Les économistes doutent que le nouveau pari de Bouteflika, qui consiste à créer 3 millions d'emplois durant son troisième mandat, puisse être réalisable. « Il ne peut pas y avoir un marché de l'emploi structuré dans une économie à caractère rentier et non productif », estime Mourad Ouchichi, professeur à la faculté de l'économie et de la gestion de l'université de Béjaïa, contacté hier par nos soins. Il y a d'abord ce facteur lié à l'opacité qui entoure les chiffres qui empêche une évaluation crédible sur le marché de l'emploi. A cela s'ajoute le bilan déficitaire du secteur public « en défaillance permanente depuis les années 1970, tandis que le secteur privé est de caractère beaucoup plus spéculatif qu'autre chose », fait valoir M. Ouchichi. Cet état des lieux n'est pas de nature à faire du projet du Président une entreprise envisageable, « à moins que le chef de l'Etat confonde emploi typique et emploi précaire », a-t-il soutenu sur sa lancée. Un emploi typique suppose que l'on soit rémunéré, sécurisé et lié à une charte qui fixe les droits et les devoirs de l'employé, explique notre interlocuteur qui précise que les emplois de jeunes ne peuvent être insérés dans la catégorie des emplois typiques. Cette formule d'emploi des jeunes, lancée par les pouvoirs publics afin d'éponger les taux du chômage, et par là même, d'éventuelles tensions sociales, a fait l'objet de vives polémiques. Ces emplois précaires sont même pris en compte dans le calcul du taux de chômage, sujet qui fait l'objet lui aussi d'une vive controverse, en l'absence de structures autonomes capables de fournir des chiffres crédibles, relève Mourad Ouchichi. « Ou bien il y a confusion entre l'emploi typique et l'emploi précaire, ou bien c'est une promesse populiste que vient de lancer le chef de l'Etat. » La donne économique internationale vient apporter plus de difficultés dans la lutte contre le chômage en Algérie. L'importation de la main-d'œuvre étrangère pour absorber les taux de chômage générés par la crise économique dans certains pays constitue, bon gré, mal gré, une donne qui pourrait remettre en cause davantage le projet de Bouteflika. Bien qu'il n'y ait aucune disposition qui interdise cette importation de main-d'œuvre étrangère, « le phénomène nous impose matière à réflexion quant à la qualité et à la formation qu'offrent nos établissements et universités », estime M. Ouchichi, professeur à l'université de Béjaïa. « Il y a d'abord un certain laxisme des autorités quant à ce phénomène. Mais ce qui est à la fois incompréhensible et déplorable est le fait que l'on importe même des maçons alors que le marché algérien dispose de ce genre de métier. Ce serait plus compréhensible si l'on cautionne le rapatriement d'ingénieurs et des diplômés spécialisés », poursuit l'expert, convaincu que le phénomène de la main-d'œuvre étrangère pourrait sérieusement lézarder l'entreprise du président réélu. Le divorce entre l'université algérienne et le marché du travail est également un facteur qui joue contre l'initiative du premier magistrat du pays. « Nous avons une université administrée et contrôlée d'une manière permanente sans la moindre autonomie pédagogique. Comment voulez-vous qu'il y ait une adaptation des programmes enseignés aux exigences du marché de l'emploi ? », a-t-il conclu, soulignant que la relance du marché de l'emploi suppose le développement d'une économie productive, loin des standards rentiers.