Le procès de la caisse principale d'El Khalifa Bank est fini, mais tout indique que l'affaire Khalifa, elle, est loin d'être épuisée. Pourquoi ? La réponse en quatre volets. 1 Les prévenus seront-ils lourdement condamnés en dépit des rebondissements du procès ? C'est la volonté clairement affichée par le procureur général, M Abdelli, et derrière lui par la chancellerie. Tout depuis le rejet, fort controversé, par la Cour suprême des pourvois contre les conclusions de la chambre d'accusation montre que le ministère public court derrière une condamnation rapide, sévère et sélective qui permette de lever l'hypothèque que constitue le scandale Khalifa sur le pouvoir politique. Le procès a moralement changé la donne. Pour mesurer la distance parcourue en deux mois, il faut juste se souvenir comment était accueillie la première audition d'Akli Youcef, DG adjoint chargé de la caisse principale, racontant, devant un public fort réprobateur, au second jour du procès, comment il remettait des dizaines de millions de dinars aux émissaires de Rafik Khalifa sans jamais demander de documents de conformité avec la procédure interne de la banque. La plaidoirie tonitruante de Me Khaled Bourayou mardi dernier en faveur du même Akli Youcef, à la suite d'autres « plaidoiries globalisantes » de Me Aït Larbi, Me Brahimi - et d'autres encore - a fini par ramener la responsabilité des exécutants du staff d'El Khalifa Bank à sa plus petite proportion. Comment ? En démontrant la responsabilité infiniment plus nette des protecteurs politiques d'El Khalifa Bank, notamment avec le refus de la sanctionner fin 2001 lorsque la preuve des infractions était apportée à travers le rapport Touati de la Banque d'Algérie. Sur un plan plus technique, les dix jours de plaidoiries de la défense ont permis, de l'avis unanime des observateurs, de démonter totalement le premier des chefs d'inculpation, celui d'association de malfaiteurs. Il faudra sans doute faire sans dans le verdict, ce qui augure un traitement différencié des cas de directeurs d'agence, de directeurs généraux adjoints et d'autres responsables dans la nébuleuse Khalifa. La juge, Mme Fatiha Brahimi, a promis d'être aussi clémente que possible. « Cela dénote bien une insatisfaction du tribunal quant à la qualité des prévenus qu'on lui a présentés pour le volet criminel de l'affaire », estime un avocat dans une tentative de décrypter une déclaration de clôture tout à fait exceptionnelle dans un procès qui ne l'était pas moins. Mais cette clémence promise sera-t-elle extensible à tous les grands décideurs institutionnels qui ont confié leurs trésoreries souvent en cachette de leur conseil d'administration, contre menus avantages plus ou moins établis en audience ? Ils ont tous comparu en prévenus libres et ont déjà en quelque sorte mangé leur capital de clémence. 2 Les autres responsables évoqués dans ou en marge du procès seront-ils réellement poursuivis ? Le sort des staff des caisses sociales, des OPGI et des EPLF sera en vérité l'un des vrais suspens du verdict. C'est la grande question qui agite l'opinion ? Le procureur de la République, encore lui, l'a bien compris en annonçant dès les 20 premières minutes de son réquisitoire que des poursuites vont être ouvertes contre de nouvelles personnes dans les différents volets de l'affaire Khalifa. Deux anciens ministres, Abdelmadjid Tebboune et Abdeslam Bouchouareb, sont concernés par les procédures en cours, sans qu'il soit établi à ce stade s'ils sont mis en examen. Là aussi, il y a des raisons d'être « insatisfait ». Le déroulement du procès a mis en évidence la complaisance de la chambre d'accusation avec plusieurs témoins passés à la barre. « Trois cas au moins sont manifestement visés par l'annonce de M. Abdelli : il s'agit de Abdelmadjid Sidi Saïd, secrétaire général de l'UGTA, qui va être poursuivi