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Bonne gouvernance, responsabilité sociale et comptabilité des entreprises (1re partie)
Publié dans El Watan le 25 - 01 - 2005

Comment comptabiliser une poule pondeuse ? (1) La réponse va concerner de nombreuses parties prenantes, y compris l'administration et même l'investisseur étranger. Les entreprises algériennes ont-elles une âme ? Doit-on considérer la poule pondeuse comme un moyen de production (d'œufs de reproduction, de consommation ?), ou comme une marchandise, puisque au bout de deux ans, il faut bien la vendre comme poulet de chair lorsqu'elle deviendra moins rentable ? De la réponse à cette question technique, on peut déduire différentes conséquences.
En tant que moyen de production (renouvelable si on ne veut pas fermer l'entreprise au bout de son cycle de production), le code des impôts directs permet de soustraire une partie des résultats (dotation aux amortissements) pour pouvoir acheter une pondeuse de remplacement. On paiera donc moins d'impôts, on distribuera moins de bénéfices, on paiera plus à la société d'assurances, etc. La structure du bilan change selon la décision prise ; les analystes financiers, les investisseurs, les assureurs et les banquiers tireront des conclusions différentes selon que notre poule est une marchandise classée dans les stocks ou un appareil classé parmi les investissements. Le PDG de la BADR, analyste spécialiste du cash flow ne pourra pas nous démentir. Quel que soit le système comptable adopté, il devra permettre la prise en charge correcte de cette poule. Mais il n'y a pas que cela. Doit-elle être comptabilisée à sa valeur d'achat, facture à l'appui en cas de contrôle de l'administration (fiscale, commerciale), ou à celle réelle, si jamais on décide de privatiser le poulailler, comptabilité à l'appui ? Il n'est pas dit que l'acheteur du poulailler privatisé paiera le prix figurant sur les livres comptables ! D'ailleurs, tant au niveau conceptuel que pratique, il serait judicieux d'analyser les avantages, réels ou supposés, de la comptabilité en « juste valeur » (fair value) vers laquelle les autorités publiques, suivant en cela le normalisateur international, semblent y aller à marche forcée. La comptabilité n'est pas un instrument de détermination directe de valeur, mais est conçue pour ses fonctions d'information et d'aide au pilotage (2). Par ailleurs, pour être crédible, la valorisation doit être établie pour une entité neutre, par exemple par expertise. En parlant de valeur réelle, on a aussi donné l'exemple des terrains des entreprises. Or, jusqu'à preuve du contraire, ces terrains n'appartiennent pas aux entreprises publiques dont aucune n'est capable d'exhiber un acte de propriété. La plupart des entreprises publiques de l'agro-industrie ont bénéficié, à titre gratuit, de « l'octroi pour usage » de terrains des domaines socialistes sur la base de lettres, arrêtés, coups de téléphone, etc. Le procédé a été le même pour les autres entreprises publiques. Ce n'est donc pas un argument et le problème de terrain posé est de nature juridique et non comptable. En tout état de cause, une appréciation uniquement fondée sur la valeur réelle des actifs, pour l'estimation comptable de la valeur économique des EPE à privatiser restera, par définition, plus proche de la devinette que de la réalité. Comme toute entreprise, notre poulailler a de nombreuses parties prenantes à l'information financière et comptable : propriétaires actionnaires (shareholders), gestionnaires s'ils ne sont pas eux-mêmes propriétaires en tout ou partie du capital, travailleurs salariés toutes catégories, clients (boulangeries, restaurateurs, consommateurs), sous-traitants, fournisseurs (poussins, produits phyto-sanitaires, aliments), administration fiscale, sociale, compagnies d'assurances, avocat, commissaires aux comptes, conseillers techniques, vétérinaire, collectivités locales où cette entreprise est implantée, ne serait-ce que parce que le budget communal est intéressé par les rentrées fiscales et par les dépenses induites par la pollution et le ramassage des ordures, le voisinage de l'usine, autres tiers (toutes ces catégories de parties intéressées à l'entreprise sont appelées stakeholders dans le jargon anglo-saxon) et même le champ d'à côté si jamais le gestionnaire décide d'y répandre les fientes pour s'en débarrasser à moindre frais, à moins d'investir dans une extension industrielle pour traiter