C'est de la radio franco-marocaine Medi 1 que Boualem Sensal a déversé un torrent d'injures sur la presse algérienne. S'il est libre dans son jugement, cet écrivain a omis de dire simplement deux choses : l'une, que c'est la presse qui l'a révélé en tant qu'auteur prometteur et l'a défendu lorsque son livre Poste restante a été interdit dans son pays, l'autre que les journalistes ont été aux premières lignes de la société civile durant la décennie rouge pour arracher ce droit à la vie et à l'expression qui lui permet aujourd'hui d'exister et de s'accomplir pleinement. Le tribut payé par les gens des médias est lourd et il faut constamment le rappeler. Il ne s'agit pas de s'en glorifier, car tant de précieuses vies humaines ont été emportées, mais de prendre acte du sacrifice. Pour Boualem Sensal ou pour les autres, ministres ou députés, soudainement convertis en fouettards de la presse pour plaire aux plus puissants, un acte d'honnêteté intellectuelle. L'histoire ne s'accommode pas avec l'amnésie. Si c'est la liberté d'expression qui préoccupe Boualem Sensal, il ne peut ignorer, là aussi, le combat incessant des journalistes : ces derniers ont été abonnés aux tribunaux et aux prisons pour que ne s'éteigne pas la flamme de la liberté d'expression, soumise aux vents multiples d'une censure qui devient moins directe, mais plus insidieuse. Dans cette lutte, se sont largement impliqués des partis, des hommes politiques, des syndicats autonomes, des ligues des droits de l'homme, etc. En réalité, le vrai débat est là : dans la capacité des forces démocratiques algériennes — et elles sont nombreuses — à faire face aux multiples atteintes contre les libertés et dans les possibilités de constitution d'un front démocratique uni et puissant. La presse charrie beaucoup de tares, produit de sa jeunesse et de son implication directe, souvent à son corps défendant, dans le combat politique contre l'intégrisme et pour la démocratie. Tous les corps de métiers sont porteurs d'insuffisances graves, c'est le sort que le sous-développement a réservé à notre pays : il a été de tout temps socialement fracturé, ravagé par le colonialisme et l'intégrisme religieux et dévoré par les appétits politiques. Aider aujourd'hui le pays à se relever, c'est rejeter les fatalités historiques, c'est aussi assister tous les corps de métiers, parmi eux la presse, à s'améliorer et passer au cap du professionnalisme et des standards internationaux. Ce doit être le credo de ceux qui aiment l'Algérie. N'en déplaise à Boualem Sensal, la « nausée de chien » n'est pas dans le contenu de la presse, elle est dans l'ingratitude, la manipulation de l'invective et les calculs d'intérêts.