Ce qui permet d'espérer Quand on observe objectivement et sans préjugés ce qui se passe actuellement dans le pays, on ne peut ne pas entrevoir des jours meilleurs pour les Algériens. Certaines choses se font, même si elles présentent des insuffisances criardes, constituent autant de pas en avant vers un mieux-être. Nous ne faisons pas ici de l'optimisme béat, comme une victime qui s'ignore de la démagogie officielle, pour laquelle tout «est bien dans le meilleur des mondes bouteflikiens». Nous nous contentons de faire des constats de situations et nous ne pouvons pas ne pas en conclure qu'il existe des améliorations substantielles dans beaucoup de domaines, même si elles restent précaires et gagneraient à être consolidées. Citons-en quelques-unes et disons pourquoi nous pensons que le pays remplit les conditions qui peuvent le mener sur la bonne voie de la croissance, du développement et surtout de la modernité. La première des évolutions, celle sans qui rien de positif ne peut être réalisé, est le retour, certes encore imparfait, à la paix. Celle-ci n'est ni totale ni définitivement acquise; elle reste fragile et subit encore les coups de boutoir de l'obscurantisme religieux et politique. Il est vrai aussi que cette paix relative a été acquise au prix de très fortes concessions politiques et morales (le pardon sans contrepartie pour ceux qui, non seulement ont du sang sur les mains, mais qui ne renient même pas leur passé terroriste). Mais la victoire militaire étant un mythe, seule une solution politique est à même de venir à bout de l'insécurité. Même s'il a un goût amer et un coût exorbitant, on ne peut qu'applaudir au processus politique qui peut mener à la paix. Ce retour à la sécurité a été le point de départ du retour de l'Algérie sur la scène internationale, du nouveau flux, certes encore modeste, d'investissements directs étrangers dans le pays, du lancement de mégaprojets d'investissements très fortement structurants, de la relance économique, même si elle est encore faible, de l'emploi, etc. Ces améliorations ont été reconnues tout dernièrement à Accra par l'Union Africaine, à travers le Processus d'évaluation par les pairs, qui a donné un satisfecit presque total à l'Algérie et qui a surtout reconnu que celle-ci est sur la voie de la bonne gouvernance. C'est le cas aussi de l'OMD (Objectif du Millénaire pour le développement) organisme onusien qui, à mi-parcours du processus, reconnaît qu'à l'instar des ses voisins maghrébins, l'Algérie est en bonne voie d'atteindre les objectifs qui lui ont été fixés aux années 2015 : vaincre la misère, allonger sensiblement l'espérance de vie des Algériens, leur assurer un niveau de vie substantiel, vaincre les maladies endémiques. C'est encore le jugement d'experts de la Banque mondiale qui reconnaissent que, depuis 2000, l'Algérie a enregistré des améliorations nettes et régulières dans les six domaines essentiels pour mesurer la bonne gouvernance : voix citoyenne et responsabilité, stabilité politique et absence de violence, efficacité des pouvoirs publics, qualité de la réglementation, Etat de droit et maîtrise de la corruption. Même si ces constats ne sont, en fait, que des statistiques à l'échelle macroéconomiques de spécialistes que la majorité de la population ne comprend ni ne ressent, ils sont réels et acceptés par tous, y compris par les organismes internationaux reconnus pour la sévérité de leurs jugements, comme le FMI et la Banque mondiale. Il est vrai que la population, elle, ne comptabilise que les fruits concrets de la croissance et du développement, c'est-à-dire l'amélioration immédiate et substantielle de son niveau de vie, ce qui n'est pas encore le cas. Le peuple ne voit pas grand-chose de ces améliorations : ce qu'il voit et qui lui saute aux yeux, c'est le prix des fruits et légumes qui flambent et atteignent des sommets incroyables. Ce qu'il constate, c'est que l'Etat, au nom d'une conception dogmatique de la liberté des prix, n'intervient pas pour lutter contre la spéculation et l'enrichissement illicite d'affameurs, très fortement protégés. Ce qu'il devine, c'est que les prix de beaucoup de produits et services de première nécessité vont nécessairement augmenter et que son pouvoir d'achat continuera de s'effriter, jusqu'à disparaître totalement. Ce qu'il sait aussi, c'est que ceux qui le gouvernent n'ont pas les mêmes