L'exemple franco-allemand avancé comme modèle de réconciliation ne résiste pas à un examen sérieux. L'occupation allemande s'est limitée à quatre années et l'Allemagne, en sanction, a été occupée, divisée et condamnée à payer des compensations substantielles et ses responsables jugés à Nuremberg. Les commémorations, investigations et collectes d'informations relatives à ces quatre années de clandestinité n'ont pas cessé et se multiplient. Il s'agissait, en outre, de deux Etats riverains, de même ethnie et religion, ayant hérité de conflits de frontières générés par les invasions impériales, se disputant l'hégémonie dans l'Europe fasciste : Hitler n'était pas seul, il y avait l'Espagnol Franco, l'Italien Mussolini, l'Eglise de Pie XII et l'insulaire Royaume-Uni qui attendait de voir dans quel sens tournerait le vent. Reste que le national-socialisme du IIIe Reich n'a rien inventé. La IIIe République n'a eu qu'un pas à franchir pour accoucher des lois de Vichy : elle les a décalquées du statut de l'indigénat et de ses procédés en vigueur en Algérie. Certains historiens nous opposent qu'il n'y a pas de trace d'holocauste sur la population indigène. Qu'ils veuillent bien nous indiquer le seuil de victimes indigènes requis, pour qu'un massacre mérite la qualification de génocide ou que des émeutes méritent la qualification de crime de guerre. Son Excellence Mohamed Cherif Abbas rompt avec les convenances d'apparat. Normal. Pour parler comme Sophocle, en Algérie, au-dessus des normes écrites, se trouvent les normes non écrites. Naturellement, les voix des pseudo-amis de l'Algérie n'ont pas manqué à la polyphonie orchestrée, à la suite de son interview publiée dans El Khabar. Comme si l'Algérie n'a pas pleine souveraineté pour traiter de toutes les questions propres à son histoire, dont la question de la présence juive en Algérie. Est-il utile de rappeler que les aïeux des Algériens ne peuvent être suspectés d'avoir vendu du beurre aux Allemands, sous l'occupation. Ils ne résidaient pas en métropole. Ils ne peuvent, en conséquence, être astreints à la réserve d'usage sur un sujet propre à l'histoire de la France. A l'aube de l'occupation de l'Algérie, les Français recensent une population de trois millions de musulmans et trente mille personnes de confession israélite, ayant fui l'Inquisition d'Espagne et du Portugal. Dix mille d'entre eux vont remettre à Napoléon III, en mai 1865, une pétition demandant à être dissociés des musulmans lors de l'examen de leur statut. C'est l'origine du fameux décret Crémieux du 24 octobre 1870 (3). Ils optent donc délibérément pour l'alignement du côté de l'occupation. A. Crémieux, né en France en 1796, avocat à Nîmes, puis à Paris, est président de l'Alliance israélite universelle de1863 à sa mort. Ministre de la justice en 1870/71, il se fait élire député d'Alger en 1872, vraisemblablement par les voix des électeurs juifs que l'on n'appelait pas encore lobby. Plus tard, des clichés photographiques fixeront pour l'histoire leur participation au sein des milices européennes constituées le 8 Mai 1945, avec tenue rabbinique, signant de cette façon leur arrêt irrévocable de départ, au même titre que les autres occupants. Il est à remarquer que parler de l'existence d'un lobby musulman ou de tout autre lobby en France ne comporte aucun caractère délictueux. Le lobby se dit également groupe de pression ou réseau d'influence dont la vocation clairement affirmée consiste à orienter les décisions du pouvoir exécutif, en fonction d'intérêts particuliers et à élire ou imposer des personnes acquises aux postes-clefs de la Fonction publique. Si d'aucuns trouvent injurieux de mentionner la confession d'un individu et l'usage qu'il en fait à titre personnel ou collectif, les Algériens ont donc été légalement insultés pendant plus d'un siècle, puisqu'ils étaient désignés par leur religion dans tous les actes administratifs, les débats parlementaires et toutes les décisions de justice. Journalistes et universitaires, tous spécialisés bien sûr, devraient, cependant, faire l'effort de corriger leurs approximations : le gouvernement algérien ne compte pas de sous-ministre dans ses rangs ni de ministère des anciens combattants. Cette dernière dénomination étant réservée aux recrues enrôlées sous les drapeaux français. Le ministre des Moudjahidine est gardien institutionnel et moral du patrimoine historique des Algériens. Rappeler leurs revendications, en opportunité, sans équivoque et afin que nul n'en ignore, relève de sa sphère de compétence qui comprend également le Centre national d'études et de recherche sur la Révolution. Ses déclarations viennent, aussi, prouver la liberté d'expression et la rigueur régnant au sein de l'appareil institutionnel : quelles que soient les nécessités, les accords relevant de l'intendance ne peuvent s'étendre hors de leur champ d'application ni induire de limite à l'exigence de vérité. Le droit à la mémoire universel, imprescriptible et inaliénable ne peut être ni inclus dans un cahier des charges contractuel ni assujetti à d'improbables calculs à prétentions géostratégiques. Une berceuse, que les mères fredonnaient en couchant leurs enfants, chantait le vent des Aurès