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« On n'a pas à donner de leçon à un peuple qui résiste ! »
Mahmoud Abadha. Député et président du parti Al Wafd
Publié dans El Watan le 07 - 02 - 2009

Quelle lecture faites-vous de la dernière guerre et surtout de la position égyptienne que d'aucuns ont qualifiée de « timorée » ?
Je pense d'abord que la visite de Tzipi Livni a été une erreur parce que tout le monde sait qu'il y avait une action militaire qui se préparait et je crois que le ministère égyptien des Affaires étrangères a péché par optimisme. Je crois aussi que dans l'intention de cette visite il y avait une arrière-pensée israélienne et c'est justement de créer cette impression que cela venait d'Egypte. Cela dit, il faut reconnaître que la situation à Ghaza est particulièrement sensible pour l'Egypte. De Gaulle disait : « La géographie est la seule constante de l'histoire. » C'est un fait. La bande de Ghaza a été sous l'administration égyptienne de 1948 à 1967. La ville de Rafah est divisée en deux, un peu comme Berlin et par conséquent tout ce qui se passe à Ghaza est d'une sensibilité particulière pour l'Egypte.
Le problème palestinien est un problème pour lequel l'Egypte a été engagée même avant 1948 et elle continue de s'y engager pour des raisons historiques et géopolitiques. Du temps de Ramsès II, la frontière nord-est était un peu le passage de toutes les invasions. Mais Ghaza vit une situation particulière. En regardant Ghaza sur la carte, elle ressemble à un tube de dentifrice : si vous appuyez d'un côté, ça sort de l'autre. Ceci étant, je ne pense pas que cette action militaire barbare contre les habitants de Ghaza soit un incident non préparé. Mais cela est une autre histoire.
Comment analysez-vous, a posteriori, le rôle de la diplomatie égyptienne dans ce conflit ?
Ecoutez, j'ai certaines réserves sur la diplomatie égyptienne. Je pense que par moment, la mise en œuvre de cette diplomatie présente quelques faiblesses. Mais je pense aussi qu'il doit y avoir une certaine distance entre le mouvement passionnel du peuple égyptien et l'action politique d'un gouvernement responsable. Evidemment, cette distance ne doit pas être énorme, mais elle doit exister, autrement nous risquons de tomber dans le même panneau qu'en 1967 où il y avait un fort mouvement passionnel qui a conduit à cet embrasement général dont nous payons le prix jusqu'à maintenant. Je pense qu'Israël a besoin actuellement de modifier la scène régionale comme elle l'a fait en 1967, et ce, pour deux raisons : la première est liée au fait d'avoir perdu la bataille démographique à l'intérieur de la Palestine historique. La deuxième est que son appareil militaire, qui a une supériorité écrasante sur tous ses voisins depuis sa création, n'exerce plus cet effet dissuasif à partir du moment où il a maille à partir, non pas avec des armées officielles, mais avec une résistance.
Comment envisagez-vous le contrôle des frontières, particulièrement le terminal de Rafah ?
Je pense que le fait d'imposer un contrôle pour qu'il n'y ait pas d'armes à l'intérieur de Ghaza est nécessaire ; d'une part parce que quelles que soient ces armes qui arrivent à Ghaza, elles ne pourront pas tenir tête à l'appareil militaire israélien. En contrepartie, à partir du moment où on est d'accord pour que ces populations soient des populations civiles non armées et qu'il y a des Etats qui participent et reconnaissent cette nécessité,le pendant naturel est qu'ils garantissent à ces populations civiles de ne pas servir de chair à canon à l'appareil militaire israélien. Aussi, faut-il qu'il y ait une garantie internationale de ces mêmes Etats pour qu'Israël ne recommence pas ses crimes, sinon on ne récoltera que la violence et l'extrémisme.
Que pensez-vous de la résistance telle que la pratiquent le Hamas, le Hezbollah et d'autres factions palestiniennes ?
Mon opinion est que quand un peuple résiste et qu'il sacrifie sa vie pour défendre sa cause nationale, on n'a pas à lui donner de leçon et je ne lui donnerai pas de leçon. Cela dit, dans tout mouvement de libération nationale, il y a des tendances, des tensions, mais il y a aussi une unité nécessaire. Il y a des franges plus extrémistes et d'autres plus politiques. Le succès de la lutte de libération nationale dépend de la possibilité de faire front ensemble. Je suis convaincu que le peuple palestinien, qui a 60 ans de résistance à son actif, parviendra à réorganiser ses forces et recréer un front national unifié. L'Egypte ne peut imposer une ligne d'action et ne le doit pas. Pareillement, elle refuse qu'on lui impose une ligne quelconque.
