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Quel droit du travail pour affronter l'internationalisation des échéances ?
Publié dans El Watan le 27 - 11 - 2007

En octobre dernier, s'est tenu à Tunis, sur le même thème, le 2e colloque africain sur le droit du travail et de la sécurité sociale applicable sur le continent. Les échanges scientifiques au cours des deux manifestations internationales ont mis au jour la problématique suivante : le droit du travail et de la sécurité sociale, dont la majeure partie de ses dispositions constitue un ensemble rigide, devient un obstacle au mécanisme de la libéralisation des échanges prônée par l'OMC. Pour y remédier, deux hypothèses sont avancées : la première consiste à concevoir un droit mou appelé également Responsabilité sociale des entreprises (soft law ou bonnes pratiques) et adoptée par une majorité de firmes de renom international, le danger étant que le droit du travail sera noyé dans les affaires commerciales ; la seconde hypothèse contribue à construire un droit du travail et de la sécurité sociale avec un noyau dur (hard law) tendant à la protection des droits des travailleurs, tout en instituant un mécanisme juridique d'adaptation du droit aux nouvelles relations de travail mises en exergue par le phénomène de la mondialisation.
Autour de cette réflexion, les travaux du colloque africain ont mis au jour quatre éléments :
– Présence d'une importante frange de travailleurs dans le secteur informel.
– Les pays d'Afrique, dans leur grande majorité, réaménagent leur législation du travail. Transposition du droit européen (particulièrement le droit français) dans les législations nationales.
– Une place particulière est donnée aux normes internationales du travail mises en place par l'organisation internationale du travail (OIT), notamment celles nécessaires à un travail décent.
– L'idée centrale demeure la protection des travailleurs, quel que soit le contexte de l'exécution de la relation de travail, en secteur formel ou informel, libéral ou mondialisé.
Le contexte algérien est caractérisé, quant à lui, par deux aspects classiquement relevés :
– L'aspect économique où l'ajustement structurel et le travail en secteur informel présentent une nouvelle configuration économique et sociale, mais surtout la présence de plus en plus importante d'une main-d'œuvre étrangère et un taux de chômage encore élevé.
– L'aspect juridique dévoile en premier lieu l'essoufflement des lois de travail de 1990 ; celles-ci s'avèrent inefficaces par rapport au phénomène de la libéralisation. En second lieu, les lois de 1990 régissant les relations de travail de type classique (contrat de travail à durée indéterminée, CDI) dans un système de production hiérarchisée ne sont pas conçues pour admettre d'autre types de relations de travail, ce qui risque d'aller à l'encontre de tout esprit d'amélioration de protection des travailleurs et de favoriser leur exclusion, notamment les catégories les plus vulnérables, à savoir les travailleurs précaires et travailleurs sans qualification. Certains pays d'Afrique, comme l'Afrique du Sud et le Burkina Faso, se préparent à affronter la mondialisation par la mise en place d'une législation qui tient compte des particularités et des spécificités du pays et étudie les moyens de sauvegarder les acquis des travailleurs. En collaboration avec les pays voisins, un système d'harmonisation du droit est en train de se construire où la Responsabilité sociale des entreprises (RSE) n'est pas exclue.
0I/ Les limites des lois sur le travail de 1990 :
La loi 90/11, qui réglemente les relations de travail, aborde la relation individuelle de travail de type salarial dans un cadre juridique où les droits et obligations sont clairement définis. De même, sont définis d'autres types de contrats (contrat de travail à durée déterminée CDD, Contrat à domicile, contrat de préemploi…). Or, avec l'internationalisation des échanges commerciaux, l'évolution du marché a favorisé l'émergence de nouveaux concepts, qui, s'ils ne sont pas encadrés par la loi, vont grossir le secteur des relations de travail «floues». La législation du travail, chez nous, se limite au type classique des relations de travail, sans se préoccuper des formes sous-jacentes.
