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« On n'écrit pas l'histoire avec des mensonges »
Commandant Lakhdar Bouragâa
Publié dans El Watan le 01 - 04 - 2009

Le nom du commandant Lakhdar Bouregaâ défraye la chronique depuis quelques jours suite à une polémique enclenchée par le colonel Ahmed Benchérif, qui avait calomnié dans un article de presse, l'ancien responsable militaire de la wilaya IV. Hadj Lakhdar qualifie son contempteur de « socialiste par opportunisme qui a fait allégance à son maître », de « capitaliste clandestin » de « féodal par conviction », « colonel par accident de l'histoire ». Sortant de son mutisme, Si Lakhdar, connu pour son calme légendaire et sa pondération, a bien voulu revenir sur ce sujet, à travers cet entretien dans lequel il aborde d'autres volets de la révolution.
Vous êtes la cible de l'ancien commandant de la Gendarmerie nationale. Pourquoi cet acharnement et pourquoi maintenant ?
Pour ne rien vous cacher, je suis encore sous l'effet de la surprise, au stade des interrogations et je ne comprends toujours pas les motivations de cette attaque en règle contre ma personne. L'homme parle d'une période donnée de la révolution. Si c'est l'histoire qui l'intéresse, et s'il affirme y avoir pris part, je lui rappelle que l'écriture de l'histoire ne se fait pas avec des mensonges et qu'elle se base sur des investigations et des recherches auprès des différentes sources.
Pourtant vous connaissez le personnage ?
Le colonel Benchérif a quitté l'armée française, en qualité d'officier, le 28 juillet 1957. Il a intégré la révolution à cette date sous les ordres du commandant Azzedine. Sur demande de ce dernier, il a été mis à la disposition de l'armée des frontières par le colonel Si M'hamed le 15 mai 1958. Il a été au Maroc en juillet de la même année. Du Maroc, il rejoint la Tunisie. Au début de l'année 1960, il est affecté par l'état-major dirigé par Boumediène, en qualité de commandant, membre de la Wilaya IV, soumise a une crise latente après l'affaire Si Salah. En fait, Benchérif a été envoyé pour s'imposer à la Wilaya, en vue de la prise de pouvoir par l'état-major en conflit avec le GPRA. Arrivé à la Wilaya IV, le 16 septembre 1960, il est arrêté en même temps que l'officier Fellah Mohamed, blessé et achevé sur place. Benchérif figurait parmi les 33 condamnés à mort. On craignait pour leur vie après les menaces de l'OAS. On a mis au point un plan d'évasion et on l'a informé par un gardien dénommé Senouci mais il a refusé en incitant les autres à le suivre dans sa démarche. Les autres sont toujours en vie, je peux citer les officiers Abdedaïm, Dira, Rahmani Achour de Barika, etc. Il a été le seul à être transféré en France. Après le cessez-le-feu, il est parti à Tunis, a renoué les contacts avec l'état-major et il y est resté. Au congrès de Tripoli, il était présent en tant que membre du CNRA. Nous étions à l'intérieur, nous ne pouvions participer au congrès. On lui a envoyé une procuration par le biais du commandant Youcef Boukhrouf de la Wilaya IV, dans laquelle il était signifié qu'il devait rester neutre dans le conflit qui opposait l'état-major au GPRA. Avant le 5 juillet, Kaïd Ahmed est venu au PC plaider la cause des militaires. On lui avait dit qu'on n'était ni avec les uns ni avec les autres, mais avec la légitimité et la légalité, en donnant le temps aux deux parties de dépasser leurs contradictions. A son tour, Benchérif est venu au PC. Il nous a montré le laisser-passer et l'ordre de mission délivrés par Boumediène. Quand nous lui avons expliqué notre position, il a déchiré ces papiers et est resté avec nous. En mai 1962, le capitaine Youcef, chef de la zone I de la Wilaya, a découvert un réseau dans lequel était impliqué Benchérif et qui avait pour but de ramener l'armement destiné à contrecarrer les forces du GPRA. Si Youcef les a arrêtés du côté de Bougara, dans la ferme Laïchaoui. Benchérif était parmi les conjurés. Sitôt informé, je me suis déplacé sur les lieux de détention où j'ai ordonné à l'officier de lui enlever les menottes, de lui présenter les armes et de lui demander des excuses. Une compagnie est venue pour ce rituel. En aparté, Si Youcef m'avait dit en désignant de loin M. Benchérif : « C'est cet homme qui t'égorgeras un jour… » J'ai amené Benchérif à Blida où Djegaguen Maâmar, chef de secteur, lui a trouvé une maison pour sa famille.
