Ses jeunes se sont versés dans le métier de la pêche que leur ont enseigné, dans la pure tradition de cette région, leurs pères et grands-pères. Ils connaissent la mer et ses dangers comme ils savent, guidés par les étoiles, naviguer sans avoir à utiliser des moyens technologiques sophistiqués, tel celui du guidage par satellite (GPS). Cette dernière traversée après celles successives de ces trois derniers mois à laquelle ils avaient contribuée, c'était la leur. Et ils ne devaient pas la rater. Ces jeunes pêcheurs avaient entendu parler de ces cadavres repêchés par les gardes-côtes au large de la façade maritime Est de l'Algérie. Peu importe, cela ne les avait pas découragés. Ils ne manquaient pas de parler de leur départ incessant à destination de La Sardaigne (Italie) à chaque discussion avec les copains du quartier et même avec les journalistes. «De toutes les façons, cela ne va pas tarder. Nous sommes déjà prêts et n'attendons que l'arrivée de quatre autres camarades pour tenter l'aventure européenne. Nous avons effectué le change parallèle. Personnellement, j'ai sur moi 1000 euros. Ils me permettront de voir venir dès mon débarquement en terre italienne. Il n'y a plus d'espoir dans ce pays. Certes, l'Etat nous a aidés financièrement pour l'acquisition des barques. Mais la corruption est partout et les gros requins de la pêche nous laissent à peine des miettes», avait avoué Mohamed Tahar M. un des pêcheurs candidats au départ. Faute de poisson à commercialiser, il avait laissé tomber le stand qu'il avait lui-même construit en bordure de mer et de la cité Sidi Salem. Puis vint le jour J. Brahim M. est un père de famille au chômage habitant Sidi Salem. Sans le sou, il avait passé toute la nuit de la veille de l'Aïd El Adha sur les rochers à taquiner le poisson. C'était beaucoup plus pour ne pas avoir à expliquer à ses enfants l'absence du mouton. Il nous a relaté ce qu'il a vu cette nuit là : «Ils étaient des dizaines de jeunes à mettre les embarcations à l'eau. Plusieurs y avaient déjà pris place. J'ai même vu quatre jeunes filles y accéder avant que l'homme qui les accompagnait ne mette son puissant moteur pleins gaz. L'une après l'autre, une dizaine de barques ont suivi. Elles étaient toutes de Sidi Salem. D'ailleurs, depuis, j'ai remarqué que leur point d'échouage est toujours vide». Pour lui, il s'agissait bel et bien d'une opération d'émigration clandestine. Le lendemain, cette opération était dans toutes les bouches dans les wilayas de Annaba et El Tarf. Cette nuit de l'Aïd El Kébir, des dizaines de jeunes Algériens avaient tenté d'émigrer clandestinement en Italie, à partir de Sidi Salem, Cap de Garde, Chetaïbi (Annaba) Dar El Beida à Echatt et Cap Rosa (El Tarf). Ceux qui avaient assisté à leur départ affirment que les émigrants clandestins n'avaient aucun bagage. «Ils savaient qu'ils allaient à l'aventure et qu'ils risquaient de périr. Ils ont osé, et ont atteint les côtes de la Sardaigne. Plusieurs sont mes voisins. Ils ont téléphoné aux leurs pour les tranquilliser 48 heures après leur entrée dans une ville italienne», témoigne Brahim M. Selon lui, les guides étaient de jeunes pêcheurs du quartier maîtrisant bien la navigation maritime et la météo. Les passagers étaient des jeunes âgés entre 20 et 40 ans. Ils étaient habillés chaudement et certains portaient un anorak. Avant de partir, les poches pleines de patte de datte (ghers) et de sucre dans des embarcations chargées de jerricans de fuel et d'eau potable, ils avaient entamé une étrange mélopée. Une louange à Dieu en quelque sorte pour éviter à leur embarcation de chavirer. Les services de la station maritime principale des gardes-côtes de Annaba en auraient intercepté une cinquantaine au courant de l'année 2006. Durant la même période, une trentaine de cadavres de harraga non identifiés avaient été repêchés alors que sept voyageurs clandestins avaient été interpellés au large des eaux territoriales algériennes.