C'est la première fois qu'il accueille les œuvres d'artistes internationaux, regroupant des signatures prestigieuses de l'art contemporain. Mais les œuvres présentées ne se limitent pas à une découverte des tendances de l'art universel des années cinquante et soixante. Elles se caractérisent aussi par leur contenu : la condamnation de l'oppression du peuple algérien et/ou le soutien à son indépendance. Un coup double pour les promoteurs de l'exposition qui offrent ainsi aux visiteurs à la fois une esthétique riche et foisonnante et une thématique forte et originale. Ce faisant, l'exposition «Les artistes internationaux et la Révolution algérienne» peut se voir comme une initiation du public algérien, privé d'ouverture sur l'art mondial – à l'exception notoire des collections magnifiques du Musée national des beaux-arts qui demeurent encore méconnues -, et un hommage aux plasticiens qui prirent fait et cause pour les douleurs et les combats de l'Algérie d'alors. Au demeurant, la chose n'était pas si extraordinaire que cela pour des artistes qui, souvent, étaient révolutionnaires autant dans leur rejet de l'héritage classique et la recherche d'un nouveau langage pictural que par leurs positions politiques ou sociales. Pour la plupart engagés dans la lutte contre le fascisme hitlérien ou mussolinien, ils étaient restés après la Deuxième Guerre mondiale, attachés à des idéaux de justice et de liberté, se réclamant pour certains du communisme ou de l'anarchisme, pour d'autres de l'humanisme et pour d'autres encore de leurs simples convictions personnelles. On était alors bien loin de la désincarnation cynique de l'art actuel qui, pour être contemporain, se compromet souvent dans les exigences du marché et la recherche forcenée et superficielle d'audaces… Pour le Mama, ce coup double pourrait être même triple. En montrant que quelques uns des représentants, minoritaires mais brillants, de l'art contemporain – et déjà le plus prestigieux au monde, Picasso -, avaient été aux côtés du peuple algérien, il introduit une dimension subjective très forte dans une société où l'abstraction demeure encore largement incomprise, sinon suspecte et rejetée. Paradoxalement car l'ensemble du patrimoine pictural et calligraphique national — à l'exception de l'art rupestre et de la miniature dont l'école algérienne est le fait de Mohammed Racim — était entièrement non-figuratif ou symbolique. On ajoutera aux bénédictions de cette exposition, son caractère inédit car c'est bien la première fois au monde que sont réunies, avec une dimension aussi magistrale, ces œuvres d'art contemporain dans la diversité de leurs genres, styles, manières et même visions de l'Algérie en guerre. C'est un vieux rêve qui se réalise ainsi pour Anissa Bouayed, commissaire de l'exposition, qui, depuis de longues années, s'est penchée avec minutie sur cet ensemble extraordinaire, recherchant et identifiant des œuvres éparpillées à travers le monde chez les artistes encore vivants, leurs ayant-droits, les collectionneurs publics et privés, pour certaines sans localisation connue. En 2005, elle avait déjà publié aux Editions ENAG un livre d'art sur le même thème, L'art et l'Algérie insurgée : les traces de l'épreuve. Ce travail de fourmi, elle en rend compte dans le texte remarquablement documenté qui accompagne le catalogue de l'exposition : «Il faut bien constater qu'il n'y a pas eu de ‘‘patrimonialisation'' des représentations picturales de ce que l'on appelle en France la Guerre d'Algérie et, en Algérie, la Guerre de Libération nationale ou la Révolution algérienne. Qui connaît même la contribution des plus grands peintres de cette époque, Picasso, Matta, Masson ? Sait-on que la génération des peintres algériens, commençant à créer dans les années cinquante, laisse des œuvres majeures de l'Algérie en lutte ? (…) Pourtant ces œuvres existent sur les deux rives. A Paris dans le secret des ateliers de peintres, chez leurs proches, boudées par les institutions muséales en France, sauf exception récente avec des donations suivant le décès des artistes ou avec le dépôt au Musée de Strasbourg du Grand Tableau Antifasciste Collectif.» Ce vieux rêve d'une passionnée venait en fait répondre au rêve même des artistes concernés. A l'indépendance, en effet, sous la houlette de Jean de Maisonseul, premier directeur du Musée des Beaux-arts à l'indépendance qui se battit pour récupérer les collections du musée exfiltrées en 1962, plus de 80 artistes firent don de leurs œuvres à l'Algérie dont Lurçat, Masson, Monory, Rancillac, Matta, Erro, Kijno, Lam, Lebel, Cremonini, et le grand peintre marocain, Cherkaoui. Il s'agissait alors de «constituer un fonds contemporain, matrice d'un futur musée d'art moderne pour l'Algérie, le premier d'Afrique». Il aura fallu quarante-cinq ans pour que celui-ci voie le jour. Un autre retard à verser aux pertes et profits. Mais le Mama est enfin né et il permet aujourd'hui de contempler et de s'étonner des créations de ces émérites amis de l'Algérie. L'exposition a été constituée par les œuvres relevant du don précité et versés en 1962 au Musée des Beaux-arts, plusieurs parmi elles étant montrées pour la première fois car conservées dans les réserves. Une