La Wilaya IV a aussi pâti de l'affaire Si Salah
Cette affaire a fait couler beaucoup d'encre. En décembre 1958, une réunion des chefs de wilaya s'est tenue au QG de la Wilaya II. C'était la première après le congrès de la Soummam qui s'est déroulée en présence de Hadj Lakhdar (W I), Amirouche (W III), M'hamed Bougara (W IV), Si L'haouès (W VI). Ali Kafi a refusé d'y prendre part et y a délégué Lamine Khène. Pourquoi cette absence ? Peut-être a-t-il été conseillé par l'état-major pour ne pas donner de légitimité à cette rencontre. Trois points étaient à l'ordre du jour :
créer un état-major inter-wilayas ;
soutenir les Wilayas I et VI affaiblies
un émissaire a été chargé de répercuter les propositions à la direction de l'extérieur. L'objectif était de faire face au plan Challe axé surtout sur la Wilaya IV, qui abrite la capitale, le port, l'aéroport, le siège du gouvernement général, et fief de mouvements anti-révolution (Messalistes, Bellounistes Kobustes, Chérifistes, Masmoudistes...) Arrivé au pouvoir, de Gaulle voulait anéantir, sinon affaiblir le maquis en étant en position de force en cas de négociations. De décembre 1958 à janvier 1960, il n'y a pas eu de réunions à la direction de la Wilaya IV. Il fallait faire face au rouleau compresseur de l'ennemi qui avait appelé à la négociation. Il y avait Si Salah Zamoun, Bounâama Mohamed, Bouchama Lakhdar et Hamdi Abdelatif. Il a été demandé à de Gaulle d'associer la voix des dirigeants prisonniers et que les émissaires qu'ils a rencontrés n'avaient pas la latitude de parler au nom des autres wilayas. La rencontre entre le général et nos dirigeants m'a été confirmée, mais en définitive, elle n'a donné aucun résultat palpable.
Puis il y a eu la crise fratricide de l'été 62...
Le 20 juillet 1962, l'armée des frontières rentre pour la prise de la capitale. Benchérif m'appelle de Aïn Oussera à la limite entre la Wilaya IV et la Wilaya VI. Je suis parti et là je le trouve en compagnie de Boumediène, Abdelmadjid Latrèche chef de bataillon, le colonel Chabani, Slimane Lakehal, Alahoum, Bouhara et bien d'autres. Je leur ai expliqué la position inchangée de notre wilaya, ils n'ont rien voulu entendre. Et les hostilités ont commencé. L'affrontement a fait beaucoup de victimes des deux côtés. Les officiers Khelfoun et Fergag, blessés, ont été froidement achevés par Benchérif.
Qu'avez-vous fait après ces tristes péripéties ?