pour faux en écriture ; d'un des deux magistrats de la commission bancaire pour prise illégale d'intérêt et d'un policier de la PAF qui a manifestement fermé les yeux sur les agissements de Abdelmoumen Khalifa et ses hommes », affirme un magistrat d'Alger au fait du dossier. Les nouvelles poursuites iront-elles plus loin au sein du personnel politique dirigeant ? Cela dépendra de l'évolution du rapport des forces politiques dans les semaines qui viennent, une fois digéré l'impact du premier verdict Khalifa. L'équipe du liquidateur a continué à déboucler les opérations passées par El Khalifa Bank, pendant que son chef, Moncef Badsi, était à Blida. De nouveaux noms de bénéficiaires des largesses de Khalifa (crédits sans dossier - salaires sans contrepartie) sont apparus, alors même que se tenait l'audience quotidienne. Mais d'ores et déjà, le procès a mis en évidence des responsabilités pénales et politiques. Quatre cas, pour ne rester qu'à l'échelon ministériel, posent problème. Il s'agit bien sûr de Mourad Medelci, le ministre de Finances, responsable de la non-poursuite de la procédure de sanction contre El Khalifa Bank en novembre 2001, « qui a choisi de prendre sur lui, plutôt que de nous dire que le rapport transmis par la Banque d'Algérie est monté plus haut », a déploré Me Bourayou dans un magistral chapitre sur la loi de l'omerta dans le sérail. Il s'agit ensuite de Karim Djoudi, ministre délégué à la Réforme bancaire, qui n'a réussi à convaincre personne qu'il n'a rien vu partir du Trésor public lorsqu'il en était le directeur en 2001-2002. Quant aux deux autres ministres dont l'ombre a pesé sur l'audience, leur identité peut largement fonder un pourvoi en cassation, comme cela sera montré plus bas. « Sur un plan procédural, cela évoluera sur une échelle de temps qui n'est pas celle des procès engagés cette année. La justice britannique cherchera méticuleusement les preuves de la culpabilité de Khalifa avant d'accéder à la demande d'extradition algérienne. Sans parler des garanties qu'elle va exiger sur son traitement », explique un des juristes présents à Blida. Scotland Yard a ouvert une enquête sur les avoirs de Khalifa et recherche la trace d'un enrichissement personnel frauduleux provenant du préjudice causé par la banqueroute de sa banque. Mais les autorités algériennes veulent-elles vraiment l'extradition de Abdelmoumen Khalifa ? 3 Abdelmoumen Khalifa sera-t-il finalement extradé ? L'opinion algérienne n'arrive pas à s'en convaincre. Me Bourayou a eu dans sa plaidoirie cette phrase sentencieuse : « Lorsqu'on ne peut pas arrêter Fawzi Baïchi (prévenu en fuite) à Alger, on ne peut pas prétendre extrader Abdelmoumen Khalifa de Londres ! » Pourtant la tournure du procès, en échouant à faire rentrer les accusés du staff Khalifa dans le costume des grands coupables découpé par l'ordonnance de renvoi, a rendu encore plus « nécessaire » l'extradition de Abdelmoumen Khalifa et sa condamnation. Aux yeux de nombreux observateurs, la plaidoirie d'un avocat proche du président de la République, Me Ksentini, en faveur du clan Chaâchouâ traduit ce sentiment. Elle a été violente contre Khalifa. A partir de Londres, l'ancien golden boy a choisi sa ligne de défense : « Je suis victime d'une machination politique de la part du président Bouteflika. » La mise en liquidation d'El Khalifa Bank aurait été une punition contre l'indépendance affichée par Khalifa à l'égard de Bouteflika et de ses choix politiques. Le procès a au moins montré qu'El Khalifa Bank était devenue, selon le bon mot de Me Meziane, « un grand aspirateur de dépôts publics » à des fins de détournements privatifs. Grâce à qui ? Si on peut admettre que c'est le président Bouteflika qui a mis le hola - comme le déplore Khalifa lui-même - le procès a aussi largement montré que les protections politiques de Khalifa