Président de l'Observatoire géostratégique de la région sahélo-saharienne, Soumeylou Boubèye Maiga a été patron des services de renseignements maliens de 1993 à 2000, avant d'être nommé ministre de la Défense, poste qu'il a occupé jusqu'à fin 2001, lorsqu'il a été mis fin à ses fonctions. Dans l'entretien qu'il nous a accordé, il lève le voile sur les facteurs qui ont fait que la région sahélienne s'est transformée en no man's land, échappant parfois au contrôle des Etats. La région du Sahel s'est transformée ces dernières années en refuge pour Al Qaïda au Maghreb. Peut-on comprendre pourquoi ? Je pense qu'il serait plus judicieux de dire que le Sahel fait partie intégrante de la zone opérationnelle d'Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), qui en a d'ailleurs fait sa 4e région militaire. Maintenant, dans le cadre de ses options stratégiques et des choix dictés par le terrain, AQMI essaie de tirer le maximum d'avantages du potentiel de chaque espace. Il se trouve que le Sahel est immense, peu peuplé, sous-administré voire pas du tout, avec des territoires qui s'emboîtent les uns dans les autres et des zones transfrontalières très homogènes sur le plan identitaire. Il faut y ajouter que les pays du Sahel ont été historiquement les principaux foyers de recrutement pour la légion islamique, dont le noyau dur demeure le pont avec la tendance djihadiste internationale. Ces facteurs, combinés à d'autres réalités de notre environnement comme la permissivité des institutions étatiques, la précarité des conditions de vie des populations dont les frustrations et les aspirations, quelquefois légitimes, récupérés pour alimenter une conflictualité générale, ont contribué à faire du Sahel une plateforme logistique par excellence avec une forte interconnexion des réseaux mafieux et terroristes. Quels sont les facteurs qui ont fait que cette région échappe au contrôle des gouvernements locaux ? Je pense qu'il y a essentiellement la configuration géophysique très ardue et le faible peuplement qui font que ce sont des zones très peu administrées, difficiles à faire occuper par une administration civile ou militaire en raison de la quasi-impossibilité d'assurer une intendance viable. De nombreux enlèvements de touristes occidentaux se sont terminés par le paiement de rançons importantes ayant servi à l'achat d'armements. Comment interprétez-vous ces actes ? L'allégeance de l'ex-GSPC à Al Qaïda s'est traduite automatiquement par l'adoption des modes opératoires propres à la mouvance terroriste internationale : les attentats suicide dans les pays du Maghreb et les prises d'otage visant particulièrement les intérêts d'occidentaux dans différents pays du Sahel. Outre qu'elles incorporent davantage notre région dans la mouvance terroriste internationale, ces actions visent aussi à procurer à AQMI les ressources nécessaires à son financement. Selon vous, sur quelle base se fait le recrutement par les islamistes dans ces régions ? Est-ce sur une base idéologique ou plutôt en profitant de la situation socioéconomique ? Il est certain que globalement, dans ces zones, il y a une défaillance des structures publiques à satisfaire les besoins fondamentaux des populations qui est très souvent comblée par des ONG qui en profitent souvent pour faire de l'endoctrinement et du recrutement. En dépit des richesses minières de ces régions exploitées par des firmes occidentales, la misère semble maîtresse des lieux. Comment l'expliquez-vous ? On peut déplorer qu'il y a dans beaucoup de nos pays une corrélation négative entre richesses minières et bonne gouvernance et que, malheureusement, la lutte pour le contrôle de ces richesses, encouragée dans certains cas par des multinationales étrangères, devient source de conflit, de drame et de déstabilisation. Certains analystes craignent que la Mauritanie soit utilisée par Al Qaïda,comme quartier général et, à moyen terme, comme le départ d'un khalifat islamique, comme ce qui s'est passé en Afghanistan. Que pensez-vous de cette analyse ? Même si l'on peut craindre une recrudescence de la violence dans le Sahel du fait de l'accroissement des capacités d'AQMI, je ne pense pas qu'une telle évolution soit possible aujourd'hui, sauf proclamation par pure propagande. Que peuvent faire les pays limitrophes pour éviter que la région ne se transforme en un lieu de refuge pour les terroristes et les trafiquants en tout genre ? Je considère qu'il n'y a pas d'alternative en dehors d'une coopération opérationnelle très poussée érigeant l'espace sahélo-saharien en espace commun aux pays limitrophes en matière de défense et de sécurité, mais aussi de développement et de stabilité. Les pays font face à une menace transnationale que seul un dispositif multinational pourrait contenir. Cela suppose que nous allons au-delà des approches classiques pour intégrer, sur la base d'une unité de doctrine, nos capacités en matière de collecte et d'analyse du renseignement, de coordination pour l'instruction et les opérations militaires. Une telle démarche nous permettra, dans une seconde étape, de développer avec nos partenaires américains et européens une relation mieux maîtrisée et plus adaptée. Par ailleurs, il faudra envisager, comme c'est le cas pour d'autres systèmes écologiques, un cadre de développement concerté des régions sahélo-sahariennes mettant en avant une dynamique de rénovation de la gestion publique qui repose sur la participation et la responsabilisation des populations. Le Centre africain d'étude et de recherche sur le terrorisme (Caert) est actif depuis déjà plus de trois ans. Qu'apporte-t-il à la région et est-ce que l'expertise qu'il apporte en matière de lutte contre le terrorisme est suffisante ? Je crois que le Caert est un instrument dont la création était indispensable pour fédérer la réflexion au niveau du continent dans une matière vitale et sur laquelle nos capacités sont très inégales. En trois ans, il a accompli un travail impressionnant et a réussi à vaincre les cloisons qui habituellement font barrière dans ce domaine. Ses efforts méritent d'être soutenus sans condition pour qu'à son tour, il puisse catalyser les synergies au niveau de chaque pays et entre les différents Etats.