Je suis resté à mon poste en tant que commandant militaire de la Wilaya IV. Le conflit s'est arrêté et Ben Bella, venu de Tlemcen, avait déjà évoqué la reconversion de l'ALN qui allait devenir l'ANP. On est venu me voir au siège du PC à la ferme Bereki à l'est de Blida. Il y avait Rabah Bitat, coordinateur de l'ALN, M'hamed Yazid, Boumediène et le colonel Abdelghani. Après discussions, ils m'avaient demandé de les rejoindre au 5e étage du Palais du gouvernement. Je ne savais pas pourquoi. C'est Bachir Rouis qui est venu m'introduire dans le salon. Lorsque j'ai été reçu, un bruit énorme transperçait le ciel, j'en étais traumatisé. C'était un hélicoptère qui tournoyait au dessus du palais. Boumediène m'avait rassuré : « C'est juste pour saluer la capitale ». Je suis rentré au QG où j'ai retrouvé Youcef Khatib et le Dr Harmouche, médecin de la Wilaya IV. Je leur avais dit que je ne pouvais plus rester dans l'armée.
Démobilisé, vous avez renoué avec la vie civile, en restant dans la politique ?
En effet, j'étais désigné dans le quota de la wilaya, pour l'Assemblée constituante jusqu'au 1er congrès d'avril 1964, où j'ai été nommé membre du comité central. Puis Boudiaf, Boualem Oussedik, Belkaïd, Ferhat Abbas et bien d'autres avaient été arrêtés par Ben Bella. En riposte à cette décision scandaleuse, on a créé le FFS en septembre 1963, on a opté pour Aït Ahmed pour coordonner le mouvement contestataire qui menait l'opposition à l'Assemblée. Nous étions dans l'opposition contre le pouvoir personnel et la prise de pouvoir par les armes. Au FFS, on a donné l'ordre de ne pas tirer sur l'armée régulière. Au déclenchement de la guerre des frontières, le FFS était en première ligne. par l'intermédiaire de Mustapha Fettal, on a contacté Ben Bella, qui nous a reçus en présence de Mohamed Harbi. Nous lui avons exposé nos revendications, à savoir : la libération de tous les détenus politiques, la mise en place d'une commission de préparation du congrès, et la création d'un état-major avec à sa tête Boumediène, mais qui comporte en son sein un responsable de chaque Wilaya historique. Lorsque la crise avec le Maroc a éclaté, le FFS était en première ligne. C'est Mohand Oulhadj qui dirigeait les opérations.
Puis, vous avez eu des démêlés avec le pouvoir en place...
En mai 1968, j'étais à Paris. J'avais pris un café avec Krim Belkacem. Je lui ai raconté l'affaire Zbiri, en référence à la tentative de putsch. De son côté, il m'a expliqué les motivations à l'origine de la création du MDRA. La rencontre s'est déroulée en présence de Slimane Amirat et un certain Belahcen, ancien préfet de Tizi Ouzou, un infiltré qui m'a « vendu » aux autorités. Un de mes compagnons, Krimi Abderrahmane, ayant eu vent de ce qui se tramait, m'a déconseillé de rentrer à Alger. Comme la compagnie aérienne était en grève, µj'ai dû aller en Suisse, puis à Madrid pour joindre Casablanca. De là, je suis rentré par la route. Mais, avant, j'ai pris la précaution d'informer l'ambassadeur Tayeb Ferhat et Larbi Redjem de ma présence en les invitant à aviser les autorités algériennes de mon retour au pays. La veille du 5 juillet 1968, j'ai été arrêté à mon domicile et condamné à 30 ans de prison. 10 pour avoir parlé à Krim et 20 ans pour avoir soutenu Zbiri dans sa tentative de coup d'Etat. Amirat avait écopé de la prison à perpétuité. Ce n'est qu'en 1975 que j'ai bénéficié de la grâce.
Bio express
• Bouregaa né le 15 mars 1933 à El Omaria (Médéa), s'est fermement opposé à l'armée des frontières et fut l'un des fondateurs du FFS. Emprisonné de 1968 à 1975, il a été accusé de complot après le coup d'état avorté de Tahar Zbiri du 14 décembre 1967. Si Lakhdar est l'auteur d'un livre autobiographique chahed à la Ightial atthoura paru chez Dat El Hikma en 1990.


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