A la veille de la cérémonie de la béatification des 19 religieux assassinés pendant la période du terrorisme, l'archevêque d'Alger, Monseigneur Paul Desfarges, rappelle le sens du sacrifice consenti. Le choix fait par les religieux de rester auprès des leurs dans les moments dangereux. Samedi prochain aura lieu la cérémonie de béatification des 19 religieux assassinés durant les années du terrorisme. Quel sens aura cette béatification ? Pour nous, c'est recevoir la grâce que ces 19 frères et sœurs sont montrés comme modèles de vie selon l'Evangile de Jésus, parce qu'ils ont donné leur vie à Dieu, une vie vouée à leurs voisins, à leurs amis dans un élan de partage et de fraternité. C'est une joie pour notre église de les recevoir comme modèle. C'est une deuxième grâce de pouvoir le vivre ici en Algérie, non pas entre chrétiens, mais avec tout le monde. Cet hommage rendu aux 19, nous ne voulons pas le séparer de toutes celles et ceux qui sont morts pour notre pays, l'Algérie. Ils sont tous morts en fidélité à Dieu, à leur conscience et l'amour de leur pays. Et c'est dans cet esprit que nous rendons hommage, en participant avec le ministère des Affaires religieuses, aux 114 imams assassinés pour avoir refusé de signer des fatwas, exigées par les groupes armés, justifiant la violence. C'est une occasion de penser à tous ceux qui ont refusé d'obéir à ceux qui avaient voulu défigurer le pays et la religion. C'est un moment de fraternité entre les deux religions, musulmane et chrétienne… Je crois que c'est une occasion qui nous est donnée pour faire preuve de communion et de fraternité. De confiance et d'estime entre chrétiens et musulmans. Montrer que nous sommes faits pour vivre ensemble dans la paix, s'accueillir les uns les autres dans une dimension spirituelle et de foi. Comment est née l'idée de la béatification ? Quand des hommes et des femmes meurent en fidélité à leur foi, ils deviennent martyrs. Ce sont nos églises d'Alger et d'Oran qui ont demandé à Rome à ce que ces 19 frères et sœurs puissent être reconnus comme des Bienheureux. Le saint-père a signé un décret acceptant cette demande après une enquête et témoignage sur la vie et les écrits de nos frères et sœurs assassinés. Le saint-père sera présent par le biais de son envoyé spécial, le cardinal Becciu, qui présidera la cérémonie et proclamera Bienheureux les 19 frères et sœurs. Comment les autorités algériennes ont-elles perçu cette démarche ? Vous me donnez l'occasion de leur rendre hommage, parce que dès le départ, elles ont été d'une grande disponibilité. Le chef de l'Etat en a été informé et a donné son aval et encouragé pour que la béatification se passe en Algérie, le pays dans lequel nos frères et sœurs ont vécu. Le ministre des Affaires religieuses, Mohamed Aïssa, qui coordonne l'organisation de la cérémonie, a très bien accueilli notre désir, et il a fait tout ce qu'il fallait pour que cela se passe dans de bonnes conditions. Il y a eu une excellente collaboration avec tous les ministères sollicités. C'est un signe de grand respect pour notre église, dont l'existence remonte au premier siècle avec saint Augustin. C'est l'expression d'un désir de vivre ensemble dans la paix. Les 19 religieux assassinés se savaient menacés, mais ils avaient fait le choix de rester, ils ont fait le choix du sacrifice… Oui et non. Leurs vies étaient là, sur cette terre d'Algérie au quotidien et dans leur relation avec les Algériens. Ils se sont dits au moment de l'épreuve difficile : «On ne va pas protéger notre vie alors que ceux qui nous aiment et avec qui nous partageons le quotidien vivent aussi la même menace.» Monseigneur Claverie – évêque d'Oran, assassiné en 1996 et qui sera béatifié – avait dit : «On ne quitte pas un malade, on lui tient la main.» Il a été assassiné en même temps qu'un de ses amis qui s'appelle Mohamed. Il avait dit quelque temps avant sa mort : «ça vaut la peine de rester.» Et son jeune ami Mohamed avait écrit dans son carnet : «Je sais que je prends des risques en accompagnant l'évêque Claverie, mais ça vaut la peine de prendre des risques pour un homme comme lui.» Pierre et Mohamed sont le bon signe de ce que nous voulons vivre. Ça vaut la peine de donner sa vie les uns pour les autres, parce que nous sommes faits pour vivre en paix et ne pas laisser les fauteurs de haine et de violence venir nous diviser. Nous assistons depuis quelques années à beaucoup de controverses sur la persécution des minorités religieuses. Comment vous, en tant qu'archevêque d'Alger, vous percevez la vie et la cohabitation des religions en Algérie ? D'abord, j'ai la joie d'avoir reçu la nationalité algérienne, et je suis fier que dans la Constitution de notre pays existent des articles qui reconnaissent la liberté de conscience, d'opinion et la liberté de culte. Personne n'est inquiété à cause de sa foi. Il y a la loi sur le prosélytisme qui nous ne gêne pas en tant qu'église catholique. L'essentiel de notre église c'est d'être celle de la rencontre et du partage. Nous aimons ce pays et nous aimons le servir comme citoyens de ce pays. Les religions traversent une période de crise, de violence pour l'islam et d'autres phénomènes pour la religion chrétienne. Que se passe-t-il ? Les croyants sont renvoyés à leur foi et ils doivent tous se convertir et être vigilants vis-à-vis du religieux, qui se laisse facilement instrumentaliser pour des causes qui ne sont pas la foi, mais des causes politiques d'influence et de mainmise. On se fabrique des idoles et c'est pour cela qu'on voit surgir des phénomènes de violence. Le Dieu qui veut la violence n'existe pas. Il est le Créateur et le Miséricordieux. Je pense que nous sommes à un rendez-vous où les croyants peuvent se rencontrer dans cette profondeur de la foi et non pas défendre sa religion contre celle de l'autre. Il faut faire la distinction entre religion et foi, parce qu'on peut être parfois de très bons religieux, mais on ne sent pas la foi. Une religion où on se montre alors que l'importance c'est au plus profond de nos cœurs, où l'on trouve son Dieu. Pas celui fabriqué par nous, car cela devient des idéologies, de l'apostasie.