Ne pensez-vous pas que certaines puissances étrangères qui exploitent les richesses des pays de la région font tout pour maintenir ces derniers en situation de faiblesse ? Je ne le crois pas. Dans toutes nos analyses politiques et militaires, aucune information de ce genre ne nous a été présentée. A ma connaissance, il n'y a jamais eu d'Etat impliqué dans ces menaces. Si tel était le cas, c'est que nous avons un déficit en informations. Si d'autres le savent, il faudra qu'ils nous le disent. Il faut que nous le sachions pour prendre les mesures qu'il faut. Mais je ne pense pas que cela soit le cas. Par contre, si nous n'arrivons pas à résoudre nos problèmes nous-mêmes, d'autres viendront le faire à notre place. Je l'ai répété à plusieurs reprises, et ce, depuis le premier enlèvement des touristes allemands. Depuis, combien de prises d'otages y a-t-il eu ? Et nous n'avons, encore une fois, rien fait. Nous sommes là, coincés à attendre qu'un autre enlèvement ait lieu pour commencer à chercher ce qu'il faut faire. Les autres ont leur opinion publique tellement attentive à la vie d'une personne que très souvent ils nous mettent vraiment mal à l'aise parce qu'ils ne prennent même pas en compte notre sécurité. Il n'y a que la vie des otages qui les intéresse. J'avoue que c'est de très bonne guerre. Vous avez aujourd'hui deux affaires sur les bras. Quatre otages détenus par un groupe et deux autres par un autre groupe de terroristes. Que comptez-vous faire concrètement pour les dénouer ? J'avoue que je n'ai rien concrètement. Ce que je fais est d'ordre moral et humanitaire… Les services de renseignement des pays concernés sont à Bamako et leurs gouvernements vous sollicitent et font pression sur vous pour les aider… Personne ne fait pression sur nous. C'est vrai, ils sont là. Ils attendent, ils cherchent des contacts, etc. Ils sont très proches des lieux et je pense qu'il y a plus de poids sur eux que sur nous. Ils ont une manière de voir qui est peut-être différente de la nôtre. Nous aussi nous tenons à la vie des autres. Mais le Mali n'a rien à voir avec tout cela. Ni les ravisseurs, ni les otages, ni l'endroit de l'enlèvement ne sont maliens. C'est vrai, les gens sont venus nous demander de les aider pour tenter de pister les auteurs et j'ai tenu à leur dire que ces derniers ne sont pas seulement au Mali. Vous voulez dire que les otages ne sont pas au Mali ? Je dis que les auteurs sont dans la bande sahélo-sahélienne, pas uniquement au Mali. Eux, ils rendent compte à leurs pays, à leurs gouvernements et à leurs Parlements. Nous les comprenons. Une fois de plus, je dis que le Mali aurait pu adopter une autre position. Mais il a clairement affirmé qu'il ne rentrera jamais dans une quelconque transaction financière. Maintenant que faut-il faire ? Laisser que les autres viennent faire ce qu'il faut faire à notre place et après aller chercher des accusations contre le Mali ? Il faut nous aider et non nous laisser gérer ces affaires en nous disant débrouillez-vous, vous êtes un pays souverain. J'avoue que le problème est beaucoup plus moral. Il y a de très bonnes coopérations avec certains pays. D'autres qui ne nous ont jamais sollicités viennent nous demander notre assistance pour des raisons humanitaires et nous leur exprimons notre disposition à les assister. Par contre, ce que nous ne pouvons pas faire, c'est de prendre l'argent et les remettre aux ravisseurs pour qu'il soit utilisé demain contre nos voisins. Moralement, nous ne pouvons le faire. Vous avez déclaré publiquement que vous suiviez ces affaires personnellement et de très près. Quelles sont les revendications réelles des ravisseurs ? Je ne sais pas exactement ce qu'ils demandent. Ils en ont exprimé certaines sur leur site internet et je n'en sais pas plus que ce qu'il y a sur ce document. Je pense que le problème le plus important n'est pas ce qui a été porté sur internet. Parce que les groupes sont tellement différents et leurs positions sont tellement diffuses. Je ne pourrais pas en dire plus sur cette affaire puisque les enquêtes sont en cours… Pensez-vous que le dénouement risque de prendre beaucoup de temps ? Franchement, je ne sais pas. Ce que je sais, c'est que j'ai hâte que le Mali en soit débarrassé le plus vite possible. Il est quand même désolant de voir que dans cette affaire, tous les pays de la région sont tranquilles, sauf le Mali parce que tout le monde estime que c'est le Mali qui doit trouver une solution. Nous sommes fatigués de jouer ce rôle. Nous ne savons plus quoi faire. Il faut bien que nous parlions entre nous. Nous ne pouvons pas comprendre les hésitations des uns et des autres. Tout compte fait, nous avons besoin aussi d'être entendus. Nous ne reculerons pas devant certaines questions, mais en même temps il est