A/ Relations de travail classiques et relations de travail ambiguës :
Les lois de 1990 appréhendent la relation de travail de manière classique dans un contrat à durée indéterminée où sont préétablis les droits et obligations des travailleurs. La réalité économique et sociale montre que les formes de relations de travail se sont multipliées en prenant parfois des aspects différents de la relation classique. Aussi, appartient-il au législateur de proposer une politique nationale de réglementation de l'emploi pour sécuriser le travailleur dans une ou des relations successives de travail de production ou de service dans un cadre de travail.Dans une étude publiée dans la revue du bureau international de travail, l'auteur classe, en plus de celles classiques, des catégories de relations de travail personnelles comme suit :
«La relation de travail personnelle des professions libérales ; la relation de travail personnelle des entrepreneurs individuels ; la relation de travail marginale ; la relation de travail des travailleurs en marge, occasionnels, temporaires, bénévoles ;… la relation de travail personnelle des arrivants sur le marché du travail.» Par rapport au contexte algérien, nous pouvons ajouter les relations de travail à caractère complexe, notamment la relation de travail dans le cadre informel ; la relation de travail dans un cadre formel mais non déclarée ; la relation de travail dans un cadre informel, mais déclarée ; la relation de travail exécutée dans une situation d'indépendance ; les travailleurs privés d'emploi ; les chômeurs… Les lois de 1990 sont bâties selon le paradigme simple et couramment accepté selon lequel une relation de travail a toujours le caractère d'un contrat bilatéral. Ce qui impose une division binaire entre «salariés» et «indépendants» ou entre «contrat de travail» et «contrat d'entreprise». Or, la réalité est plus complexe et les contrats qui se nouent, mettent de plus en plus en présence des relations triangulaires avec, notamment, la sous-traitance. La législation nationale doit pouvoir cibler des critères suffisamment souples pour décider quand un secteur doit être réputé composé de travailleurs salariés ou de travailleurs indépendants. Plusieurs législations dans le monde donnent des indicateurs juridiques pour décider si des travailleurs «ayant certaines caractéristiques» doivent être réputés travailleurs salariés ou travailleurs indépendants. Il ne suffit pas de créer un nombre impressionnant d'emplois, encore faut-il sécuriser la relation de travail par des principes juridiques clairement établis pour être efficaces. A titre d'exemple, une personne conduisant un taxi en vertu d'un contrat de location d'un véhicule équipé en taxi, est-elle travailleur salarié ou travailleur indépendant ? Le fait que le chauffeur soit tenu par de nombreuses obligations strictes quant à l'usage et l'entretien du véhicule, met celui-ci dans un état de subordination, faisant de lui un travailleur salarié. Le même exemple peut être appliqué pour les travailleurs franchisés qui suivent un horaire et un itinéraire déterminés par l'entreprise commerciale. La même question se pose concernant l'identification de l'employeur.
B/ Le contrat de travail et la détermination de l'employeur :
La relation de travail est depuis 2003 au centre des débats de la Conférence internationale du travail et qui aboutit en 2006 à l'adoption de la recommandation n°198. Celle-ci couvre, entre autres, la détermination de l'existence de la relation de travail et de la responsabilité de l'employeur. Les nouvelles formes d'organisation des entreprises qui commencent à s'installer chez nous, font apparaître des besoins de protection nouveaux dans la mesure où le pouvoir de décision n'émane pas toujours de l'employeur, dès lors que le travailleur sort du schéma classique de la relation binaire pour se trouver dans une relation avec un groupe, ou lorsqu'il est mis à disposition, ou encore lorsqu'il effectue une prestation de service sur le site d'une autre entreprise. Face à ces situations, le rapport du BIT permet de recenser deux techniques au moins pour rechercher la responsabilité de celui dont la décision est de nature à affecter le contrat de travail : la première consiste à mettre ensemble les employeurs d'un même salarié : co-employeurs.
