La liberté ne s'accommode pas de l'absence de droits, comme le journaliste ne peut prétendre bien exercer son métier lorsqu'il ne jouit pas de ses pleins droits. Si la presse algérienne est victime des barrières et autres blocages imposés par un pouvoir allergique à la liberté de ton, elle n'en est pas moins victime de ses propres conditions de travail en l'absence d'un texte de loi garantissant aux journalistes protection et soutien. Les journalistes qui rendent compte au quotidien des tourments des autres corps de métier ont tendance à oublier leur propre situation. Pourtant, les conditions de travail dans lesquelles ils évoluent ne sont pas des meilleures et sont même en deçà de ce qui doit exister. Sous-payés, non affiliés à la sécurité sociale et privés de prise en charge sociale adéquate, beaucoup de journalistes, à qui il arrive de côtoyer dans l'exercice de leur profession les plus grands de ce monde, exercent leur métier dans l'informel. S'il existe des employeurs qui veillent vigoureusement au respect de la loi en assurant leurs employés journalistes, il en existe d'autres qui ne font pas cas de ces droits. Devant l'absence de contrôle par les services concernés, beaucoup de journaux, notamment ceux de la nouvelle vague, paraissant ces dix dernières années, entretiennent le travail au noir des journalistes. Ces derniers, vulnérables, car sortant à peine de l'université et devant les difficultés de trouver un emploi, acceptent presque malgré eux de travailler sans être déclarés. Leurs employeurs, comptant sur les largesses des pouvoirs publics acquises au prix de soutien politique, ne se sentent point inquiétés et continuent de faire valser leurs employés en les privant de leurs droits les plus élémentaires. « Nous pouvons facilement avancer le taux de 35 à 40% de journalistes non déclarés dans la presse privée. Malheureusement, les journalistes ne dénoncent cette situation qu'une fois licenciés », indique Nadir Benseba, représentant de la Fédération internationale des journalistes (FIJ), à Alger. Notre interlocuteur souligne que des journaux existent puis disparaissent de la scène médiatique, sans avoir déclaré leurs employés. « Il existe des journaux où seul le directeur et une poignée de responsables sont assurés socialement, alors que les journalistes et autres employés n'existent pas sur le fichier de la caisse d'assurance », ajoute M. Benseba, déplorant cette situation dévalorisante pour le journaliste. Une situation, il est vrai, qui rend vulnérable davantage la corporation en ces temps où la lutte pour les droits est un devoir. Nadir Benseba condamne le fait que des journalistes soient privés de soins à l'étranger à cause de l'absence de couverture sociale. « Nous rencontrons des difficultés à obtenir des visas pour des journalistes nécessitant des soins poussés à l'étranger. Des employeurs refusent même de coopérer dans certains cas en déniant fournir les dossiers qu'il faut pour obtenir des visas en urgence pour leurs journalistes », précise notre interlocuteur en notant que beaucoup de journalistes qui se croyaient assurés découvrent qu'ils ne jouissent pas de la couverture sociale, lorsqu'ils quittent leur emploi au niveau d'un journal ou s'ils tombent malades. Outre l'absence de couverture sociale, ils sont aussi victimes de la faiblesse de rémunération. « Il existe malheureusement des journalistes qui sont payés entre 6000 et 8000 DA et acceptent même parfois de ne pas être payés, en nourrissant l'espoir d'avoir garanti un poste d'emploi. Des stagiaires exercent pendant deux mois et ne reçoivent que 2000 DA », indique le représentant de la FIJ. A noter que la durée du stage est laissée à la bonne volonté de l'employeur qui ne fait même pas signer au stagiaire un contrat. « Il y a comme une chape de plomb sur les problèmes socioprofessionnels des journalistes maintenue à la fois par les pouvoirs publics et les employeurs. Une année est passée depuis la diffusion du régime spécifique qui était censé protéger les droits des journalistes et empêcher tous ces abus, mais rien n'a été fait depuis et c'est rester de l'encre sur papier. Il y a une complicité des pouvoirs publics pour maintenir cette situation », nous déclare le représentant de la FIJ. Il faut d'ailleurs s'interroger sur le laxisme dont fait preuve l'inspection du travail pour mettre fin à cette situation qui, pourtant, est connue de tous. Que devient d'ailleurs le fruit de l'ouvrage que l'inspection du travail avait effectuée il y a quelques années sur le travail au noir dans la presse ? La complicité des pouvoirs publics n'est donc plus à démontrer.