important que tout le monde s'implique dans la lutte contre toutes les menaces qui pèsent sur la région. Le Mali d'aujourd'hui souhaite sortir de cette situation le plus tôt possible. Par contre, il est important de relever qu'il y a eu des enlèvements par procuration. Nous pouvons en parler parce que nous avons arrêté deux ou trois éléments sur les six ou sept ayant fait partie du groupe auteur de l'enlèvement du diplomate onusien au Niger. Ils ont donné des détails sur cette opération… Ce sont des Maliens ou des Nigériens ? Un peu de tout. Ils ne reconnaissent ni frontière ni nationalité. Les prises d'otages sont devenues un fonds de commerce. Il y a le grossiste et le détaillant. Cela nous a permis de comprendre qui sont les auteurs de l'enlèvement et à qui les otages ont été remis. Ces informations nous ont aidés à dégager des pistes de recherche assez importantes qui vont nous aider à traquer le reste du groupe et à les arrêter le plus rapidement possible. Vous confirmez que l'enlèvement du diplomate onusien était une commande des terroristes ? Non, je ne le pense pas. Mais vous venez de dire que les auteurs ont agi avec une procuration… J'ai dit par procuration parce que nous nous sommes rendus compte que ce ne sont pas les salafistes qui sont venus chercher les gens au Niger. Ce sont des intermédiaires que j'appelle par procuration. Peut-être que le mot ne convient pas, mais c'est la réalité. Les auteurs ont-ils remis l'otage aux terroristes parce qu'ils n'avaient pas la logistique pour le garder longtemps ou tout simplement parce qu'il s'agissait d'une prestation de service payante ? Je pense qu'au stade actuel de l'enquête, dont les résultats seront certainement partagés avec les pays concernés, la seule certitude est que les terroristes ne se sont pas déplacés au Niger pour enlever M. Fowler. Il fallait trouver des gens réguliers qui peuvent se promener facilement au Mali et au Niger et un peu partout dans la région. Parce que tout compte fait, il y a mille chemins pour rejoindre le Mali. Maintenant, est-ce qu'il y a eu une commande ou non, je ne sais pas ?, mais il s'agit bel et bien d'une mission bien organisée. Ils ne sont pas tombés sur M. Fowler par hasard. Ils l'ont suivi et pisté et trouvé le moyen de le prendre à des lieux où ils ont décidé de le prendre. Ils n'ont même pas pris ses affaires. Ils n'ont pris que la personne, pratiquement sans rien. C'est pour dire que l'opération a été bien préparée. Ils sont partis dans une zone qui n'est contrôlée ni par le Mali ni par le Niger. C'est une réalité. Ils connaissent et savent choisir les endroits qui les arrangent. Ce n'était pas un hasard. L'opération a été bien planifiée. Ne craignez-vous pas que cette alliance entre les terroristes et les trafiquants en tout genre ne constitue une grave menace sur la stabilité de la région ? Justement, pourquoi la région est-elle ciblée ? Parce que nous sommes tous là à nous regarder et à nous renvoyer mutuellement la responsabilité sans prendre la peine d'agir. La question n'est pas de savoir pourquoi les salafistes sont au Mali, mais plutôt comment ils sont arrivés au Mali ? Il ne peut pas y avoir des choses que le Mali et l'Algérie ne peuvent se dire. Nos deux pays sont liés par des relations ancestrales et historiques. Lorsque j'ai vu le président Bouteflika, il m'a parlé d'un Mali que je ne connaissais pas. Il savait plus de choses sur mon pays que moi-même. Il a travaillé avec mon père lors de la guerre de libération. C'est pour cela que je dis que sur le plan politique, nous avons des relations exceptionnelles. Vous voulez dire que c'est sur le plan opérationnel qu'il y a un problème ? Il y a objectivement quelque chose qui bloque sur le terrain. Pourquoi tout ce temps à ne rien faire ? Pour quelle raison nous n'avons mis aucun dispositif ou système d'alerte qui puisse nous permettre de communiquer entre nous sur des menaces aussi graves ? Le Mali, c'est une superficie de plus d'un million de kilomètres carrés. La frontière entre l'Algérie et le Mali est de 1200 km, et avec la Mauritanie, 900 km. N'était-il pas question de créer ces patrouilles mixtes algéro-maliennes pour assurer le contrôle de la zone ? Je pense que le Mali et l'Algérie sont en voie de voir comment travailler ensemble. Mais j'avoue que nous sommes beaucoup plus au stade théorique que pratique. Il faut que nous descendions un peu sur le terrain, parce que c'est là que le problème se pose réellement. Lorsque vous avez lancé l'idée de l'organisation d'un sommet des chefs d'Etat, vous avez invité quatre pays, alors qu'aujourd'hui vous l'avez élargi à sept. Pourquoi ? Au début, nous avons invité quatre pays, l'Algérie, le Niger, la Libye et le Burkina-Faso. Les événements en Mauritanie ont fait que nous avons estimé qu'il est