ces fientes et en faire un engrais vendable, ou encore une source d'énergie (3) bénéficiant de sources de financements et d'incitations fiscales (4) Il se trouve que toutes ces parties intéressées aimeraient disposer d'une comptabilité fiable du poulailler et leurs décisions peuvent être affectées, plus ou moins, par le système comptable adopté, tout dépend à quoi sert une comptabilité ou à quoi on la destine. Une entreprise est donc un être vivant avec un nom, un patrimoine, des débiteurs, des créanciers, une adresse principale, une nationalité, des amis, des ennemis ; elle peut être occasionnellement un justiciable, elle peut faire des enfants et se multiplier ou mourir de vieillesse. La loi algérienne ne dispose-t-elle pas que de la durée maximale d'une société ne peut excéder 99 ans ? Les entreprises algériennes sont jeunes, autour de 40 ans, la fleur de l'âge, les plus vieilles sont privées, datant d'avant l'indépendance comme Hamoud Boualem, Tamzali... La question est : ont-elles une « âme » ? Les plantes, les animaux et les femmes n'en avaient pas selon d'anciens chrétiens ; nous soutenons qu'ils en ont. Nous soutenons également que nos entreprises doivent et peuvent avoir une âme algérienne, et chacune un esprit qui lui est propre.
Critique du PCN et de l'IAS pour manque d'éthique ?
C'est incompréhensible cette unanimité de la critique du Plan comptable nationale (PCN) promulgué en 1975 et sa qualification d'« archaïque ». Lorsqu'il avait fallu remplacer le Plan comptable (PC) en pratique depuis l'indépendance, et qui s'inspirait du plan comptable français de 1958, nous nous souvenons qu'il avait été aussi jugé archaïque. Or, le PC répondait au souci de l'administration fiscale et le PCN appliqué depuis le 1er janvier 1976, également inspiré du Plan comptable général réformé français, répondait au souci de la statistique économique... Les deux plans comptables sont de type hiérarchique et devaient permettre d'alimenter, à côté d'autres procédures (5), le système d'information et décisionnel, fiscal pour le PC et économique pour le PCN. On a avancé de nombreux arguments pour justifier la critique actuelle : adoption de réformes économiques, ouverture des frontières et nouveaux engagements du pays (association avec l'Union européenne et l'adhésion à l'OMC), de sorte que l'adoption d'un nouveau PC deviendrait inévitable... Or, l'Algérie a toujours eu une écomnomie extravertie, et les flux transfrontaliers de biens et de capitaux ont toujours existé. On a aussi pu dire que la nouvelle réforme doit permettre d'avoir une centrale des bilans qui agrège les données des entreprises... Mais, précisément, c'est ce qu'on disait lors de l'adoption du PCN et on n'a toujours pas, 30 ans après son adoption, de centrale des bilans, ni une centrale des risques d'ailleurs pour ficher, par exemple, les émetteurs de chèques sans provision. Pourtant, l'importance de la fiabilité des informations statistiques nationales n'est pas à démontrer, ne serait-ce que pour la bonne gestion des entreprises, car des informations statistiques fiables et toujours actualisées leur permettent de faire des projections stratégiques, notamment pour leurs investissements, mais aussi pour leur fonctionnement quotidien. On devrait même dire que les informations doivent être fiables, impartiales (politiquement) et indépendantes (6), surtout pour éviter les manipulations, la fraude fiscale, les crimes économiques, etc. Des informations crédibles doivent aussi être utiles et accessibles pour les partenaires, banques et investisseurs notamment, ainsi que pour les institutions internationales qui pourront y puiser matières à comparaisons et analyses. Aujourd'hui, l'unanimité des intervenants sur la place publique se fait autour des normes comptables IAS ; les nouvelles normes préconisées ne constituent pas une réponse sans faille, même au plan technique, comme par exemple le suivi comptable linéaire des fabrications à soi-même (matières premières, produits semi-finis, marchandises) qui est plus transparent avec notre PCN qu'avec celui proposé. Pourquoi avons-nous toujours tendance à applaudir la nouveauté ? Où est le sens critique de ceux qui veillent aux intérêts de la collectivité ? Pourquoi nos comptables soutiennent les normes IAS alors que celles-ci visent à normaliser l'information financière et non la comptabilité dans son ensemble ? A priori, quel que soit le plan comptable adopté, il doit répondre aux soucis