Certains m'ont reproché ces propos, paraît-il intempestifs, pour avoir dénoncé les dérives du Président en faisant l'impasse, ou plutôt en épargnant le système. Je le dis sans détours, la langue de bois ne figurant pas dans mon répertoire ,si le «système» est le nœud gordien de la crise, il n'en demeure pas moins que le président de la République doit assumer toutes ses responsabilités quant à la gestion et la conduite des affaires du pays, puisque, faisant fi de toutes les lois et empiétant sur la loi fondamentale dont il est censé être le garant, le président de la République préside et gouverne les instances exécutives du pays. Il s'est octroyé, avec la complicité de certains, l'abandon des prérogatives gouvernementales de certains autres et le silence coupable du Conseil constitutionnel, des prérogatives liées à l'exercice du pouvoir, en totale violation de la Constitution, se rendant ainsi responsable de fait et irresponsable de droit. De ce fait, je considère que le pouvoir que dirige le Président, qui a un fondement juridique et légal, ainsi que des responsabilités, est soumis au contrôle, à la sanction et à la critique, tandis que le système, lui, est cet imaginaire sans contour, sans limites ni cadre légal et sur lequel on peut tout mettre pour atténuer ou expliquer ses échecs. Et d'ailleurs, si j'ai tenu à parler de «l'arbre», c'est justement parce que le système s'accommode bien de la forêt et que je suis également persuadé qu'en donnant un nom à chaque arbre de cette forêt qu'est le système, on sortira de ce brouillard et de ces situations du genre «les ordres sont venus d'en haut» et autres crétinismes politiques tels que «enfant du système» ou encore «candidat du pouvoir» qui s'apparentent plus à de la lâcheté que de la responsabilité dans les positions assumées, La parenthèse étant fermée et loin de moi encore une fois la critique facile ou gratuite, il me semble impératif et sensé de regarder la réalité en face. Regarder la réalité telle qu'elle est, c'est d'abord commencer par reconnaître la gravité de la situation qui nécessite une compréhension et une analyse plus intelligente, sans quoi il serait impossible d'espérer changer les choses. Certes, la plupart des problèmes ont toujours existé avec plus ou moins d'intensité et ils continueront d'exister. Le fait nouveau aujourd'hui, c'est l'exacerbation de ces problèmes, ceux liés au chômage, à la pauvreté, à la délinquance, la malvie, mais aussi à l'apparition d'autres avec des caractéristiques et des symptômes nouveaux induits par le terrorisme et une gestion autocratique des affaires de la cité. La clémence fruit de la repentance A ce propos, les mesures préconisées pour ramener la paix et mettre fin au terrorisme, resteront insuffisantes, voire inadaptées, tant qu'elles ne tiendront pas compte des aspects liés à la nature et à l'essence même de leur apparition. Le terrorisme, de par son ampleur, a laissé et laissera des traces, des drames et des traumatismes psychologiques dont les manifestations les plus graves se manifesteront bien plus tard, si l'on continue à pratiquer la politique de l'amnésie et de la répression morale par des mesures qui n'auront d'effet qu'à terme. Et d'ailleurs, on se demande où passe la frontière entre le compromis des intérêts dictés par l'équilibre clanique et la réconciliation des consciences menant à l'apaisement des souffrances et des passions. Ni la charte pour la réconciliation nationale ni aucune autorité juridique, morale ou politique ne peut organiser et imposer ce rituel de la réconciliation et de l'oubli, si la clémence n'est pas le fruit de la repentance, sinon, il faut avoir raison et courage de leur donner raison, La paix oui, mais une paix digne et juste afin de parvenir à un meilleur équilibre du psy national. Le spectre de l'implosion Ceci étant, il me semble qu'après tout ce qui a été dit sur le pouvoir en place, il faut pourtant y revenir parce qu'il n'évoque guère que le spectre de l'implosion et qu'une situation de rupture du couple «système-pouvoir» est en train de se mettre en place de manière insidieuse mais visible dans les comportements des différents protagonistes( les propos du ministre de l'Intérieur après les attentats du Palais du gouvernement et de Batna sont éloquents en ce sens) et qu'un jour ou l'autre cette rupture se fera sur un fait ou un point critique lié à la nature et à l'essence même du pouvoir. Seulement, il est à craindre que cette rupture se fasse