la seconde d'instaurer la responsabilité solidaire des entreprises sur un ensemble d'obligations pesant sur les employeurs. La loi 90/11 définit l'employeur comme «une personne physique ou morale, publique ou privée» (article 2). De même, au sens de cet article, l'employeur est débiteur de la rémunération due au travailleur ayant fourni un travail manuel ou intellectuel. Les critères contenus dans cet article participent à définir plutôt l'employeur économique — partageant le risque avec le travailleur — que l'employeur juridique obligé de fournir les conditions d'emploi, de subordination et de dépendance du travailleur. L'employeur est celui qui contrôle le travailleur, ce qui implique l'intégration de ce dernier dans l'organisation de l'entreprise en termes d'horaire, de lieu, de continuité, de fourniture d'outils… Tous ces éléments contribuent à protéger les droits des travailleurs, mais surtout à prévenir les déguisements de la relation de travail et à éluder les responsabilités de l'employeur.
II/ L'adaptation du droit du travail : l'exemple de la responsabilité sociale des entreprises
Concept nouveau, la Responsabilité sociale des entreprises doit-elle être au centre d'une politique nationale de protection des relations de travail ?
A/ Qu'est ce que la Responsabilité sociale des entreprises (RSE) ?
La Responsabilité sociale des entreprises et les bonnes pratiques sont un concept nouveau que tentent de développer les managers des multinationales dans la gestion de l'entreprise, ainsi que la gestion des ressources humaines.
La responsabilité sociale de l'entreprise est née de l'inaptitude des droits nationaux à réguler les complexités sociales et économiques mises au jour par le phénomène de la mondialisation. Elle a pour acteurs les personnes communément appelées «parties prenantes» que sont les gestionnaires, les travailleurs, les syndicats, les employeurs, les tiers…
La Responsabilité sociale des entreprises est, selon les spécialistes, un concept inhérent au mode de production capitaliste ; elle s'exprime sous forme «de règles de bonne conduite», fondées sur les principes de la morale et de l'éthique. Même si le contenu qui en est donné reste un contenu à dimension variable, les limites semblent être précises : ni les principes fondamentaux du capitalisme ni les relations du pouvoir ne sont remis en cause. Toutefois, la Responsabilité sociale des entreprises participe dans une large proportion de normes internationales et de droit légiféré. Liée au mode capitaliste, elle apparaît comme une démarche volontaire avec la promotion d'un droit conventionnel. Les entreprises s'engagent à réaliser de leur propre initiative des actions qui vont au-delà des exigences réglementaires et conventionnelles en vue de concilier les normes liées au développement social, la protection de l'environnement et le respect des droits fondamentaux afin de contribuer à améliorer la société et de rendre plus propre l'environnement.
La démarche est nouvelle : elle est apparue aux Etats-Unis il y a une vingtaine d'années ; elle est d'actualité en Europe. En Afrique, certains pays se sont déjà engagés dans la réflexion et la pratique — concernant certains aspects — de la Responsabilité sociale des entreprises. Ainsi, l'Afrique du Sud a adopté en 2006 «un code de bonnes pratiques», intitulé : «qui est salarié ?». Chez nous, notre économie est en phase de restructuration en vue d'une modernisation. Parmi les entreprises qui, de leur propre initiative, engagent des actions non prévues par les textes réglementaires ou conventionnels, on retrouve surtout les grandes entreprises publiques et privées, nationales et étrangères.
Ces entreprises pratiquent «la Responsabilité sociale des entreprises» souvent de manière spontanée, parfois de façon accidentelle ou mécanique, sans percevoir clairement l'importance et la portée réelles de cette nouvelle politique économique et sociale. Ces pratiques peuvent concerner l'investissement dans le capital humain, la santé, la sécurité, la gestion du changement…Dans cette optique, l'organisation internationale du travail a adopté, en 1998, la Déclaration relative aux principes et droits fondamentaux du travail et de son suivi.
