencent fortement aujourd'hui, aux USA et ailleurs en Occident , comme un spectre meurtrier qui hante dangereusement la stabilité, la paix et les équilibres mondiaux. Il a été élevé, depuis les sanglants événements de septembre 2001 à New York et à Washington, au niveau d'ennemi principal des USA et du monde occidental. Nous observons, au niveau de l'Occident, dominé aujourd'hui par la pensée néo-libérale et néo-conservatrice, une espèce d'enracinement et de globalisation d'un mode de raisonnement binaire et indigent, basé sur l'opposition radicale et non dialectique entre le bien et le mal. Le bien, c'est tout ce qui a été façonné par la civilisation judéo-chrétienne et par les valeurs considérées comme occidentales produites et renforcées depuis la fin du XVIIIe siècle au niveau de la liberté, de la démocratie, des droits de l'homme, de la solidarité, etc. Le mal est tout ce qui n'est pas le bien dans l'acception que lui donne l'Occident judéo-chrétien. Nous assistons à la diffusion d'une sorte d'idéologie fondamentaliste et guerrière et de pratiques politiques internationales sectaires chargées d'alimenter et d'animer les croisades contre ceux qui représentent le mal. Par exemple, M. Bolkestein, ancien commissaire européen au marché intérieur (devenu célèbre par ses directives sur la libéralisation des services, en évoquant le projet d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne et la pression migratoire, il mettait en garde dans les termes suivants : «Si cela devait arriver, la libération de Vienne en 1683, n'aurait servi à rien. Nous les avions arrêtés à Poitiers, nous les avions arrêtés devant Vienne ; nous les arrêterons encore.» (Turques, Arabes, Berbères, ce ne sont tous que des musulmans, c'est l'Islam. Quel amalgame volontairement exprimé et à ce niveau de responsabilité de la communauté européenne !) Et pour renforcer ses dires, Bolkestein cite un historien britannique de renom, spécialiste reconnu de la Turquie et du Moyen-Orient, Bernard Lewis qui a affirmé : «L'Europe sera musulmane d'ici à la fin du siècle.» Bernard Lewis n'est pas n'importe qui. C'est lui qui a découvert «le gêne de l'Islam» et a appelé à «lever l'étendard de la résistance face aux nouvelles invasions barbares». Bernard Lewis est installé aux USA depuis 1974 et s'est distingué par un soutien militant à la politique oppressive israélienne. Il est surtout un conseiller très écouté de W. Bush et très proche de Paul Wolfowitz, ancien adjoint du secrétaire d'Etat à la défense et véritable concepteur avec Richard Pearl, entre autres , de l'invasion contre l'Irak. Au cours d'une cérémonie organisée en mars 2002 à Tel- Aviv en l'honneur de Paul Lewis, Wolfowitz lui a rendu hommage en ces termes : «Bernard Lewis, nous a appris à comprendre l'histoire complexe et importante du Moyen-Orient et à l'utiliser pour nous guider vers la prochaine étape afin de construire un monde meilleur pour les prochaines générations.» Bernard Lewis est devenu, en effet, l'idéologue en chef du «choc des civilisations», concept qu'il a découvert des 1957, au lendemain de la guerre de Suez qui ne traduisait pas pour lui une volonté de libération nationale des peuples arabes, mais «une hostilité à la culture occidentale». (A suivre) – ————————————— (*)Cette partie fait suite aux deux parties publiées déjà dans les éditions des 26 et 27 août 2006. Bibliographie 1.Bernard Henry Levy : La guerre vue d'Israël in le Monde du 27 juillet 2006 2. Joschka Fischer : Iran könnte der grobe Gewinner in Die Zeit 20 juillet 2006 3. Tanya Reihart : in www.redress.btinternet.co.uk/treinhart 4. Robin Wright : Strikes are called part of broad startegy in Washington Post 16 juillet 2006 août-30 5. Zbigniew Brzezinski : Die einzige Weltmacht, Amerikas Strategie der Vorherrschaft Fischer Taschenbusch Verlag 6. Christophe Reveillard : L'Iran géopolitique in Géostratégie n° 12 -Avril 2006