La conquête de l'oued ou l'exil et le retour vers le pays perdu, est le 6e roman de l'écrivain français, Pierre Fréha (enseignant, journaliste et conseiller littéraire). Cet opus de 553 pages paru aux éditions l'Harmattan (2008) est le vingtième ouvrage d'une bibliographie riche et variée. Comme bon nombre d'Algériens contraints à l'exil juste après l'Indépendance, Pierre Fréha n'a rompu son attachement d'avec « sa terre promise ». C'est à elle qu'il dédie ce roman, considéré comme « un hymne à l'Algérie ». Beaucoup en sont envahis par cette « Algermania »…. Comme si la littérature se réappropriait l'exil. Soit. Pierre Fréha offre volontiers et volontairement sa voix à Pascal Cazès, son narrateur, pour raconter événements et personnages dans cette Algérie « complexe et complexée de 2007 ». Pas que ça ! Aussi, le lecteur est transporté vers ces « univers » lointains pour les uns et si proches pour les autres. L'épopée algérienne passée au crible avec dates et « acteurs » : 1830, 1954, 1962. C'est à la fois une « vision critique » du colonialisme, de l'enfance émouvante et mouvementée (faubourgs algérois, y compris la Casbah s'y déclinent comme autant de preuves d'attachement, des lieux foisonnant de mémoire). Tableau sciemment bariolé. Une pensée pour Francine, Fatima, Karim. Et les autres… Puis survint la terrible nouvelle. Une mort dans l'âme. L'incompréhension à 9 ans. Signe prémonitoire, peu avant le grand départ : Les Malheurs de Sophie, roman qui prédisait ce qui adviendrait : « Je ne veux pas perdre mon château-fort à cause de cette guerre », écrit-il. Mais l'embarquement devait se faire. Il se fit. Un faisceau de souvenirs se mua dès lors en un prisme « chaleureux » et « ensoleillé » pour ce coin de la Méditerranée. Aucune image ne s'altéra, pour Pierre et Fréha et autre Alain Casar pour son El Kseur natal, bien après 45 ans. Le retour. « Ce que mes yeux voyaient n'était pas la ville (Alger) de mon enfance. Mais si, mais si, c'était elle ». Plus loin, c'est un passé « bestial » qui a été revisité à travers son personnage machiavélique : le général Bugeaud. Celui-là même qui terrorisa « la fière Kabylie » (p234), devenu sinistrement « Bichouh », un personnage de conte, « mangeur » d'enfants qui n'étaient pas sages ! La décennie noire, la décennie des « Bichou » aux idéaux moyenâgeux n'est pas occultée. En pleine ère des attentats sanglants, des rapts, des colis piégés. L'horreur à Blida. Une meurtrissure à Dellys. Et ailleurs. Partout la psychose. Dernière destination : la Kabylie. Tizi, la côte maritime : Tigzirt des coiffeurs. Iflissen pimente ce voyage inédit, « à cause de son passé corsaire » (Chapitres 219, 251). Le lauréat du Grand Prix Paul Gilson (1989) de France Culture pour son théâtre radiophonique n'a pas omis de caricaturer la paranoïa qui s'installa autour de l'évangélisation : « ….Qui leur a dit (les policiers) qu'on était en train de lire la Bible sur la plage ? On a été dénoncés. » (p244). Pierre Fréha « est comme la mort, s'agissant de l'Algérie, il prend tout ». Pensée sibylline de Milan Kundera. La conquête de l'oued, n'est malheureusement pas encore disponible en Algérie.