En effet, au système juridictionnel unifié que la loi du 18 juin 1963 relative à la Cour suprême a initié et que l'ordonnance du 16 novembre 1965 portant organisation judiciaire avait consacré, la Constitution de 1996, puis les deux lois du 30 mai 1998 sur le Conseil d'Etat et les tribunaux administratifs, ont substitué un système formé de deux ordres juridictionnels séparés et autonomes l'un par rapport à l'autre. Aussi, convient-il, pour une meilleure compréhension et une juste évaluation des changements intervenus, de commencer par rappeler, de façon résumée, les caractéristiques de l'ancien systme. De 1963 à 1998, le contentieux administratif — dans ses volets recours en annulation et recours de pleine juridiction — relevait de la chambre administrative de la Cour suprême ou des chambres administratives des cours, suivant les règles de compétence et de procédure fixées par le code de procédure civile. Il n' y avait donc pas de juridictions administratives stricto sensu, mais des formations spécialisées en droit administratifs et internes à ces cours, exactement comme l'étaient les chambres civiles, commerciales, sociales et pénales de ces mêmes cours. La Cour suprême (chambre administrative) avait, pour l'essentiel, des attributions de trois sortes ; elle connaissait, en effet – en premier et dernier ressorts, des recours en annulation ou pour excès de pouvoir, – en appel, des pouvoirs interjetés contre les arrêts des cours (ch.admin.), – en cassation, des pouvoirs formés contre les décisions rendues par certaines institutions auxquelles la loi a conféré des attributions juridictionnelles. Cette chambre présentait, par rapport aux autres, deux particularités. En effet, elle réunissait en elle-même les trois instances de la procédure, puisqu'elle était tribunal, cour d'appel et cour de cassation, selon les affaires dont elle était saisie. En conséquence, elle appliquait trois types de procédures correspondant à chacune de ces instances. Son autre particularité est qu'elle n'était pas uniquement juge du droit mais aussi juge des faits, en matière de recours pour excès de pouvoir et lorsqu'elle statuait comme juridiction d'appel. On en conviendra bien volontiers, la chambre administrative de la Cour suprême occupait, au sein de celle-ci, une place vraiment singulière. S'agissant des chambres administratives des cours, il est important de rappeler en tout premier lieu qu'elles n'étaient compétentes entre 1965 et 1990, qu'en matière de plein contentieux (contentieux des contrats, des marchés, contentieux fiscal, expropriation…) ; les recours en annulation ou pour excès de pouvoir leur échappaient totalement. Il importe en second lieu d'indiquer que pendant longtemps, seules les trois cours d'Alger, d'Oran et de Constantine étaient pourvues de chambres administratives. Le nombre des cours a rapidement augmenté passant, en une trentaine d'années, de quinze à quarante-huit ; celui des chambres administratives, a suivi tant bien que mal, il est actuellement de trente-six et correspond à celui des cours réellement opérationnelles.Une loi du 18 août 1990 a introduit un très important changement aux règles «de compétence d'attribution» des chambres administratives. L'article 7 du code de procédure civile qu'elle a modifié a, en effet, élargi ses attributions aux recours pour excès de pouvoir dirigés contre les décisions et actes administratifs des walis d'une part, des présidents des assemblé populaires communales et des directeurs des établissements publics à caractère administratif d'autre part. Ce faisant, cette loi a fait des chambres administratives des cours, «les juges de droit commun en matière administrative». Le décret du 22 décembre 1990, pris en application de la même loi, a introduit une distinction entre les décisions des walis qui ne peuvent être attaquées que devant certaines cours – celles d'Alger, de Constantine, d'Oran, de Béchar et de Ouargla- et celles des présidents des APC et des responsables des EPA que l'on peut attaquer devant toutes les cours. On a de cette façon implicitement instauré une sorte de classement des cours, fondé sur un paramètre lié à la qualité de la personne dont l'acte est contesté. Quant à la chambre administrative de la Cour