qui raconte l'histoire d'un moudjahid couvert de gloire qui a prêté serment à ses frères, de combattre l'istiâmar jusqu'à l'intissar. Mohamed Cherif Abbas vit le jour dans le berceau de la résistance ancestrale à l'occupation, au sein de l'aristocratie générée par le combat. De notoriété publique, il y a unanimité au sein de ses pairs sur sa personne à ce poste. «Les 22» du 1er Novembre sont nés dans la décennie 1920. Lui, il faisait partie de la première vague, issue de la décennie 1930, qui va se joindre aux aînés. A 18 ans, il intègre la Wilaya I, celle des Aurès-Némemcha/Nord Constantinois, désignée par l'armée française de bouillon de culture de la dissidence. Le légendaire Mostéfa Ben Boulaïd y a laissé la vie. Les lecteurs désireux de s'informer peuvent utilement se reporter aux répertoires des archives de Vincennes qui détaillent l'imposant organigramme des divisions et subdivisions qui quadrillaient cette zone, soit un soldat pour surveiller cinq Constantinois. Selon les médias, il se serait déjà distingué en qualifiant de génocide le 8 Mai 1945. Nous sommes innombrables à partager ses conclusions et mériter cette distinction. Selon les juristes des micros, ses récentes déclarations relèveraient de la correctionnelle. Ils ignorent, peut-être, que la compétence ratione loci du code pénal français se limite à l'Hexagone et que les TPFA n'ont plus cours. Il serait islamiste. Banal. Mais, l'effort d'adaptation linguistique mérite d'être salué : souvenons-nous, la guerre de libération était menée par des fanatiques arabo-musulmans. On ne disait pas encore islamiste. Il convient de signaler que de nombreuses personnalités françaises, dont un Premier ministre, qui ont eu la probité et le courage de dénoncer à voix haute ce que tout le monde sait, ont eu à essuyer les foudres de la propagande médiatique fondée sur l'accusation d'antisémitisme. En comparaison, toutes les actions judiciaires tentées afin d'obtenir condamnation de propos injurieux islamophobes se soldent invariablement par un non-lieu ou une relaxe, au nom du droit à la liberté d'expression. Ce qui devrait réserver le même droit pour tout le monde, sur tous les sujets, sans exception. La place où se serait assis le pénaliste Sarkozy dans un prétoire de TPFA se devine aisément. Sûrement pas aux côtés de la poignée d'avocats, des barreaux de Paris, Lyon, Marseille, lavant leur honneur de juristes français, debout à la barre. Si les générations post-coloniales ne sauraient être tenues pour responsables, serait-ce une raison pour leur soustraire la vérité et occulter les faits commis au nom de leurs ascendants. Alors et surtout que les Etats d'Europe ont édifié leur essor industriel et prospérité actuelle sur l'exploitation des ressources naturelles et humaines, avec bains de sang récurrents, des peuples sous domination. Aujourd'hui, en sa qualité de chef omnipotent, ayant la haute main sur le palais Bourbon, la place Vendôme, l'hôtel des Invalides, la place Beauvau, son seul ordre suffirait à lever les interdits qui frappent les révélations sur des faits révolus depuis cinquante ans. L'accessibilité aux Journaux de Marche et d'Opérations (JMO), par exemple, permettrait de lever l'opacité qui entoure encore les effectifs des pertes, de part et d'autre, y compris les civils algériens. Sa leçon de choses sur le racisme est non avenue : l'extermination des Indiens, l'esclavage des Africains, la traite négrière, l'apartheid, le nazisme, l'atomisation de populations, le colonialisme, le sionisme sont des idéologies de facture proprement européenne. Aucun de ces chefs-d'œuvre ne porte l'estampille de la civilisation islamo-arabe. En l'état, incarnant l'autorité dépositaire de l'héritage de trois Républiques qui coupaient les Algériens en deux, coupables du crime de vouloir libérer leur patrie, il se trouve récusé, ainsi que les membres de sa suite, pour administrer des leçons de morale institutionnelle. Tous les Kärcher de France ne suffiraient pas pour désincruster des façades des édifices publics, les empreintes du sceau de la torture, des exécutions judiciaires et extra-judiciaires, du chargeur vidé dans le dos en légitime défense et des pluies de napalm et de plutonium. Qualifier d'histoire commune, ce qui se réduisait au lien cavalier-monture, perpétué sous la menace permanente de trous dans la peau, c'est injurier la mémoire de ceux qui se sont résolus à offrir leur vie pour y mettre fin. L'ALN n'est pas une armée d'invasion, d'expansion ou d'occupation, mais une armée de libération. Qui ne se souvient de cette photo, reprise dans les magazines du monde entier, montrant les djounoud en prière avant de se rendre au combat, assis en tailleur, la paume droite enserrant leur arme et la paume gauche posée sur le genou. Le ministre, héritier de la légendaire diplomatie de maquisards, rappelle à l'opinion publique que le jeune moudjahid Mohamed Cherif Abbas avait échangé avec ses sœurs et frères de combat le serment d'honorer les chouhada dans l'Algérie libérée. L'Algérie unanime, derrière lui, s'incline à leur mémoire. – Paris, le 27 décembre 2007 Sources : – 3. Association française pour l'Histoire de la Justice n°16 (La documentation française, fév. 2005).