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Houria Aïchi-Chanteuse : Le rêve de la petite fille chaouie
Publié dans El Watan le 31 - 07 - 2008

Ça y est. Elle en a fini. Deux concerts, une conférence. Elle peut profiter du peu de temps libre qui lui reste pour aller voir quelques expositions : celle de Christian Lacroix, bien sûr, mais aussi la superbe rétrospective de Richard Avedon, le célèbre photographe new-yorkais, mort en 2004.
Quelques jours plus tôt, un concert exceptionnel – gratuit qui plus est – au Musée départemental d'Arles avec le groupe qui l'accompagne sur son nouveau disque à paraître en octobre. Etonnante idée que celle des organisateurs du festival Les sud d'Arles, qui dans sa 13e édition, et au milieu d'une programmation roborative, a rassemblé, mi-juillet, Houria Aïchi et l'ensemble L'Hidjaz'Car au cœur de ce lieu aussi étonnant.
Une file impressionnante se forme dans la lumière agonisante du soir à l'entrée du musée, étrange triangle posé tel un ovni au bord du Rhône, œuvre d'Henri Ciriani, architecte français, disciple de Le Corbusier. A l'extérieur, une carapace de plaques réfléchissantes d'un bleu profond. A l'intérieur, une forêt de piliers ronds qui articulent l'espace en une multitude de perspectives. Le tout éclairé par de subtiles arrivées de lumières zénithales et un patio d'où s'élance vers le ciel un escalier de béton.
Un saxophoniste nous cueille à l'entrée et nous mène jusqu'au fond du musée avec des notes égrenées qui répondent aux extraits de textes projetés sur les murs. Enfin, un espace est dégagé pour le concert : des tapis jetés à terre, des chaises. Le quintette L'Hijâz'Car lance les hostilités, emmené par Grégory Dargent couché sur son instrument, le oud. Ce groupe, qui s'est formé à Strasbourg en 2000, s'est donné un nom particulier : Hijâz, comme les montagnes au cœur de l'Arabie Saoudite, et Car, comme une caravane de sons. Percussions, clarinette, violon et autres instruments étranges s'entrechoquent, s'entrelacent et se répondent pour former des sonorités à la croisée du jazz et de l'Orient.
Puis arrive Houria Aïchi : tunique noire plissée sur pantalon noir, collier doré, cheveux au henné coiffés courts. Radieuse. Une heure trente durant, elle va chanter les Cavaliers des Aurès , ces superbes cow-boys aux codes moraux ancestraux qui accompagnaient les chevaux dans leurs migrations à travers les grands espaces d'un western chaoui, qui égayaient les fêtes traditionnelles de leurs joutes acrobatiques et qui, par leurs poèmes, savaient entretenir la flamme des jeunes filles. La voix de Houria Aïchi : ample, intérieure, une voix de gorge, nasale, très claire pourtant, qui crée dans la nuit du musée entre les bas-reliefs romains, les poteries étrusques ou les bustes de marbre une atmosphère insolite, presque irréelle, un univers peuplé d'étendues fabuleuses.
Entre chants joyeux qu'illumine un sourire fugace et complaintes à la tristesse poignante, Houria Aïchi sait entretenir avec une grâce diffuse la tension d'un poème avec des moments endiablés. Surchauffe de la salle qui s'exécute face aux demandes de youyous. Et puis à la fin d'un morceau, elle éclate en sanglot, consumée par l'émotion et nous avec.
Houria Aïchi en est là en cette mi-juillet venteuse et ensoleillée à Arles. Fatiguée mais souriante, prête et décidée, encore et toujours à parler des Aurès et de cette poésie orale qui ne la quitte pas un seul instant : depuis toute petite, depuis son premier disque, il y a près de 20 ans, Chants sacrés de l'Aurès (1990), depuis qu'elle chante accompagnée de son seul bendir et de la gasba magique de Saïd Nissia. De fait, elle consacre sa vie à ces textes qu'elle exhume avec la patience de l'archéologue, interrogeant les anciens, fouillant les bibliothèques, plongeant dans sa mémoire.
Entretien express où la cantatrice revient sur son « rêve de petite fille ».
Avec les Cavaliers des Aurès vous poursuivez votre travail sur la mémoire poétique orale des Aurès. Que représente pour vous toute cette littérature des « ri'yân el kheïl » ?