Nous sommes engagés pour des raisons nationales, historiques, géographiques, dans la tragédie palestinienne depuis toujours, mais en même temps, nous avons notre sécurité nationale qui est supposée être faite dans les institutions constitutionnelles égyptiennes et nous ne devons pas accepter une ligne de conduite qui nous est dictée par les passions du moment.
Comment évaluez-vous l'issue de cette guerre ? Hamas parle de « grande victoire »…
Tant qu'il n'y a pas de bataille définitive, chaque partie crie victoire, cela a toujours été le cas. Ceci étant, il est évident que sur un certain plan, Israël n'a pas réalisé tous ses objectifs. Il convient de noter qu'il ne s'agit pas d'une occupation mais d'une colonisation. L'Allemagne a occupé la France, elle ne l'a pas colonisée, alors que la France a colonisé l'Algérie et Israël colonise la Palestine. Par conséquent, cette différence doit être prise en compte dans la façon de combattre la colonisation. Ce combat s'inscrit dans un laps de temps différent et avec des moyens différents que l'occupation. Il dépend beaucoup plus de la puissance et de l'organisation intérieure que des alliances extérieures.
L'essentiel c'est le front l'intérieur. Pour cette raison, je ne suis pas très disposé à donner des conseils. Les Palestiniens doivent examiner et faire une remise en cause continuelle de leur action, et c'est à eux de voir comment ils doivent s'organiser. Malheureusement, il y a quelque chose de dangereux qui se passe maintenant. C'est cette séparation entre la bande de Ghaza d'une part et la rive occidentale d'autre part, ce qui menace l'idée même d'un Etat palestinien. S'il s'agit d'un projet national, il faut que ce soit clair. S'il s'agit d'autre chose, il faut qu'il y ait une acceptation générale. C'est le dilemme.
N'y a-t-il pas urgence, d'après vous, à réintégrer Hamas dans le processus politique palestinien ?
On n'a jamais dit le contraire. Mais c'est un chemin qui doit être suivi par toutes les parties en même temps parce que chaque fois qu'une des parties en présence cause des difficultés à cette réunification, elle remet à plus tard la marche vers l'Etat palestinien indépendant.
Pensez-vous que l'Egypte a des raisons de craindre pour son leadership dans la région ?
Je vous dirais encore une fois que la géographie est une constante de l'histoire et qu'il ne faut pas confondre l'événementiel avec le structurel. Le rôle de l'Egypte dans cette région et son poids sont une constante. Elle a beau connaître des moments d'éclipse temporaire, ceci reste quelque chose de conjoncturel. Quand on parle de l'Iran, de la Turquie et de l'Egypte, on parle de vieux pays, de vieilles entités, qui ont coexisté dans cette région pendant des millénaires. Il y a des priorités d'intérêt différentes. L'Iran a un objectif, c'est d'être une puissance régionale. Elle a en face d'elle une résistance ethnique et religieuse en quelque sorte. La Turquie aussi, après avoir renoncé à l'empire qui regarde vers l'Europe, a été rappelée à des évidences géographiques et historiques. Je crois qu'elle doit faire la synthèse entre ses tendances européennes et ses tendances moyen-orientales.
Vous avez appelé à la rupture des relations avec Israël au moment où les régimes arabes ont été frileux à le faire. C'est toujours votre position ?
J'ai appelé pendant la guerre du Liban (2006) à suspendre l'application de certaines clauses du traité de paix avec Israël. J'ai appelé aussi cette fois-ci au rappel de notre ambassadeur en Israël. Je pense que le président Moubarak aurait pu le faire. Pour résumer, j'ai appelé à faire trois choses :
-1- Ouvrir une enquête sur les crimes qui ont été commis à Ghaza et œuvrer pour leur qualification juridique devant la justice pénale internationale. -2- Agir pour obtenir une garantie internationale efficace contre l'emploi de cette machine militaire effroyable acharnée sur des civils. -3- Recommencer la reconstruction de Ghaza de façon à ce que cela soit concomitant avec la levée du blocus.


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