de la transparence et des critères de sincérité comptable, d'exhaustivité ou de vérité, qu'il s'agisse de la nature des biens ou des chiffres, donnant une image fidèle de la situation financière et du patrimoine de l'entreprise. S'il n'y a rien à opposer contre l'importance et la légitimité des ambitions affichées, notamment l'attrait et la protection du capital étranger, aucune critique n'inscrit la réforme souhaitée dans un projet purement national. Pour toutes ces raisons, et d'autres que nous ne pouvons exposer en raison de l'espace octroyé, une telle réforme nécessite tout un travail en amont et en aval, ce qui ne cadre pas avec l'opacité suivie de la précipitation et du battage médiatique fait autour de l'IAS avec de mauvais arguments. Le plus important dans tout cela, à notre avis, n'a pas été dit. L'absence d'une identité éthique des entreprises publiques ou privées, nationales ou étrangères opérant en Algérie, car c'est cette âme qui dira à quoi doit servir un plan comptable. Il y a sûrement des mesures préalables indispensables (7). Mais pour définir cette âme, il est nécessaire de mettre en place leur bonne gouvernance et définir leur responsabilité sociale (RSE).
Bonne gouvernance et responsabilité des entreprises
La bonne gouvernance d'entreprise (ci-après BGE) est une notion à large spectre qui s'applique à tous les organes de l'Etat, aux entreprises économiques publiques et privées, aux associations et à tout groupement de personnes... Pour faire court, il s'agit de la définition des modalités de dévolution du pouvoir, ainsi que de son exercice (procédures dans les assemblées d'associés, contrôles, responsabilité, obligation de rendre compte, etc.). La BGE est donc un ensemble de règles de jeu définies par la loi (codes du commerce, code civil, règles du notariat, du registre du commerce, etc.), règles relatives à l'administration interne démocratique et transparente des entreprises, aux rapports et responsabilités des organes de l'entreprise (assemblée d'associés, conseil d'administration, gestionnaires) (8) et relatives au rôle du commissaire aux comptes, aussi bien dans le secteur public que dans le secteur privé. C'est aussi la formulation claire et précise des normes et procédures de prises de décisions concernant l'entreprise, permettant de connaître le cadre à travers lequel sont définis les objectifs et les moyens de leur réalisation ainsi que le contrôle de bonne exécution, la publicité et le contrôle des comptes et autres informations obligatoires ou volontaires. Aux plans international et régional, des définitions de la bonne gouvernance d'entreprise sont données, à titre d'exemple, par l'OCDE, qui adopte une définition restrictive en la considérant, en 5 principes de base (9), comme un cadre de gestion stratégique et de contrôle du management (10). La Banque mondiale soutient ces principes mais en leur donnant une large interprétation. L'Union européenne adopte une plus large définition pour englober les parties externes intéressées à l'entreprises au point où l'on risque de la confondre avec la responsabilité sociale des entreprises, que les Français traduisent par responsabilité sociétale. Quant à la responsabilité sociale des entreprises (ci-après RSE), qui est la prise en compte par lesdites entreprises, outre de la nécessité de la performance économique et financière qui est leur raison d'être, des perspectives et des conséquences sociales et écologiques de leurs activités. Nous avions eu l'occasion par de nombreux articles publiés par la presse algérienne d'attirer l'attention des « parties intéressées » par le sujet. La stratégie induite de la RSE est basée sur la notion de développement durable, un concept formalisé à l'occasion des travaux de la commission mondiale sur l'environnement et le développement, en 1987, et qui se définit comme « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ». Il intègre une triple responsabilité : la dimension économique (efficacité, rentabilité, mais aussi la lutte contre la corruption !), la dimension sociale et la dimension environnementale. Depuis le sommet de Rio de 1992, on parle volontiers dans les milieux d'affaires, du triple résultat ou trois « p » que sont le profit, la population et la planète composant la stratégie des entreprises responsables ou citoyennes.(À suivre)
Notes de renvoi :
1) Nous posions cette question aux comptables des unités avicoles lors d'un séminaire organisé par l'ONAB (1976).