Plus encore que les autres instruments internationaux, la déclaration de 1998 se concentre sur l'ensemble des droits sociaux et constitue une source d'inspiration des règles à suivre dans les multinationales. Sa valeur contraignante se veut limitée et les procédures de suivi nettement moins exigeantes que les mécanismes traditionnels de contrôle de l'OIT. En raison de la généralité de sa formulation, la déclaration de 1998 s'adresse, en plus des états membres, aux nouveaux acteurs mondiaux qui peuvent la prendre comme référence. Elle peut constituer un instrument juridique de base pour la définition des règles à suivre vis-à-vis des grandes institutions financières internationales, ainsi que pour les chartes sociales adoptées par les instances régionales (union européenne, Alena…).
B/ Stratégie d'une politique nationale de protection des relations de travail :
Les lois de 1990 ont mis en place une vision démocratique et libérale dans l'organisation des relations de travail. Cette législation a montré ses limites puisqu'un secteur important de relations de travail lui échappe. Une nouvelle législation est annoncée pour fin 2007. Serait-ce un code de travail (difficile à concrétiser) ou un code de l'emploi ?
Le choix est déterminant, étant donné que notre économie est encore vulnérable à des degrés divers et subit les contraintes structurelles du libéralisme et de l'internationalisation, et que les effets de l'un et de l'autre sur un développement harmonieux des relations de travail ne sont plus à démontrer. Aussi, appartient-il à la nouvelle législation de tracer les lignes claires de détermination de l'existence de la relation de travail (méthodes, présomption, critères d'identification…) et d'adopter un dispositif spécial pour protéger les personnes les plus vulnérables dans une relation de travail, en particulier les relations de travail dissimulées ou déguisées en secteur informel sans protection sociale. en somme, toutes les relations de travail «floues». Dans cette optique, la recommandation de l'Organisation internationale de travail de 2006, exposée lors du colloque africain, est riche en informations. De ce point de vue, le rôle de l'inspecteur du travail est crucial ainsi que celui du juge pour la détermination et l'existence de la relation de travail.
L'effectivité de la loi dépendra, dans une large mesure, d'une formation appropriée et pertinente, notamment en droit comparé et en droit international du travail. Il en sera de même pour promouvoir le vrai dialogue social et la négociation collective; les lois de 1990 ayant organisé un système de la négociation basée bien plus sur une logique du conflit et de sa résolution, que sur celle de la concertation en temps de paix sociale. Les principes du pluralisme syndical, de l'autonomie des partenaires sociaux de créer et de développer leurs propres normes concernant les relations de travail, constituent une pierre angulaire du droit du travail. Si les lois de 1990, dans leur ensemble, consacrent les fondements du mécanisme démocratique dans les relations de travail, cet objectif ne peut être atteint que si des acteurs, s'appuyant sur une identité forte ouvrant sur une reconnaissance mutuelle, afin que chacun contribue, dans une égale responsabilité, à la construction du compromis social sont mis en présence. D'une manière générale, l'adaptation du droit du travail — en Afrique et dans le monde — si elle devient nécessaire, accentue la responsabilité qui incombe à l'Etat dans les domaines de la sécurité des travailleurs contre les risques professionnels, la santé et la protection au travail avec les conditions d'hygiène, l'exigence d'un salaire décent en contrepartie du travail fourni… L'intérêt de tout nouveau dispositif (chez nous et en Afrique en général) serait de redonner un sens à l'intervention de l'Etat contrôleur de l'application des normes, à un moment où les lois impératives rencontrent des difficultés à être effectives : la présence de l'économie informelle, dont l'ampleur est vivement dénoncée, constitue un réel danger pour l'économie en voie de développement. Il s'agit de se doter alors d'un système juridique qui allie rigueur et précision du texte de loi avec efficacité économique et intégration sociale. Telles sont les conclusions auxquelles sont arrivés les participants à ce colloque africain.


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