autre partie est constituée des créations des pionniers de l'art moderne algérien et c'est là une juxta position judicieuse car elle permet de voir comment Benanteur, Issiakhem, Khadda, ou Mesli, tous étant à Paris dans les années cinquante, intégrèrent leur engagement nationaliste dans l'élaboration de leurs démarches. Ils étaient de jeunes Algériens débutants venus à la rencontre de l'art contemporain tandis que des tenants confirmés de l'art contemporain allaient à la rencontre de l'Algérie. L'exposition rend bien compte des jonctions et influences qui ont pu s'effectuer dans la métropole française qui était le creuset d'un bouillonnement à la fois artistique, philosophique et politique. L'autre source de l'exposition est celle des œuvres éparpillées en France notamment et qu'il a fallu rassembler, assurer et acheminer jusqu'à Alger en mettant en place une organisation qui doit d'abord à l'accord et la disponibilité de leurs propriétaires puis, ensuite, à la synergie nationale dont le Mama a pu bénéficier, le ministère de la Culture ayant réussi à associer au projet la DGSN, les Douanes nationales, les services de fret, etc. C'est sans doute un des aspects les plus plaisants des coulisses de cette manifestation que de voir mobilisées tant d'institutions à sa réussite. L'acheminement du Grand Tableau Antifasciste Collectif»en est un des points culminants (voir encadré). Parmi ces œuvres d'outre-mer figurait le célèbre dessin de Picasso qu'il avait consacré en décembre 1961, à partir d'une photo, à la combattante Djamila Boupacha, alors emprisonnée et menacée d'exécution capitale. Grand moment lors du vernissage quand le modèle vivant s'est trouvé pour la première fois en présence de l'œuvre, dans une collusion incroyable entre l'art, l'histoire et l'émotion. L'exposition tout entière est d'ailleurs empreinte de cette atmosphère et à travers la galerie des peintures, c'est aussi une galerie de portraits qui défile en filigrane. Des personnages de roman, si la réalité ici n'avait pas dépassé la fiction. Des artistes-reporters en quelque sorte qui vinrent dessiner la dure réalité coloniale, comme Boris Taslitzky, ancien résistant et déporté, qui arrive en Algérie en 1952 avec Mireille Miailhe, ancienne des maquis de Toulouse, qui, elle, assistera en 1953 à Blida au procès de l'Organisation secrète et en fit des croquis. Fougeron, qui en 1954 vit à Paris ses toiles sur le Vietnam arrachées par la police et qui, découvrant la cause algérienne, peint Nord-Africains aux portes de la ville, dure image de l'émigration que pour cause de censure, il intitulera avec prémonition La Zone avant de peindre en 1958 Massacre à Sakiet aujourd'hui dans les collections de la Tate Galery de Londres. Il y a aussi l'immense peintre chilien Matta qui peint aussi La Question ou le supplice de Djamila. Et d'ailleurs un autre latino-américain, le Vénézuélien Oswald Vigas, auteur de Algérie. Toujours aux antipodes, Silvano Lora, peintre de Saint-Dominique qui en 1960 réalise une toile Hommage à la Révolution algérienne. Parmi eux également, Robert Lapoujade qui joint l'action au pinceau, puisqu'il peint en 1958 La torture pendant qu'il active dans le réseau Jeanson, s'occupant entre deux expositions de l'évasion et des planques de militants FLN. Il y a André Masson, l'un des artistes français les plus cotés, dont le fils, Diégo, est arrêté comme porteur de valise avec sa cousine, fille du grand écrivain Georges Bataille. Dès lors, Masson, déjà engagé, n'aura de cesse de défendre l'Algérie et sera l'un des signataires les plus en vue du Manifeste des 121 tandis que toute son œuvre se ressentira, directement ou indirectement, des drames et combats d'un pays qu'il n'avait jamais vu, mais portait en lui. Encore Jean de Maisonseul, personnage exceptionnel, ami de Camus emprisonné pour «collusion avec le FLN» et auteur notamment d'un Mendiant à la mitraillette. On trouve même un Islandais dans cette pléiade d'artistes, Erro, postmoderne talentueux, pas du tout revanchard du fait qu'aux temps de la Course Algéroise, Mourad Raïs ait attaqué son île. Et l'Italien Renato Guttuso qui s'amuse à détourner le tableau de Delacroix La Liberté pour créer La Liberté guide le peuple algérien, allusion féroce aux reniements de la Révolution de 1789. Ou encore Vasco Gasquet qui, lui d'après Goya, peint en 1955, le tableau Fusillade qui sera refusé au Salon d'Automne de l'Union des arts plastiques qui ne tolère que le réalisme socialiste ! Et d'autres encore, l'Iranien Assar, le Polonais Kijno, le Cubain Cardenas, le Libanais Abboud, etc. Un monde en somme qui a produit un univers né de la confluence de l'histoire avec le talent. Mais aussi émus pouvons-nous être à sentir les flux généreux qui émanaient de ces artistes à l'égard de l'Algérie, il faut aussi voir la peinture, les formes, les couleurs, les formats, les techniques, la gestuelle, bref tout ce qui fait l'art, car c'est une occasion fameuse de découvrir la production de ces années de créativité encore débridée de l'art contemporain. En plus, gratis, ajouterons-nous trivialement, mais non moins sérieusement. Exposition jusqu'au 19 juin. Entré libre tous les jours sauf le samedi de 11h à 19h. Vendredi : 15h à 19h.