L'abstentionnisme ou non-participation à un vote s'avère être, depuis les dernières législatives du 17 mai dernier, la solution idoine au problème que pose le rôle récusable de juge et partie, lequel est indissociable du fléau de la fraude et de la corruption électorale. Il est évident que le corps électoral, les candidats et le système de pouvoir de l'Etat s'y impliquent, chacun en ce qui le concerne. Conscient de cet enjeu, le pouvoir avait d'emblée mobilisé en faveur de la participation massive, lors de la campagne et même en pré-campagne électorale, tous les moyens médiatiques dont la télévision nationale, relayée par les discours des nombreux candidats et candidates aux législatives, en vain. Désabusée, à l'instar du parti d'opposition le FFS, l'écrasante majorité de l'électorat avait répondu par un abstentionnisme franc et ouvert à la face du monde entier. La réaction épidermique du pouvoir, prévisible du reste, ne s'est pas faite attendre. Il légifère précipitamment en prévision des très prochaines élections locales et des suivantes. Ainsi, au lieu de se remettre en question quant à sa légitimité mal fondée, sa crédibilité douteuse et la qualité de sa gouvernance décevante, ce pouvoir autoritaire abonde de nouveau en faveur d'une coercition supplémentaire. Il promulgue une nouvelle loi électorale en amendant les deux articles n°82 et 109 portés par l'ordonnance n°97-07 du 6 mars 1997. Cette nouvelle loi prétend imposer à une certaine catégorie d'électeurs des démarches bureaucratiques pour la légalisation des formulaires de soutien, ainsi qu'un bricolage juridique autour d'un énigmatique parrainage avec une approximation arithmétique, et ce, afin de compliquer et limiter le libre choix de certains électeurs et candidats, tout en favorisant ceux des partis proches du pouvoir. Ce qui fait penser aux deux collèges du code de l'indigénat colonial. Ce faisant, le pouvoir escompte gagner sur deux tableaux : D'abord, contraindre à la « normalisation à l'algérienne » en alignant derrière le plus vieux parti et ses satellites, l'opposition politique dont tout particulièrement le parti du Front des forces socialistes. Car le FFS a toujours récusé la légitimité du système au pouvoir de l'Etat depuis 1963 tout en proposant son propre programme politique, économique et social, éminemment plus démocratique et solidaire que celui du président de la République, faut-il le reconnaître théoriquement du moins. Encore faut-il que l'électeur se décide à arracher le statut de citoyen souverain au lieu de se complaire dans celui de sujet « corvéable et serviable à merci » et que, selon l'humeur du prince, on limite à la fois dans son libre choix politique, dans son autonomie organisationnelle et programmatique, dans sa liberté d'action et dans sa libre autodétermination permanente. Ensuite, canaliser l'électorat par le réflexe conditionné de Pavlov ou des moutons de Panurge, afin d'orienter, sans « effritement », cet électorat vers les partis intéressés à la fois par la pérennité de ce système de pouvoir, par le programme présidentiel pourtant plus démagogique que démocratique et social, et par l'invasion néo-coloniale du partenariat sauvage multinational excluant l'implication, préalable ou concomitante, des concernés économistes patriotes et des hommes de l'art nationaux, souvent à leur détriment. Cette analyse est corroborée par le fait que le récent amendement de la loi électorale a sciemment épargné l'article 88 qui stipule : « La commission électorale de wilaya est composée de trois magistrats désignés par le ministre de la Justice… » Or, cette désignation de l'arbitre électoral, qui « juge en dernier ressort », par un ministre qui est partie prenante dans la compétition à arbitrer, est logiquement et légitimement récusable, en tant que juge et partie. Sachant l'influence qu'exerce, dans ce régime politique, l'Exécutif sur les autres pouvoirs, notamment la justice, d'une part, et la dépendance