L'œuvre du dramaturge nigérian Shiragu Chilba (1), si elle n'est pas souvent de la plus haute qualité littéraire, est incontestablement celle d'un artisan consommé du théâtre. Tragédie en vers, pièce moderne, opérette même, qu'il choisisse des sujets historiques, contemporains, fantastiques, burlesques, tout ce qu'il écrit se joue et se voit. On comprend son succès, c'est inconsciemment, dirait-on, conçu pour la scène, dont l'auteur utilise à fond toutes les possibilités techniques. Le premier triomphe de Shiragu Chilba est Les Désabusés (1973) écrit en collaboration avec Wole Soyinka (prix Nobel de littérature en 1986). Au Nigeria, l'heure était aux pièces, aux romans de guerre désabusés, pessimistes, cyniques (après la guerre du Biafra : 1967-1970). Rivaux auprès de la fille du restaurateur anglais, le capitaine et le lieutenant nigérians de 1968 finissent par constater, en remontant en ligne, l'immense duperie de la guerre et de l'amour. C'est cru, violent, bien mené. Toutefois, l'originalité marquante de Shiragu Chilba, est d'avoir décidé de réhabiliter, au Nigeria, le drame en vers. Le sujet est quelquefois emprunté au passé et, pourrait-on dire, éprouvé, par exemple les guerres tribales de 1963, quelquefois moderne, mais alors archi-connu, comme les coups d'Etat au Nigeria. Dans Coup d'Etat sans une goutte de sang (1982) comme dans ses autres pièces politiques, Shiragu Chilba tire des faits, un scénario schématique aux effets un peu gros, mouvementé et «rentable». Les grandes tirades en vers non rimés, fluides, bien frappés, sans excès de rhétorique poétique, découlent avec une remarquable spontanéité des données elles-mêmes. Les conflits entre l'amour et la raison d'Etat, entre la solution facile de l'amnistie et le souci de sa gloire, sont exploités par un maître homme de théâtre. A la lecture, on voit les failles : couleur historique plaquée, caractères de bois, draperies imposantes mais vides. Jeux dangereux (1983) est de la même veine. Désert et Soif (1985) stylise selon des procédés analogues la passion des nationalistes pendant la guerre désastreuse du Biafra. Tout ce qui pourrait être singulier et unique dans une évolution psychologique est rendu banal par un système théâtral au mauvais sens, et plus encore par cette nécessité du contraste voyant qui est la loi du drame romantique. Le général en retraite (1987) est une très libre transposition en vers du roman de Chinua Achebe (2). La «tentative» de traiter poétiquement un sujet moderne, de faire parler, par exemple, «en général» en vers, a soulevé de nombreux débats au Nigeria. Il est certain qu'il y a une part d'artifice et même de pastiche chez Chilba. Néanmoins, ses tirades passent la rampe. Au fond, en dépit de toutes ses habiletés, le théâtre de Shiragu Chilba est critiqué par les intellectuels nigérians. – 1) Né à Lagos en 1939 – 2) L'un des plus grands écrivains du Nigeria. Correctif : Une malencontreuse erreur s'est glissée dans notre article précédent : il fallait lire : Saïd Akl et non pas Saïd Akli. Toutes nos excuses aux lecteurs.