problèmes prosaïques de survie : eux sont dans l'aisance et le confort. Ces analyses-là sont justes. Mais il est aussi juste de reconnaître les prémisses d'une évolution positive dans beaucoup de domaines, qui intéressent au premier chef ce même peuple. L'Enjeu de la communication L'impunité des hommes d'autorité et de pouvoir n'est plus de mise (même si c'est encore à des niveaux pas très élevés dans la hiérarchie du pouvoir) : des présidents d'APC, des chefs de daïras, des walis, des responsables des douanes, des commissaires de police, des officiers de gendarmerie, et même des juges sont inquiétés et mis en examen, et parfois en prison, pour des affaires de corruption, d'abus de pouvoir et autres. Des anciens ministres sont inquiétés et poursuivis devant la Cour suprême pour des délits commis au cours de leurs mandats. Il n'y a plus de tabous et c'est un pas en avant important et significatif. Même si beaucoup pensent que ce n'est que de la poudre aux yeux, une manière pour le pouvoir de se redonner, à très bon prix, une virginité et une crédibilité perdues, cela reste une réalité qui a, bien sûr, besoin de durer dans le temps et d'être élargie à de plus hauts niveaux de la hiérarchie du pouvoir. Mais il y a sûrement du vrai dans le scepticisme des analystes, si l'on se réfère au flou artistique qui entoure les grandes affaires, traitées ou non par la justice. Toute la lumière n'a pas été faite sur l'affaire Khalifa Bank au cours du procès de Blida, malgré le show médiatique dans lequel elle a baigné. L'affaire a été plombée au départ par l'arrêt de renvoi, qui a tracé des lignes rouges infranchissables et que la présidente du tribunal n'a pas pu franchir. Une odeur d'agneaux sacrifiés plane sur le procès. Les plus grands bénéficiaires des largesses de Moumène Khalifa n'ont pas été inquiétés, parce que trop proches du premier cercle du pouvoir. Mais cette affaire, dont d'autres volets continuent d'être traités par la justice, a le mérite d'avoir mis à jour un monde interlope fait de ministres, de très hauts fonctionnaires, d'hommes influents de tous acabits, sacrifiant honneur et dignité, qui pour une carte de crédit, qui pour des places d'avion gratuites, qui pour des séjours en thalassothérapie et qui pour un poste pour un des ses proches au sein de la galaxie Khalifa. Le procès a eu, au moins, cet avantage d'avoir mis à jour les mœurs du sérail et démystifier les membres de la nomenklatura. Beaucoup d'autres procès se sont déroulés, ces derniers temps (ou se dérouleront prochainement), qui ont mis ou mettront en scène d'anciens intouchables du régime. Des peines sévères ont été prononcées contre certains d'entre-eux. Quoiqu'on puisse en penser, entre autres sur le côté règlement de comptes de ces procès, on ne peut nier qu'un pas important a été franchi, qui va vers la disparition prochaine de l'impunité des hommes de pouvoir. Cette évolution a même été constatée au sein des corps, jusqu'ici intouchables, de la gendarmerie et de l'armée. Des gendarmes ont été traduits devant le tribunal militaire pour des délits commis dans l'exercice de leurs fonctions à l'encontre de la population. La même chose s'est passée au sein de l'armée. Dommage, toutefois, que ces affaires soient traitées dans la discrétion la plus totale. Leur publicité aurait montré aux sceptiques que les choses évoluent et qu'il n'y a plus d'intouchables, du moins, jusqu'à un certain niveau du pouvoir. Même s'il n'y avait que cela de positif, c'est déjà une réelle lueur d'espoir pour un peuple qui a vécu dans sa chair la «hogra» de ses dirigeants. Dans tous les domaines de la vie sociale, on peut entrevoir ces traces d'évolution vers un mieux-être : l'argent du pétrole, même s'il est à l'origine de la corruption généralisée du système, a permis de grandes avancées. Des dizaines de projets structurants pour l'économie et la société laissent deviner un futur meilleur en matière de : – travaux publics et de transports, autoroutes, voies ferrées, métro, tramways, aéroports, – de ressources hydrauliques : multiplication des barrages et surtout d'unités importantes de dessalement d'eau de mer qui mettent l'Algérie, pour une fois, à l'avant-garde des pays qui devancent et essaient de résoudre les problèmes de rareté de la ressource hydrique, – de production d'énergie : multiplication des centrales de production d'électricité, y