Mais cette normalité, saine par principe, n'est pas toujours à l'abri d'une éventuelle atteinte pathologique, laquelle nécessite, préalablement au traitement étiologique de la cause, une mise en quarantaine, c'est-à-dire le boycott. Car, à défaut d'un «plus de vote sain», cette thérapie de boycottage s'imposera alors, pour «vaincre le mal par le mal» malgré son apparence paradoxale. Une telle thérapie s'avère efficace et s'inscrit dans le sens de la dissidence pacifique citoyenne individuelle qui est une action libre, donc responsable. Le recours à cette dissidence par le boycott s'avère être le moyen visible le plus franc et le plus transparent, donc le plus crédible, pour gagner la bataille contre la mauvaise gouvernance. Cette dernière a été, en effet, imposée à la nation algérienne par les tenants du pouvoir dès l'indépendance de la patrie. Ceux-là se reconduisent en transmettant la mentalité coloniale et néo-coloniale de la «hogra» et de la normalisation forcée, par la politique de «la carotte ou le bâton» ainsi que par celle des scrutins pipés d'avance et de la fraude électorale massive. A l'instar du tristement célèbre gouverneur général de «l'Algérie française», Edmond Naegelen, qui manipulait et justifiait subtilement la fraude électorale, les «laboratoires» algériens de la police politique s'avèrent plus performants en la matière, grâce à tous les moyens modernes de propagande démagogique de répression officielle, à l'ombre de la scélératesse de tout un arsenal de règlements, circulaires, décrets et ordonnances. Parmi ces dernières, je cite, à titre d'exemple, l'ordonnance numéro 97-07 du 6 mars 1997 portant loi organique sur le régime électoral. Par les dispositions de ses articles 87, 88 et suivants, cette ordonnance octroie à l'exécutif ainsi qu'à l'administration le rôle de «juge et partie» dans tous les scrutins et référendums. Rôle que réprouve et caricature le citoyen en invoquant : «Ellaâb H'mida oua Errachème H'mida fi dar H'mida.» L'article 87 stipule : «La commission électorale de wilaya vérifie et centralise les résultats définitifs enregistrés par les commissions électorales communales. Elle procède à la répartition des sièges, conformément aux articles 76, 77, 78 et 79 de la présente loi.» L'article 88 stipule : «La commission électorale de wilaya est composée de trois magistrats désignés par le ministre de la Justice. Elle se réunit au siège de la cour ou, à défaut, au siège du tribunal du chef-lieu de wilaya.» Ainsi donc, les trois magistrats, chargés de juger et d'arbitrer dans chaque circonscription électorale, sont légalement désignés par leur tutelle administrative représentée par le ministre de la Justice. Mais cette désignation pose problème dans notre République démocratique et populaire qui est née dans la mentalité de la pensée unique et du parti non moins unique. Car la mentalité de l'unicité n'admet, d'une façon réelle et effective, ni la séparation des pouvoirs législatif, exécutif, judiciaire et spirituel, ni le pluralisme entré par effraction à la suite des sanglantes émeutes d'octobre 1988, ni enfin l'indépendance de la justice ainsi que le constate chaque citoyen et particulièrement l'élu local que je suis. Protéger le juge contre les tentations de suspicion Par contre, le tirage au sort ou bien la désignation ou encore mieux l'élection de ces magistrats, par leurs pairs, aurait signifié non seulement l'indépendance de la justice algérienne, mais la protection de la neutralité du juge en son âme et conscience contre toute tentation de suspicion à son égard. Sauf l'honneur des nombreux magistrats qui se battent pour l'indépendance de la justice, de sa déontologie et de son éthique. Cette protection de la neutralité est donc moins évidente, sachant que la carrière professionnelle du magistrat est exposée à l'influence intéressée de la part de son ministre. Cela est d'autant plus vrai que ce ministre se trouve directement, à travers son parti politique, engagé comme partie prenante dans la compétition électorale. Le magistrat désigné n'a