En se rendant à notre hébergement pour prendre possession de nos chambres et déposer notre barda, voilà que par le pur des hasards, nous nous sommes tombés nez à nez avec un officier de police, lui aussi nous a chaleureusement salué, et après nous avoir souhaité la bienvenue à Reggane, il nous a posé quelques questions sur notre présence ici. Finalement, il a souhaité jeter un oeil sur nos passeports, puis il a griffonné sur un papier, nos numéros de passeports et les dates d'entrées au pays et le numéro de visa d'Hervé. Nous sommes partis d'Alger la veille. Nous sommes arrivés à Adrar par un vol de nuit, très tard. J'ai dormi durant tout le vol, jusqu'à ce que l'impact du train d'atterrissage sur le tarmac m'ait tiré de ma torpeur. Il faisait un froid de canard. Nous avions attendu à l'aéroport plus d'une heure avant qu'un taxi daigne monter le bout de son nez pour qu'on puisse se rendre à notre hôtel. La faim, le froid et la fatigue ont fini par avoir raison de la patience d'Hervé. Normal il n'était qu'à son deuxième voyage en Algérie, et l'Algérie et plus particulièrement le Sahara ça se mérite. Pour les apprécier, il faut savoir être zen, et surtout faire la rupture avec le stress des mégalopoles françaises. Nous sommes à deux heures seulement de Paris, et c'est déjà une autre planète. Le Sahara est l'un des plus beaux pays que je connaisse! Oublié la faim, le froid et la fatigue, Hervé s'est réveillé tôt et de bonne humeur. Il m'a précédé pour prendre le petit déjeuner, je l'ai rejoint dans un café situé dans une palmeraie, juste en face de l'hôtel. Avant même que je lui dise bonjour, il m'a lancé, sur un ton quasi théâtral: ce lieu est magnifique, c'est un vrai bonheur, tu ne trouves pas. Moi j'avais surtout hâte de m'envoyer un grand thé à la menthe derrière la cravate. Ensuite nous avions fait un tour dans le centre ville où j'ai acheté quelques paires de chaussettes pour la durée du séjour. Notre destination finale c'est Reggane, deux heures de route depuis Adrar et il fallait faire dare-dare, car si nous tardions trop, on risquera de faire le trajet dans la canicule. Après des négociations rondement menées avec le taxieur comme on dit ici, nous avions pris place à coté du chauffeur, car Hervé ne voulais absolument pas monter derrière, son argument est imparable, derrière, en cas d'accident, m'expliquait-il, la désincarcération est très difficile. A Reggane, nous avions d'abord pris possession de nos chambres, et pendant que Hervé checkait la caméra, j'en ai profitais pour jeter un oeil sur le planning de la semaine et commençais par donner quelques coups de téléphone pour bétonner la suite… La dernière fois que nous avons tourné à Hamoudia, on était constamment escorté par les gendarmes et par l'armée, cette fois à part le policier que nous avons rencontré en arrivant, notre présence ne semblait émouvoir personne, et c'est tant mieux, car c'est ainsi qu'on est à l'aise pour bosser. Nous avons attaqué notre tournage dès le lundi matin. Nous avons commencé par les prises de vue aériennes, ce fut la première fois de ma vie que je survolais le Sahara à bord d'un hélicoptère. Nous avons survolé, à basse altitude, la base vie d'Hamoudia, puis le champ de tir avec ses quatre points zéro. Ensuite, nous avons réalisé plusieurs survols de Reggane ville et ses palmeraies environnantes. J'ai découvert une autre ville, je ne soupçonnais pas Réggane aussi vert! Quand je pense au discours de Jules Moch le 5 novembre 1959 devant l'assemblée générale des nations unis, présentant Reggane comme futur Centre d'Expérimentations Atomiques, parce que, disait-il alors, c'est un lieu où il n'y a aucune vie animale et végétale… Ce monsieur a perdu une belle occasion de se taire, parce que dans cette vallée du Touat, l'eau coule à flot et les palmeraies et les jardins sont d'un beau vert très vif. On y cultive les palmiers, mais aussi des tomates, des poivrons, des céréales, des patates et toutes sortes de choses, et ce, grâce au système ancestral et ingénieux des fougarates, qui permettent une vie végétale riche et abondante. Je connaissais déjà Hamoudia et son champ de tir, on s'y était rendu par route, avec Hervé Portanguen et Bruno Barrillot lors de notre premier voyage, c'était en novembre 2007. Mais l'observation depuis le ciel change tout, elle donne l'impression de découvrir un autre endroit. La vision verticale tranche avec la vue à l'horizontale, elle induit une perception inédite de l'espace. Jamais l'expression prendre de la hauteur ne m'a semblé aussi juste. Je me suis rendu compte combien cette parcelle de désert était immense, et combien le désastre était grand! Partout des taches noires souillent le sable ocre et pur. D'ici j'avais une vision universelle du drame. Le fait d'avoir bénéficié d'un double point de vue, terrestre et céleste, renforce la lecture du désastre et donne de l'éloquence au regard. Pendant ce survol, j'ai pensé à l'expression du copilote du B52 américain qui a largué la bombe sur Hiroshima. De son cockpit, en regardant l'apocalypse provoqué part la première bombe atomique de l'histoire, il s'est écrié: mon dieu qu'avons-nous fait…Aujourd'hui aussi, on peut s'interroger : mais qu'a-t-elle donc fait aux hommes cette parcelle de Sahara, ce bout de terre nu, pour qu'on lui a inoculé ce poisson, la rendant ainsi malade pour l'éternité, la transformant en lieu malsain? Et pour cause, lors de notre première visite, nous étions accompagnés par l'expert Bruno Barrillot, il avait avec lui un petit compteur Geiger de la CRIIRAD, à peine posé sur le sable vitrifié, l'appareil se mettait à cracher le maximum, il est complètement saturé, l'endroit est contaminé pour plusieurs milliers d'années, me dira l'expert! – 06 79 30 56 96 – [email protected]