au prix de souffrances et de dégâts considérables pouvant aboutir à l'effondrement de la nation et à la désintégration de l'unité nationale. Si l'on ne peut prévoir quand cela risque de se produire, il apparaît que l'élection présidentielle prochaine est une échéance à risques, empreinte d'hésitations, d'incertitudes et de confusion caractérisée par une lutte sournoise à l'intérieur de ce système-pouvoir autour des modifications à porter sur la Constitution, sur l'éventualité du troisième mandat, mais surtout, et c'est là la pomme de discorde, c'est la succession ou le successeur du Président qui est au cœur de la crise. Mais comment en est-on arrivé là? Dans sa quête de domination et de puissance, le Président n'a eu de cesse d'œuvrer au renforcement de son autorité personnelle atteignant, aux yeux du système, le niveau critique pour l'équilibre du pouvoir par son emprise sur toutes les institutions du pays, y compris celles élues. Plus encore, non satisfait de ses pouvoirs exorbitants, il veut ajouter à sa puissance de contrôle une Constitution par laquelle il voudra tout régenter, ses amis comme ses ennemis, le présent comme le futur, et donc son successeur. Mais dans cette recherche pour plus de pouvoirs, le Président s'est fait prendre dans un cercle vicieux qui pourrait l'amener, pour renforcer son autorité, à s'appuyer sur des forces «contraires», au prix de compromis dangereux pour l'avenir et la stabilité du pays. De ce fait, et malgré les apparences qu'il se donne, au fond de lui-même il est inquiet. Une inquiétude qui a créé une faille dans sa gouvernance et qui semble avoir affecté le sens et la finalité de ses mandats, Le résultat est un Président dans la tourmente qui, avec tout son pouvoir et son savoir, est dans une telle confusion, qu'il ne perçoit plus les effets de son comportement et de sa conduite dans les affaires du pays. La richesse aux depens de la pauvreté La répudiation du chef du gouvernement sans aucune forme de respect ni pour le répudié ni pour le nouveau ex-répudié n'est autre qu'une arrogance et un mépris porté non pas aux hommes, puisque ces deux s'en accommodent si bien, mais aux institutions du pays et à l'Etat. De plus, s'il sort de sa tour d'ivoire et de son protocole, il verra le clivage «sismique» qui sépare les riches qu'il a faits et les pauvres qu'il a délaissés, l'état de l'économie, de la société, il pourra juger de la différence, ou plutôt de la distance, qui existe entre le discours et l'action, entre le diagnostic et le remède et enfin entre le mensonge des rapports et la réalité des faits, Il constatera que nous sommes loin, très loin, du bon chemin. Il saura surtout que les hommes qu'il a choisis et qu'il nous a imposés en vertu de considérations régionalistes,en pratiquant l'exclusion pour certains et la marginalisation pour d'autres et obéissant à des considérations de revanche et de compensation selon le principe «les autres ont mangé trop longtemps, maintenant c'est notre tour», ces hommes là, loin de le servir ont accru leur influence non seulement dans le domaine politique mais aussi dans les secteurs vitaux de l'économie pour se servir et de l'administration pour sévir. Cela nous éloigne, et de loin, de cette culture de l'Etat qu'il a tant revendiquée et exigée des autres, plutôt que de se soumettre à la critique et à l'autocritique, il a préféré s'enfermer, s'isoler, s'entourant d'amis et de proches, cautionnant leurs dérives, acceptant leur incompétence, endossant leurs erreurs, portant ainsi sur lui les accusations de favoritisme et de népotisme, en termes de bilan d'une décennie de pouvoir marquée par une régression démocratique, une autocratie établie et une «kléptocratie» croissante, la situation économique n'a jamais été aussi mauvaise, le chômage a atteint des proportions alarmantes surtout dans sa composante jeune, la prolifération de nécessiteux n'est qu'un facteur aggravant d'une économie délabrée et totalement dépendante des hydrocarbures. Il s'agit en fait de la qualité du fonctionnement des institutions, de l'incompétence du personnel aux affaires et en charge du pays, du clientélisme, du népotisme ainsi que de l'insuffisance de contrôle de gestion. La conséquence de tout cela est claire : inefficacité, corruption, détournement, organisation d'une économie parallèle incontrôlée et finalement l'enrichissement d'une bourgeoisie rentière et mafieuse qui détient le pouvoir au prix d'une paupérisation du reste de la société.