certainement pas intérêt à décevoir le ministre qui l'a légalement choisi, quant au résultat de l'arbitrage de cette compétition. C'est ce qui s'est passé en mai 1997, lorsque le système avait décidé de lâcher temporairement le FLN trop décrié par la population. Ces décideurs avaient ainsi légiféré pour favoriser l'élection d'un nouveau sigle de parti, le RND, arraché à Benbaïbèche et confié à Ouyahia, ministre de la Justice puis Premier ministre. Ce parti «nouveau», «né avec sa moustache», disait-on constitué de fonctionnaires normalisés, avait gagné politiquement grâce à la fraude électorale massive, laquelle avait fait l'objet d'un rapport d'enquête parlementaire non divulgué. C'est ainsi que, par cette normalisation forcée à l'Algérienne, le système se perpétue au pouvoir de l'Etat, à travers les scénarios de l'alternance clanique antidémocratique. D'où la déduction logique que la désignation faite par le ministre de la Justice dans le cadre de l'ordonnance du 6 mars 1997, promulguée dans un tel contexte politique, demeure éthiquement récusable. Car elle risque de porter préjudice à la neutralité de l'arbitrage de toutes les compétitions électorales ainsi qu'à l'inviolabilité du choix souverain de l'électeur. C'est là, nous semble-t-il, le point culminant et le haut lieu inaccessible au contrôle de la fraude électorale massive qui a caractérisé les élections dites pluralistes et les différents référendums que nous avons vécus depuis toujours. Cette porte, légalement ouverte à la fraude électorale, n'est autre qu'une atteinte aux droits du citoyen et une corruption consubstantielle de la mauvaise gouvernance. Il est évident qu'à ce haut niveau juridique, le rôle de «juge et partie», dont sont légalement affublés l'exécutif et son administration, domine et cautionne les non-négligeables autres fraudes électorales relevées et rapportées par les nombreux et crédibles témoins en périphérie, au niveau du découpage électoral, du fichier des électeurs, des bureaux de vote fixes et itinérants et des commissions communales. Combien même l'on trouverait un moyen efficace informatique ou électronique ou autre, tel que le Dispositif autonome de surveillance des élections (DASE) de la LADDH, pour garantir la tenue d'élections «propres et honnêtes», ne serait-il pas rejeté «globalement et dans le détail» par les initiateurs d'une telle ordonnance, restés fidèles à la mentalité dictatoriale du système prédateur et corrompu du régime en place ? Car la démocratie ne saurait se réduire aux seules échéances électorales, pas plus qu'une hirondelle ne fait le printemps. Pour réussir la réalisation de ce printemps de la «République démocratique et sociale, souveraine dans le cadre des principes de l'Islam», telle que formulée dans l'appel historique du 1er novembre 1954 et explicitée par la charte du Congrès de la Soummam du 20 août 1956, il faut réussir l'alternance démocratique pacifique dans toutes les institutions de l'Etat. Le peuple désabusé doit donc réaliser cette réussite par son opposition radicale pacifique, sachant que les élus issus des leurres électoraux seront, comme d'habitude, utilisés comme lièvres et alibis cautionnant un tel régime prouvé antidémocratique. Les électeurs, qui iront voter le 27 mai, savent bien que le régime actuel s'attache à se pérenniser derrière la façade du jeu démocratique électoral. Ils n'ignorent pas non plus que les candidats qui y participent, perdent politiquement quant à leur opposition déclarée et ne dépassant pas le stade du discours plagié le plus souvent. Tandis que ceux qui seront élus, ils ne peuvent imprimer de changement au choix politique présidentiel plus démagogique que démocratique. Ils gagneront des millions de centimes, une retraite assurée à vie et tant d'autres privilèges. Mais ce beau monde, qui se contente généralement d'amasser les retombées pécuniaires fatalement corruptrices et des sièges octroyés en fonction du degré d'allégeance au régime en question, traite souvent le citoyen plus comme moyen que fin en soi. L'auteur est Docteur