Petite fille, j'étais éblouie par ces cavaliers habillés de blanc. Je les voyais dans les fêtes lorsqu'ils arrivaient en groupe. Ils n'accompagnaient plus les troupeaux de chevaux mais c'était réellement très impressionnant. Ce disque, c'est comme réaliser un rêve de petite fille. Dans la pratique artistique, il y a un rapport à la liberté qui est incontrôlable et essentiel en même temps. Pour moi, c'est un acte de liberté individuelle que d'oser repartir vers ce rêve d'enfant et de le confronter à la modernité. J'ai le sentiment d'être habitée par ça et ne suis en aucun cas animée par un souci ou une démarche de sauvegarde du patrimoine. Mon souci est artistique. Point.
On vous connaissait pour vos performances où vous jouiez du bendir, accompagnée seulement d'une gasba. Mais depuis votre dernier disque, Chants sacrés d'Algérie en 2001, et pour ce nouvel enregistrement, vous allez vers une production plus étoffée et plus contemporaine.
Je ne voulais plus faire de disque minimaliste. De plus, j'avais la crainte de voir mon travail réduit à une recherche d'ethnomusicologie. Or, je le redis, mon souci est d'ordre créatif, artistique, avec le désir de confronter mon héritage chaoui, ce répertoire ancien, à la modernité, aux instruments d'aujourd'hui. Ce n'est alors pas un hasard si j'ai rencontré L'Hijâz'Car et ses musiciens qui sont au cœur des musiques les plus actuelles. C'est Martina Catella, directrice artistique de Accords croisés, la maison de production qui avait déjà produit mon dernier disque Chants sacrés, qui a organisée la rencontre avec Grégory Dargent, le leader du groupe L'Hijâz'Car.
Il venait de faire un long voyage dans le Sud algérien et en revenait marqué. J'avais déjà bien avancé dans mon travail sur les Cavaliers des Aurès. J'avais établi et choisi les textes, les avait appris par cœur. Je lui ai fait alors un enregistrement sur dictaphone de mon interprétation a capella de ces textes puis, derrière, des enregistrements traditionnels des mêmes textes. Il m'a rappelé pour me faire des propositions d'arrangements.
On est désarçonné par la musique de L'Hijâz'Car. Les mélodies sont difficiles à saisir et surtout le travail sur les rythmes est particulièrement complexe. Mais on se laisse prendre très vite…
Lorsque Grégory Dargent m'a envoyé ses propositions où il sample des morceaux traditionnels avec ses propres compositions, j'ai été étonnée mais pas du tout choquée ! Et j'aime bien au final le métissage qu'il obtient. Mais il a réussi surtout à retrouver les rythmes de la musique chaouie. Comme il ne comprenait pas les paroles des textes, ça nous a pris beaucoup de temps pour régler les compositions et il s'est appuyé avant tout sur les rythmes. Par la suite, pour les concerts, on a repris cette idée d'utiliser des extraits d'enregistrements traditionnels au sein même du spectacle.
Comment est venue l'idée de donner le concert dans l'enceinte d'un musée ?
Lors de la première de ce spectacle à Paris, en novembre 2007, la responsable artistique du festival Les sud l'a immédiatement sélectionné. C'est elle qui a choisi le lieu du concert. Au départ, on a eu du mal à faire la balance, avec tous ces murs de béton qui réfléchissaient les sons. On se faisait du souci. Après tout, c'est un spectacle qui parle des grandes étendues des Aurès et qui, a priori, a donc besoin d'espace pour en rendre compte. Mais voilà, finalement, l'alchimie s'est faite.
Il y a eu l'adhésion du public qui a saisi cet univers des cavaliers, leurs histoires. Je travaille évidemment la gestuelle sur scène en ne m'inspirant strictement que de gestes que j'ai vu effectuer chez moi. Mais parfois, chose inexplicable, on est dépassé. Et là, je ne savais plus où j'étais… C'est rare dans ce métier de sentir ainsi la proximité du public au point de perdre la notion d'espace et de temps. Je chante pour le public, bien sûr, mais en même temps, il m'arrive de visualiser ce que je chante et d'être bouleversée par ce que j'entends, par ces mots, par ces hommes. Je me rends compte alors que tout ce travail sur les Cavaliers des Aurès va chercher très loin en moi. Des choses enfouies depuis longtemps et dont je ne mesurais pas à quel point elles me structuraient.
Et l'Algérie ?
L'album est à paraître en octobre en France avec une série de dates de concerts déjà programmés. Mais, invitez-moi et je viendrai ! Je rêve de donner ce spectacle dans les Aurès, à Timgad par exemple, pour dire : voilà, notre culture c'est ça !


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