2) La valeur juste ou réelle constitue une véritable question conjoncturelle, car si le coût historique (d'achat) ne permet pas d'aboutir à l'objectif visé de valeur juste ou réelle permettant la vente (privatisation), la valeur réelle ne remplit sa fonction que si elle est établie indépendamment de l'entité qui doit rendre compte. Ce n'est pas parce que la poule est valorisée à sa valeur marchande du moment que l'investisseur étranger va y croire. Notre poule devenue poularde a d'ailleurs une valeur marchande supérieure à l'approche du Ramadhan !
3) Dans les conditions d'utilisation et de valorisation du biogaz produit à partir des déchets organiques urbains, ruraux et industriels ainsi que l'ensemble des énergies renouvelables produites selon les modalités fixées par l'article 16 de la loi n°04-09 du 14 août 2004 relative à la promotion des Energies renouvelables et textes réglementaires attendus.
4) Les actions de promotion, de recherche développement et d'utilisation des énergies renouvelables en complément et/ou en substitution aux énergies fossiles bénéficient d'incitations dont la nature et les montants sont fixés par la loi de finances (article 15 de la loi n° 04-09 du 14 août 2004).
5) Voir par exemple le décret exécutif n°02-282 du 3 septembre 2002 instituant les nomenclatures algériennes des activités (NAA) et des produits (NAP)
6) Cette indépendance pouvant être assurée de différentes manières, comme l'adjonction dans les organes centraux de récolte et de traitement des données, de conseils issus des utilisateurs comme les experts, les entreprises, par exemple.
7) Comme la disponibilité et la fiabilité de systèmes de communication électronique (gain de temps et de paperasse), une large consultation d'experts (comptables, commissaires aux comptes, avocats que l'on oublie toujours de consulter, banques, universitaires, etc.) ou encore des mesures législatives touchant le code de commerce, les codes fiscaux, les textes réglementaires déontologiques des experts comptables, des commissaires aux comptes, des conseillers financiers s'il en existe à moins de laisser ce marché aux cabinets étrangers qui exercent présentement un monopole de fait. La légalisation de leur présence ayant été récemment rejetée ; la concurrence étrangère des métiers d'audit, d'expertise comptable et de commissariat aux comptes du projet loi des finances pour 2005 ayant été abandonnée, mais jusqu'à Quand ? La demande des services des experts comptables et commissaires aux comptes s'est élargie, à partir de 1992, à toutes les sociétés commerciales soumises à l'obligation de désigner un commissaire aux comptes ainsi qu'aux Epic et aux EPE dites stratégiques. La loi de finances pour 2000 avait élargi cette obligation aux associations, fédérations, confédérations, syndicats, etc. si ces organisations souhaitent bénéficier de subventions publiques. Or la formation par les universités ne suit le mouvement du marché.
8) Une conception plus large y ajoute d'autres partis intéressées, comme les représentants de la puissance publique, les créanciers privilégiés (notamment les employés), etc.
9) Ad Hoc Task Force on Corporate Governance, OECD's principes of Corporate Governance, 1999. 10) Idem, lire page 22.a


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