se sont comptées largement dans le camp présidentiel. Le dernier à avoir été cité à ce propos dans une des plaidoiries est Abdelhamid Temmar, ministre des Participations et de la Promotion de l'investissement, qui s'activait avec zèle au milieu de l'année 2002 à organiser la cession de 75% du capital d'Air Algérie au profit de Khalifa Airways. Les observateurs notent qu'aucun nom des grands chefs de l'armée n'a été associé à l'affaire durant les auditions des prévenus et des témoins. Alors, le président de la République a-t-il subi un retour de flamme avec le premier procès Khalifa ? L'extradition de Khalifa en Algérie pourrait donc conduire à un déballage aux dommages imprévisibles. Tout comme, a contrario, elle servirait à démontrer la détermination présidentielle à affronter les faits dans la clarté d'un prétoire. C'est sans doute pour cela qu'elle restera longtemps à l'ordre du jour. 4 Ce premier procès peut-il être frappé de nullité ? Dans un Etat de droit, la réponse ne fait pas de doute. Les avocats de la défense ont déconstruit l'instruction et les conclusions qu'elle a fondées dans l'ordonnance de renvoi. Les qualifications et les traitements discriminatoires pour des mêmes faits sont légion. Ils serait fastidieux de les énoncer ici. Deux cas d'infraction paraissent suffisamment lourds pour changer totalement le cours d'une instruction, d'un jugement et ouvrir une voie royale devant une cassation. Le premier a trait à la tutelle politique des caisses d'assurance. Tout comme dans le cas du ministre des Finances qui n'a pas réagi au rapport de la Banque d'Algérie, le ministre de tutelle des caisses sociales n'a pas bloqué le mouvement de dépôt à El Khalifa Bank. Or le ministre concerné par cette responsabilité a été tout simplement effacé des tablettes ; le professeur Mohamed Larbi Abdelmoumen, qui a occupé le poste de ministre du Travail et des Affaires sociales à partir de mai 2001 et durant toute la période des grands dépôts qui court sur 18 mois, bénéficie d'une exemption abasourdissante dans la procédure. A sa place, l'ordonnance de renvoi nous vaudra l'un des épisodes les plus burlesques du procès avec l'audition, totalement inutile, d'Abou Djerra Soltani qui avait quitté le poste avant tout dépôt d'une des caisses de son secteur à El Khalifa Bank. Les avocats qui défendaient les grands déposants « sociaux » n'ont pas pu éventuellement réduire les responsabilités de leurs mandants, en écoutant leur véritable ministre de tutelle à l'époque des faits. L'autre cas d'infraction qui peut conduire à la nullité est simplement explosif. Le procès de la caisse principale d'El Khalifa Bank a peut-être été instruit par une partie impliquée dans le scandale. Il s'agit bien sûr du ministre de la Justice, garde des Sceaux, Tayeb Belaïz, dont l'intrusion dans la conduite de l'instruction a été traquée en creux dans plusieurs plaidoiries, la plus directe étant une fois de plus celle de Me Bourayou. La chancellerie est suspectée d'avoir retiré l'agence Khalifa de Koléa de la procédure alors que les infractions qui y ont été commises sont – de l'avis d'un expert entre autres – de la même nature que celles pour lesquelles sont poursuivies d'autres directeurs d'agence. « Pourquoi Koléa ? », ont insisté lourdement plusieurs avocats. La réponse, c'est Abdelmoumen Khalifa qui l'a suggérée à partir de Londres dans le journal Le Figaro. Il a affirmé que l'ancien ministre de la Solidarité a bénéficié d'un crédit auprès de cette agence. Le démenti de M Belaïz a été très peu audible. Des avocats se sont avancés sur le montant du crédit dont le problème serait qu'il ne soit pas adossé à des garanties. L'un d'entre eux réserve même les preuves écrites pour son mémoire pour le pourvoi en cassation au cas où « en dépit de sa grande humanité en public, Me Brahimi condamne lourdement mon client ».