de la carrière du magistrat ainsi désigné, vis-à-vis de sa tutelle ministérielle, d'autre part, sauf l'honneur de la majorité des hommes et des femmes de loi qui se battent pour l'indépendance de la justice en Algérie, n'aurait-il pas été plus loyal et crédible de faire élire ces magistrats par leurs pairs dans chaque circonscription électorale ? Car cette désignation ministérielle justifie d'une façon très significative la maxime populaire « Ellaab Hamida, Erracham Hamida, Fi Dar Hamida ». Cette néfaste immixtion de l'Exécutif sévit hélas au niveau national autant que local, ainsi que j'ai pu le constater durant ma mandature quinquennale à l'Assemblée populaire de la wilaya d'Alger (APW). Ma volonté d'y apporter un plus de démocratie par le débat contradictoire s'est malheureusement heurtée à l'hégémonie et à l'imperméabilité des tenants de la pensée unique, de la rente, de la corruption et du trafic d'influence, passés pour constantes nationales. Il serait utile que la Cour des comptes y soit plus opérationnelle à tous les niveaux afin d'aider à la moralisation des mœurs. Il ne faut pas oublier que l'article 88 en vigueur dans la nouvelle loi électorale issue de l'amendement de l'ordonnance n°97-07 du 6 mars 1997, avait bien couvert la célèbre fraude massive aux premières élections législatives pluralistes de 1997. Ce qui avait provoqué une levée de boucliers et nécessité la désignation d'une commission d'enquête dont le rapport n'a jamais été divulgué, hélas pour notre démocratie à géométrie variable. Cette fraude légalisée semble avoir été jugée nécessaire au remplacement momentané du plus vieux parti, par son clone connu pour être « né avec sa moustache ». Ce clonage avait attiré des cadres prédisposés de l'institution administrative supposée neutre. Mais il faut rappeler aussi, qu'à l'époque, le chef désigné par jugement à la tête de ce dernier parti cloné, était chargé du portefeuille de ministre de la Justice avant d'être nommé Premier ministre, chef du gouvernement. Ainsi, cet article 88 de la loi électorale, permet aux décideurs du système et à leur administration, lesquels imposent, par ailleurs, « légalement » les règles du jeu électoral auquel ils ne se gênent pas de participer, d'y jouer l'avantageux et dopant rôle de juge et partie. Ce qui explique la conservation volontaire de cet article et sa mise à l'abri de tout amendement. Mais l'opportunité de falsification et de manipulation des résultats du vote qu'il peut offrir risque de tomber en panne sèche, bloquant à ciel ouvert la fraude habituelle, en l'absence de matière première constituée par tous les bulletins glissés dans l'urne ; d'où la nécessité de diaboliser officiellement le boycott et l'abstentionnisme et de faire du rabattage déloyal, à l'aide des deniers publics, en faveur de la participation massive et du parrainage au bénéfice des partis du pouvoir. C'est pourquoi l'abstentionniste consacré, le FFS, a judicieusement choisi son camp, celui de l'électorat désabusé, « dans la société, dans son avenir et dans son devenir… Le temps finit toujours par avoir raison des rhétoriques mystificatrices et des slogans racoleurs ; il relève la réalité pour ne pas dire la vérité des hommes et des institutions ; il situe chacun à sa place, soit dans la volonté d'accompagner la société dans ses tentatives de démocratisation et dans sa quête d'émancipation sociale, soit dans les combats sans gloire, dans les rings du pouvoir, et dans l'écume des jours. Mais, rien ne dit, au contraire, que le suffrage universel, conquis de haute lutte par la résistance des Algériennes et Algériens, ne sortira jamais de la préhistoire coloniale et post-stalinienne ». En conclusion, la restitution de la souveraineté à la base populaire par l'alternance démocratique au pouvoir de l'Etat, refondé pacifiquement et moralement, demeure le remède adéquat du double mal de l'abstentionnisme face au rôle de juge et partie. L'auteur est ophtalmologue