Nous avons eu à rencontrer les membres de l'Union de wilaya des non-voyants du bureau de Constantine à leur « siège », sis à la rue du 19 Juin 1956 (ex-rue de France), et le mot nous paraît bien pompeux au regard du petit appartement (F2) vétuste, dépourvu de commodités. D'emblée, l'assistante sociale et gestionnaire du bureau, Mme Djahida Kh., la seule personne sans handicap, nous fera savoir que le bureau, juché, plus que situé, au 2ème étage d'une vieille bâtisse, avec des escaliers étroits et en spirale, entrave la marche de ces personnes plongées dans une obscurité éternelle. Plein d'amertume, Mohamed-Salah Atrous, secrétaire général de l'Union, nous fera part de leur misère : « Nous sommes rejetés et la plupart d'entre nous vivent en dessous du seuil de pauvreté. A partir du moment où la loi 63/200, qui protégeait les non-voyants a été abrogée et remplacée par celle de 2002, nous assimilant à tous les handicapés, toutes formes de handicap confondues et aux maladies chroniques, nous souffrons d'une cruelle marginalisation. » Ils perçoivent 1 000 DA par mois, alors que beaucoup sont jeunes, en bonne santé et en mesure de travailler, à l'exemple de Nourredine, âgé de 29 ans, qui a le niveau de terminale et un diplôme de standardiste obtenu au centre de Batna avec mention très bien. Selon lui, sa maîtrise du braille pourrait également lui permettre d'enseigner aux jeunes aveugles. Quant à Abderrazak, mal-voyant, il a été trois fois champion d'Algérie de natation, et revendique lui aussi un travail valorisant. Ce petit bureau est très actif, malgré une subvention annuelle insignifiante (150 000 DA), charges comprises. Les membres y reçoivent les non-voyants des deux sexes, de tous âges, sans et avec niveau scolaire. Ainsi, une femme de 55 ans, non-voyante, analphabète, a été orientée vers le centre d'Alger et y a appris le braille. Aujourd'hui, elle est standardiste à Aïn S'mara. Ils ont tous soif d'apprendre et ont un extraordinaire sens de la dignité. Ils insistent pour obtenir une vraie pension, et non la charité, et/ou un travail décent. Saâd, père de trois enfants, dont l'épouse est également non-voyante, n'arrive plus à joindre les deux bouts. « L'année écoulée, nous avons bénéficié, en tout, de 20 couffins de Ramadhan, et seulement du Croissant rouge. Nous revendiquons une pension comprenant le 1/3 du Smig, à titre d'indemnisation du handicap lui-même, et la diminution du prix du loyer pour cette frange sociale très fragile. » Ahcène B., le doyen du groupe, évoquera l'état lamentable des routes, les crevasses et les regards sans couvercle que tous redoutent plus que tout. Il n'omettra pas de rappeler, à ce propos, le cas d'un non-voyant, qui avait fait une chute mortelle dans un trou béant, en voulant récupérer sa canne. Ils évoqueront, au passage, le pire désagrément infligé à une personne aveugle : se déplacer, en tâtonnant, vers le centre-ville, voire plus loin, pour trouver des toilettes publiques, sachant que le bureau en est dépourvu. Pour l'heure, ils en appellent aux instances concernées en réitérant leur droit à une vie digne, à l'instar de tous les Algériens.