important d'attendre que la situation se décante dans ce pays, dont la participation au sommet est très importante. Mais rien n'exclut l'élargissement à d'autres pays qui se sentent concernés par la bande sahélo-sahélienne qui est devenue le théâtre de tous les trafics. Regardons ce qui se passe dans le golfe d'Aden. Ce sont les flottes du monde entier qui sont arrimées là-bas et qui n'arrivent pas à trouver une solution. Les actes de piraterie se poursuivent. Alors, que dirions-nous, nous qui sommes issus de cette région, démunis de tous les moyens de lutte contre ces menaces. Je le précise, l'Algérie et le Mali ont beaucoup réfléchi et il faut maintenant trouver un terrain d'entente pour passer aux actions et prendre le problème à bras-le-corps. Nous sommes face à un phénomène qui ne connaît pas de frontières. Lors de la rébellion au Mali et au Niger, les rebelles allaient jusqu'au Tchad pour s'approvisionner en mines antipersonnel. Vous voyez bien que les mines ne venaient ni du Mali ni du Niger. Ce qui prouve que ces gens n'attendent pas de visas pour passer d'une frontière à une autre. Mais je me suis dit qu'au lieu de se demander qui a fait quoi, il valait mieux s'asseoir autour d'une table pour trouver ce qu'il faut faire le plus tôt possible. Ceux qui sont en Europe ne peuvent pas se dire eux aussi qu'ils sont loin et donc épargnés. La preuve, les otages sont tous des Occidentaux. Personne ne peut être à l'abri et nous ne pouvons pas continuer à nous accuser mutuellement. Dans notre région, il faut accepter que chacun de nous ait une part de responsabilité. C'est pour cela que nous soutenons la politique d'ouverture qui nous a permis de résoudre en partie la rébellion touareg. Ne croyez-vous pas que la paix reste compromise si des mesures socio-économiques ne suivent pas l'accord d'Alger sur le terrain ? Quand je parle du nord du Mali, c'est comme si je parlais de l'Algérie. Gao, Thésalit et Kidal sont pour moi la dernière wilaya de votre pays. Ce sont des régions très pauvres. Il n'y a pas de routes, de centres de santé, d'écoles, de puits, de structures de base pour la vie quotidienne. En fait, il n'y a rien. Un jeune de cette région n'a aucune chance de pouvoir se marier ou réussir sa vie, sauf peut-être de voler une voiture ou de rejoindre les contrebandiers. Alors, donnons-leur une chance pour qu'ils ne prennent pas les armes. Je n'ai pas manqué de dire à mes amis algériens de ne pas oublier que cette région est une wilaya de votre pays vu les relations étroites qui lient nos deux populations. Il faut qu'il y ait une vaste coopération dans le domaine du développement, qui reste la seule parade contre toutes les menaces. Les routes que nous ferons, la plâtrerie de Thésalite que nous avons installée pour avoir de l'emploi, le carburant qui va coûter moins cher dans cette zone constituent un ensemble de projets de développement que l'Algérie a promis et c'est là qu'il faut aller très vite, car il s'agit de la seule arme à même de combattre le fléau. Nous pouvons avoir la plus grande armée au monde, mais nous ne pourrons jamais venir à bout de ces menaces sans un développement durable. Regardez toute cette flotte militaire qui est au golfe d'Aden et pourtant elle n'a pas réussi à stopper les pirateries. Cette jeunesse qui n'a rien à faire tout au long de l'année devient corvéable et malléable par tout le monde et tant qu'il y a des désœuvrés bien armés et bien riches, les effectifs des salafistes se multiplieront et la menace devient plus forte. Le message que je veux transmettre lors de ce sommet, est celui-ci : il est temps maintenant de prendre le problème ensemble. C'est facile de continuer à dire qu'ils sont au nord du Mali, et que le Mali répond en affirmant qu'ils sont ailleurs et qu'entre temps, la bande vient commettre une autre prise d'otages. La pauvreté est le terreau de toutes les menaces. C'est pour cela que nous avons appelé ce sommet « Réunion pour la paix et le développement ». J'avoue que nous avons voulu attendre après l'élection présidentielle en Algérie et nous espérons que ce sommet ait lieu le plus tôt possible. Tout est prêt, nous n'attendons que la réponse du président Bouteflika dont la présence à ce sommet est capitale tout autant que celle du président libyen, Mouaâmar Al Gueddafi. Pour gérer ces menaces, il faut que l'Algérie sache qu'elle a une wilaya de plus qui est Kidal. L'histoire de votre pays est liée à cette région. Le Mali a soutenu la révolution algérienne. Des membres de l'ALN étaient hébergés dans la région de Gao et de Tombouctou. Bouteflika avait même le surnom de Abdelkader El Mali. Il est très connu dans ces villes. Je pense que c'est une chance pour nous qu'il soit président parce qu'il connaît très bien nos problèmes et nos préoccupations.