suprême, elle demeurait seule compétente, pour connaître des pourvois formés contre «les décisions émanant des autorités administratives centrales», entendre par là : les décrets et les arrêtés ministériels. Telle était l'organisation de la justice administrative de 1965 à 1996. Le Conseil d'Etat Depuis la Constitution de 1996, il existe à côté de «l'ordre judiciaire», composé de la Cour suprême, des cours et des tribunaux, un nouvel ordre juridictionnel dit «ordre administratif», formé par le Conseil d'Etat qui est rapidement entré en fonction et par les tribunaux administratifs dont le nombre a été arrêté à trente-et-un et qui restent à installer. Alors la question qui se pose est : quel est le changement de fond intervenu ? Quel est le «plus» induit par cette réforme ? Le Conseil d'Etat qui est désormais la plus haute juridiction de l'ordre administratif, se distingue et diffère de la chambre administrative de la Cour suprême sur de nombreux points, et fondamentalement par ses attributions et sa composition. Le Conseil d'Etat est non seulement une juridiction qui tranche des litiges et rend des arrêts qui sont exécutoires, comme tout autre décision de justice. Il est aussi un un organe consultatif qui donne son avis sur les projets de loi que le gouvernement soumet à son appréciation. Cette dualité des attributions a tout logiquement des conséquences sur son organisation et son fonctionnement. II présente une autre particularité qui fait peut-être toute sa différence avec la Cour suprême. Il se compose, en effet, de deux catégories de personnels : les magistrats régis par le statut de la magistrature et de hauts fonctionnaires relevant de la fonction publique. Les magistrats siègent aussi bien dans les formations juridictionnelles que consultatives ; ils sont affectés au siège comme au parquet. Les autres membres du Conseil d'Etat ne peuvent siéger que dans les formations consultatives, en tant qu'assesseurs; les conseillers d'Etat en mission extraordinaire ont voix délibérative ; les hauts cadres des administrations centrales qui y représentent leur département ministériel, ont voix consultative. II existe deux types de formations consultatives : l'assemblée générale et la commission permanente. Cette dernière a une composition plus légère que la première ; elle se réunit à la demande du chef du gouvernement, pour les textes à examiner d'urgence. On notera que les membres du gouvernement ont le droit d'assister aux séances de ces deux formations ; ils peuvent aussi s'y faire représenter par un cadre de leur ministère. Le projet de texte est soumis à l'assemblée ou à la commission, selon les cas, accompagné du rapport des conseillers qui l'ont instruit, des conclusions du commissaire d'Etat et du point de vue du représentant du ministère concerné. Les avis du Conseil d'Etat sont adressés au chef du gouvernement ; ils ne sont pas rendus publics ; mais étant simplement consultatifs, il convient d'en déduire qu'ils ne lient ni le gouvernement ni le Parlement. Il importe de remarquer que ni les projets d'ordonnances, ni les propositions de loi, ni enfin les projets de décrets n'ont à être soumis au Conseil d'Etat pour avis ; la loi organique du 30 mai 1998 ne vise, en effet, que les «projets de lois». On ignore — juridiquement parlant — pourquoi on a décidé de ne pas soumettre à l'avis du Conseil d'Etat les types de textes que je viens d'indiquer ; ceci est d'autant plus surprenant que l'avis de cette haute juridiction n'est, en tout état de cause, que simplement consultatif. En tant que juridiction, le Conseil d'Etat connaît : – en premier et dernier ressorts des recours pour excès de pouvoir contre les décisions réglementaires ou individuelles des autorités centrales, des institutions publiques nationales et des organismes professionnels nationaux ; – en appel des jugements des tribunaux administratifs ; – en cassation des pourvois contre les arrêts de la Cour des comptes et des jugements rendus en dernier ressort par les tribunaux administratifs. A cette fin, il est organisé en chambres, elles-mêmes subdivisées en sections. Curieusement, le législateur n'a déterminé ni le nombre des chambres ni leur intitulé ; ce qu'il n'avait pas cependant omis de faire, s'agissant de la