Pendant qu'Alger s'efforce de célébrer la culture arabe, Abu Dhabi a engagé un contrat au terme duquel le musée du Louvre ouvrira une antenne dans cet émirat. L'affaire a fait grand bruit en France, soulevant un tollé de protestations dans les milieux des arts. Pourtant, il s'agit bien d'une bonne affaire qui devrait rapporter, selon Le Monde (seul journal à avoir obtenu la copie du contrat), environ 700 millions de dollars aux musées français qui prêteront des œuvres pendant dix ans et placeront leurs spécialistes pour la gestion du futur Louvre Abu Dhabi et la constitution de ses collections. Il paraît même qu'Abu Dhabi financera une agence internationale des musées de France ! On comprend que le ministre français de la Culture dénonce au Sénat les «esprits grincheux» qui empêchent de «faire rayonner les œuvres et les talents français». Les Américains, qui savent compter sans complexes, ne se sont pas encore signalés par des protestations pour la «franchise» (oui, comme pour une chaîne de fast-food ou de cosmétiques !) accordée par le musée Guggenheim de New York au même émirat. L'édifice, qui accueillera la succursale, a coûté 400 millions de dollars sans compter l'achat des expositions. Au final, cinq musées viendront peupler l'île déserte de Saâdiyat avec une capacité d'hébergement de 150 000 lits. Budget : 27 milliards de dollars, soit environ un quart du PIB de l'Algérie qui n'est pas pauvre pourtant ! On ne peut que se réjouir du fait que les Emirats veuillent se débarrasser de l'image du tout-pétrolifère qui colle à eux avec la même hargne que des miasmes d'hydrocarbures dans les ailes d'une mouette bretonne. Et l'ambition de faire d'Abu Dhabi «la capitale culturelle de la région» serait rassurante si elle ne s'inscrivait pas dans une vision de développement touristique au marketing très Joconde et jet-ski. Depuis 2003, dans le cadre de l'Unesco, les EAU attribuent annuellement le prix Sharjah à un arabe et un non-arabe, pour leurs contributions à la promotion de la culture arabe. La cagnotte de cette honorable distinction est dotée de 50 000 dollars. Mais quand on pense aux 27 milliards précités, on peut se prendre à rêver d'une nouvelle Andalousie culturelle. Seul obstacle : jamais l'argent n'a suffi à promouvoir les arts et la culture. Sous les derricks, seuls poussent les pipelines. Et jamais encore le sens et la beauté, indissociables de la liberté de création, n'ont pu tenir dans des barils.