compris, pour un futur, certes encore lointain, des centrales nucléaires, -de recherche et de production de pétrole et de gaz: jamais l'Algérie n'a atteint ce niveau de réserves prouvées et exploitables en hydrocarbures, – d'habitat et d'urbanisme : même si l'on ne croit pas trop à la réalité du million de logements pour les années 2009, le fait est que les enveloppes financières nécessaires existent et que le problème de la réalisation du programme du Président ne se heurte qu'au seul vrai problème de l'inexistence d'entreprises de réalisation fiables. Même le recours massif aux entreprises étrangères n'a pas pu régler ce problème, tant la main-d'œuvre qualifiée fait défaut. En matière d'urbanisme, le passif à rattraper est tellement lourd que les quelques avancées qui ont eu lieu sont passées inaperçues : amélioration exceptionnelle de la qualité des nouvelles constructions et des aménagements urbains, utilisation de matériaux de qualité; plus grandes exigences des maîtres d'ouvrages; meilleures qualifications des bureaux d'architecture qui prennent en charge le souci d'esthétique et sortent peu à peu des modèles géométriques et répétitifs du passé. Beaucoup pourtant reste à faire Même si l'on ne peut faire autrement que reconnaître les améliorations conséquentes de ces dernières années, beaucoup de choses, dans des domaines essentiels, restent à faire. A commencer par l'école, sans l'évolution de laquelle, aucun espoir de rattraper le retard accumulé n'est permis. Le chantier de la réforme du système scolaire a été lancé depuis des années. Mais, d'une part, il s'est peu à peu éloigné des conclusions du rapport de la commission Benzaghou, que tous les spécialistes de l'éducation avaient accueilli favorablement et d'autre part, il reste enfermé dans la logique de l'école fondamentale, qui est à l'origine du sinistre du système scolaire. Le pouvoir ne semble pas décidé à prendre le problème à bras -le-corps et refonder totalement le système éducatif algérien. Et pourtant, tout le monde est conscient qu'il s'agit-là, de la mère des réformes, celle qui garantira aux futures générations l'accès à la Science (avec un S majuscule) et à l'Algérie de s'accrocher fermement au train de la modernité. Mais est-ce bien là l'objectif de ceux qui nous dirigent ? Le chantier de la réforme judiciaire semble mieux loti, même si là encore, l'évolution est lente et les améliorations qualitatives apportées, (surtout à travers une meilleure formation et une spécialisation des magistrats), sont encore minimes. Mais la réforme la plus importante, celle qui lui apportera respect et crédibilité de la part de la population, c'est-à-dire l'indépendance de la justice vis-à-vis du pouvoir politique, est toujours à faire. Les dernières affaires importantes traitées par les tribunaux montrent que la justice reste encore aux ordres du pouvoir politique. La réforme des structures administratives prend, elle aussi, beaucoup de retards : on ne sait même pas si elle est sérieusement prise en charge et si la volonté politique de rapprocher l'administration des administrés est toujours à l'ordre du jour. Les structures de l'Etat doivent absolument améliorer leur communication en direction des citoyens incrédules. L'Etat doit abandonner la communication par slogans et langue de bois qui ont l'effet inverse de celui qui est recherché : tout ce qui est dit par cette voie est louche et n'est pas cru. La population croit plus en la rumeur, même quand celle-ci est manifestement fantaisiste, qu'en l'information officielle, tant cette dernière est manipulatrice et souvent mensongère. S'il veut devenir crédible, s'il tient à être écouté par une population devenue méfiante vis-à-vis de lui, l'Etat doit moderniser sa communication, abandonner la voie des communiqués et des discours irresponsables à travers une télévision sclérosée et totalement aux ordres. S'il tient à ce que l'Algérien retrouve sa fierté d'autrefois (quand il se considérait comme le meilleur), il doit prouver à son peuple qu'il travaille fermement, pour que les choses aillent mieux dans tous les domaines, qu'il communique de manière crédible sur tout (y compris ce qui est considéré comme des secrets d'Etat), qu'il dise la vérité en toutes circonstance ; en un mot qu'il devienne un Etat moderne. Et là, l'Algérien redeviendra le patriote qu'il n'a en réalité, jamais cessé d'être.