Cour suprême. Leur nombre, et sans doute aussi «les champs d'activité» desdites chambres, est arrêté, selon une lecture faite de l'article 25 de la loi organique du 30 mai 1998, par le bureau du Conseil d'Etat, dont la composition es fixée par l'article 24 de cette même loi. Les chambres et les sections ne peuvent siéger qu'avec, au moins, trois magistrats, dont le magistrat qui les préside. Les «chambres réunies» sont une formation plus vaste et, sans doute solennelle, qui regroupe, sous la présidence du président du Conseil d'Etat, le vice-président, les présidents de chambres et les doyens des présidents de sections, en présence du commissaire d'Etat, elles se réunissent à l'initiative du président du Conseil d'Etat pour statuer dans les affaires, posant quelques questions de principe ou quand on estime qu'il y a lieu de procéder à un revirement de jurisprudence. Le Conseil d'Etat dispose de départements administratifs et techniques placés sous l'autorité d'un secrétaire général ; il a un budget qu'il gère lui-même ; il élabore son règlement intérieur; sachant par ailleurs que c'est le bureau de cette juridiction qui arrête le nombre de ses chambres et des sections, on peut en conclure que le Conseil d'Etat est doté, en tant qu'entité administrative, d'une large autonomie financière et de gestion. Enfin, il édite une revue de législation et de jurisprudence administrative, enrichie de commentaires et études doctrinales. Il ne resterait plus, semble-t-il, qu'à donner un cadre réglementaire au très nouveau et moderne service de l'informatique et de la statistique de cette haute juridiction qui pourrait en outre assurer l'approvisionnement en informations d'un site web du Conseil d'Etat, complément utile de la revue. Les tribunaux administratifs, institués par une loi du 30 mai 1998, constituent des juridictions à part entière ; ils ont leurs règles d'organisation, de fonctionnement, leurs structures et disposent de leurs propres personnels de magistrats et greffiers. Ils se substituent aux chambres administratives des cours, lesquelles avaient remplacé en 1966 les anciens tribunaux administratifs de l'époque antérieure à l'indépendance. Pour autant, il serait faux, semble-t-il, d'affirmer que la loi sus-visée n'a fait que restaurer ces anciens tribunaux et qu'au lieu d'innover et d'avancer, on aurait fait marche arrière. Or, il existe entre les nouveaux tribunaux administratifs et les anciens des différences notables. On en voit, de prime abord, au moins trois : la première est que les nouveaux tribunaux sont composés de magistrats régis par le statut de la magistrature, la deuxième est que ce sont des juridictions sans la moindre attribution consultative et la troisième est qu'ils ne relèvent pas du ministère de l'Intérieur mais, comme les juridictions de l'ordre judiciaire, du ministère de la Justice. Aucun tribunal administratif Ces tribunaux sont «juridictions de droit commun en matière administrative» (art.1 de la loi n°95-02), ils sont donc compétents pour tous les litiges qui entrent dans la catégorie du contentieux administratif, à l'exception de ceux que la loi attribue à une autre juridiction. Ils sont à forme collégiale, ce qui les différencie des tribunaux de l'ordre judiciaire ; ils ne siègent et ne délibèrent valablement qu'avec, au moins, trois magistrats dont le président. Le ministère public est représenté auprès de chaque tribunal par un commissaire d'Etat, assisté d'adjoints. Ces tribunaux sont organisés en chambres qui peuvent être subdiviséss en sections ; le nombre de ces deux types de formations est fixé, pour chaque tribunal, par voie réglementaire, c'est-à-dire, semble-t-il, par arrêté du ministre de la Justice. Les tribunaux disposent chacun d'un greffe. La loi précise que le nombre, le ressort et, bien que cela n'est pas expressément dit, le siège sont fixés par voie réglementaire. Le décret exécutif du 14 novembre 1998 a arrêté le nombre de tribunaux à 31 — soit 5 en moins par rapport aux chambres administratives auxquelles ils succéderont — et fixé leurs sièges ainsi que leurs ressorts. Il est bien spécifié que ces nouvelles juridictions statuent suivant les règles du code de procédure civile — désormais remplacé par un «code de procédure