A l'heure de l'économie de marché et de la mondialisation, quelle valeur ont-ils ces diplômes de licence, maîtrise, magister ou LMD ? Ce qui est certain, c'est que les filières arabisées, et notamment l'histoire, révèlent des déficits multiples et quasi incurables. Outre la question de méthodologie évoquée, qui se trouve marquée au coin de la confusion, de l'amateurisme et de l'approximation, s'ajoutent le fait linguistique et l'esprit critique, absents ou faiblement maîtrisés par les étudiants. Nous avons des exemples qui montrent, jusqu'à preuve du contraire, le mauvais usage de l'arabe par les étudiants «arabisés», dont la plupart ne commettent pas seulement des fautes nombreuses de grammaire, mais incapables aussi dans leur écrasante majorité de construire de manière structurée et cohérente un texte historique ou produire un commentaire lisible d'un ouvrage de sociologie. S'ils ne recourent pas tout bonnement au plagiat, leurs écrits «personnels» n'en sont pas moins émaillés de fautes linguistiques, structurelles ou logiques. Par exemple, mes étudiants de quatrième année d'histoire, au nombre de deux cents quarante-trois (243), auxquels je donne des cours de «terminologie» en français, n'appréhendent pas seulement les concepts et les notions en français appliqués à l'histoire, mais ils n'ont aucune idée non plus des concepts et des notions correspondants en langue arabe. Ainsi, les concepts inventés par Ibn Khaldoun, et qui demeurent d'une vivante actualité, tels que l'esprit de corps, l'esprit de clan, l'esprit critique, sont totalement étrangers à leur entendement. Ils ne comprennent pas l'usage opératoire de ces concepts dans leur version arabe. L'esprit d'examen leur faisant totalement défaut, la plupart d'entre eux se représentent l'apprentissage de l'histoire comme une simple accumulation des faits bruts, des dates et des événements marquants qu'il suffit de mémoriser tels qu'ils se donnent à lire dans les ouvrages sans les passer au crible critique. Quant au français dont ils apprennent «la terminologie», ils sont trop faibles pour ne pas dire dramatiquement «handicapés». Ceux-là, en effet, parviennent péniblement à construire une phrase correcte. Elle est toujours truffée de fautes d'orthographe et de sens qui la rendent illisible. Et pourtant, ils sont censés apprendre «la terminologie» dans cette langue. Mais qu'est-ce que la terminologie ? Le Petit Larousse la définit comme suit : a) «Ensemble des termes particuliers à une science, à un art, à un domaine, à un auteur» ; -b) «Etude des dénominations des concepts et des objets utilisés dans tel ou tel domaine du savoir.» Or, la manière dont «la terminologie» est enseignée et comprise à l'université ressort plus de la traduction pure et simple des mots et des concepts que de la terminologie entendue au sens d'une définition rigoureuse. Traduire littéralement des notions et des concepts, c'est trahir leur sens véritable et la fonction opératoire qui leur est dévolue. Dire que le mot concept signifie en arabe «mafhum», que les notions, telles que esprit de corps, esprit critique, méthode, etc., signifient respectivement «asabiyya, dihn annaqdhi, manhadjiya ou essloub, etc., c'est se limiter aux seuls signifiants et non aux signifiés, pour reprendre le langage de Saussure. Le signifiant renvoie à une forme concrète (image acoustique ou symbole graphique…), tandis que le signifiant se rapporte au contenu sémantique du signe linguistique ou concept. Or, c'est ce dernier aspect qui est non seulement négligé dans l'enseignement de la terminologie à l'université, mais totalement ignoré. Traduire le mot concept par mafhum, sans expliquer le sens et la fonction dudit mafhum, c'est se cantonner dans le symbole graphique en laissant de côté la richesse du signifiant. D'où vient donc cette incompétence insouciante, presque consensuelle et quasi-généralisée ? Enseignants et Apprenants Il y a bien une cause derrière cet état de chose déplorable. A qui en imputer la responsabilité ? En posant ainsi la question, le but n'étant pas de chercher des boucs émissaires pour les désigner à la vindicte publique ou les clouer au pilori. L'objectif étant de savoir comment on en est arrivé à ce point où notre université fait figure de parent pauvre, comparée à ses homologues maghrébines, pour ne pas citer celles de l'Occident. Ce qui est certain, c'est que la responsabilité de la faiblesse qualitative de notre enseignement est imputable à un collectif qui s'appelle lui-même système éducatif. Celui-ci engage la responsabilité d'un ensemble d'hommes et de femmes pris dans un vaste réseau et d'institutions chargés d'assumer comme elles le peuvent leurs missions. L'échec ou le succès de l'accomplissement de ces missions ne ressort donc pas d'une responsabilité unique, mais collective. Or, si notre système éducatif faillit à ses missions, c'est qu'il y a un problème qui proviendrait d'une absence de vision claire, d'options stratégiques et de cohérence fondées sur des postulats erronés ou inadaptés aux circonstances changeantes de l'environnement politique, social et économique. Qui dit responsabilité collective dit responsabilité de chacun de ses membres quant à la conception de l'enseignement, de son contenu, de ses méthodes et aussi de leur mise en application concrète. Prenons l'exemple de l'enseignant de l'université. Il est à la fois le produit de ce système éducatif et l'un des instruments de son exécution. Et l'étudiant ? Il en est également la résultante. Quel regard porte l'enseignant sur son étudiant, et vice versa ? Leurs regards croisés sont lourds de malentendus. L'enseignant reproche à l'étudiant d'être d'un niveau trop faible pour faire des études et ce dernier lui rétorque que la cause lui en incombe. Ces accusations mutuelles, implicites et explicites, en disent assez long, en effet, sur l'état d'esprit qui préside à l'enseignement et gouverne les rapports enseignants-étudiants. Dès lors, l'on se pose la question de savoir : qui a raison et qui a tort ? Paradoxalement, ils ont tous deux raison et tous deux tort. Ce paradoxe tient au fait qu'aussi bien l'enseignant que l'étudiant sont le produit logique d'un système qui les a nourris au même lait, celui de l'éducation nationale qui va de la maternelle à l'université. Quand l'enseignant reproche à l'étudiant ses faiblesses intellectuelles, il a à la fois raison et tort. Raison parce qu'en effet, l'étudiant est effectivement démuni de tous les outils et méthodes de réflexion susceptibles de lui conférer une formation de qualité ; tort, parce que souvent l'enseignant est lui-même dépourvu de la formation requise et de tous ces outils conceptuels, de ces connaissances qui lui permettent de dispenser ou de transmettre le savoir de qualité attendu par l'étudiant. Sur ce point, l'étudiant a certainement raison de faire des griefs à l'enseignant, mais il a tort de lui en imputer l'unique responsabilité dans la mesure où ce dernier ne saurait donner plus que ce qu'il a lui-même reçu «en dépôt» du système éducatif national. Formés dans le même moule et nourris à la même sève éducative, enseignants et étudiants ne sont guère justifiables de reproches ou de blâmes. Ce qu'il faut incriminer, c'est plutôt notre système éducatif entendu au sens d'un organe complexe de conceptions et de décisions qui s'avère à l'examen attentif inadapté aux attentes, aux aspirations et aux besoins de la population soucieuse de progrès digne d'un grand pays comme le nôtre. La première partie est parue dans l'édition du mercredi 23 avril L'auteur est docteur d'Etat en histoire, chercheur et maître de conférences, université de M'sila