civile et administrative — et que leurs décisions sont susceptibles d'appel, sauf si la loi en dispose autrement ; l'appel est porté devant le Conseil d'Etat. Les principaux points de la loi ayant été ainsi résumés, il faut bien admettre que cette loi présente de sérieuses insuffisances, tant dans la forme que dans le fond. Elle est, en effet, d'une brièveté franchement surprenante par rapport à son objet. Elle ne comporte que neuf articles, dont deux sont intitulés «dispositions transitoires et finales». Sur les sept restants, trois renvoient à des textes réglementaires. C'est vraiment très succinct, en comparaison avec la loi du même jour, relative au Conseil d'Etat. Or, ces juridictions sont nouvelles dans le paysage judiciaire ; elles sont investies de la difficile mission de juger l'administration, d'annuler ses décisions et de prononcer contre elle des condamnations pécuniaires ; ce ne sont pas des juridictions «latérales». Elles méritaient un texte de loi plus structuré et mieux étoffé. Notons, par ailleurs, que la loi organique du 17 juillet 2005 ; relative à l'organisation judiciaire, ne mentionne les tribunaux administratifs que dans un seul article et de manière allusive, alors qu'elle consacre un chapitre formé de deux sections et comptant huit articles, aux tribunaux de l'ordre judiciaire. Ce traitement, inégal vis-à-vis des tribunaux administratifs par rapport aux tribunaux ordinaires, est «de jure», difficile sinon à justifier du moins à admettre. On note à cet égard l'absence au niveau des visas de toute référence à l'ordonnance du 19 mars 1997, portant découpage judiciaire et au décret du 22 décembre 1997 fixant la compétence territoriale des cours. Or, s'il est vrai qu'il y a deux «ordres juridictionnels», il est non mois vrai que «l'organisation judiciaire» est «une». En toute logique, il ne devrait pas y avoir «deux cartes», l'une pour les «juridictions judiciaires», l'autre pour les « juridictions administratives» — comme c'est le cas en France — mais «une carte» intégrant de manière harmonieuse et équilibrée la répartition territoriale de toutes les juridictions du pays. Ceci est d'autant plus évident que toutes ces juridictions relèvent, du point de vue de leur rattachement ou «tutelle» administrative et financière, du même département ministériel, contrairement à ce qui se fait dans d'autres pays, telles que la France. On remarque aussi que cette loi ne contient, par comparaison à la loi relative au Conseil d'Etat, que peu d'indications sur la composition, l'organisation et le fonctionnement de ces tribunaux. Il eut fallu régler dans la loi la question très sensible de savoir de quelle autorité du tribunal dépend le greffe, prévoir un secrétariat pour le commissariat d'Etat — ou ministère public —, un service «archives et documentation» ainsi qu'un «service information et statistiques» puis renvoyer, pour ce qui est de leur organisation, composition et fonctionnement, à des textes réglementaires.Il était important aussi de régler au niveau de cette loi la question également très sensible — de la répartition des dossiers entre les chambres et à l'intérieur de celles-ci, entre les sections, indiquer qui préside les audiences solennelles et les assemblées générales, et qui procède à l'affectation des présidents de chambres et de sections. On ne l'a pas fait : ce n'est pas par omission, mais parce qu'on a cru que ces questions étaient réglées par d'autres textes ; or, les textes, auxquels on a pu penser, ne concernent que les juridictions judiciaires ; ils ne sont pas forcément transposables en l'état aux nouveaux tribunaux administratifs. Tels sont pour l'essentiel les changements intervenus dans la justice administrative depuis la réforme judiciaire de 1965-1966. Mais il semblerait que l'évolution va se poursuivre ; on envisagerait, dit-on, d'instituer des cours d'appel, ce qui statistiquement parlant est totalement injustifié ; mais cela est une autre histoire. Ce qui néanmoins surprend le plus c'est que, près de dix ans après leur institution par la loi, aucun tribunal administratif n'a encore vu le jour. Les chambres administratives des cours continuent à combler ce vide… L'auteur est ancien président de la chambre administrative de la Cour suprême